Démonstration antisémite à Charleroi
Institution : Musée juif de Belgique
Collection : Numéro d'inventaire 3929
Légende Web : Manifestation d’antisémitisme des sympathisants rexistes à l’encontre du commerce de la famille Hecht, rue du Mambourg, dans le quartier juif de Charleroi durant l’automne 1940
Belgique en guerre / Articles

Rafle avortée de Charleroi, un exploit unique en Belgique occupée (la)

Thème - Résistance - Persécution des Juifs

Auteur : Vagman Vincent (Institution : Agence Projet-Histoire)

A l’été 1942, l’étau se resserre autour des Juifs. Après la phase des convocations piégeantes – les juifs sont convoqués en vertu d’un Arbeitseinsatzbefehl – c’est l’heure des rafles. Elles débutent à Anvers en août 1942 et se poursuivent à Bruxelles au début du mois suivant. Vient ensuite le tour de la petite communauté de Charleroi.

1918-1940 : l’avènement d’une communauté d’immigrés

La communauté juive de Charleroi rassemble alors principalement des familles avec jeunes enfants issues de l’émigration d’après 1918. Elle se compose majoritairement de juifs étrangers originaires de Pologne, de Russie ou de Roumanie attirés par le manque de bras dans le bassin industriel après 1918.

Un petit quartier juif a fait son apparition dans des rues de la Ville-haute (à proximité de l’hôtel de ville, à Charleroi-Nord ou à la Broucheterre) et une communauté israélite est officiellement reconnue à Charleroi depuis 1928. On retrouve fréquemment les juifs de Charleroi sur les marchés ou dans le commerce ambulant. La communauté compte environ trois mille personnes en 1940.

Charleroi
Institution : CegeSoma
Collection : Photo n° 101399, tirée de Fonds UPJB, Exposition "Herbes amères"
Légende Web : Vers la fin des années trente, devant le restaurant à l’enseigne Swierszczyk situé au 16, rue Chavannes. De gauche à droite : un dénommé Potaznik et très vraisemblablement Mendel Swierczyck

Les juifs de Charleroi en 1940-1942

Conformément aux ordonnances antijuives édictées par l’administration militaire allemande, il est procédé à Charleroi comme ailleurs en Belgique au recensement des juifs (972 adultes sont recensés pour l’agglomération de Charleroi), puis à la liquidation des commerces et à l’instauration d’une section locale de l’Association des Juifs en Belgique. Un Judenreferent (chargé d’affaires juives) membre du Sipo-SD (Gestapo) a été désigné en la personne de l’adjudant SS Heinrich Knapkotter. 

Knapkotter ignore qu’une organisation clandestine, Solidarité juive de Charleroi, s’est mise en place dès 1940 et le retour d’exode. Elle s’articule autour d’un trio de militants communistes déjà actifs avant-guerre (Pinkus dit Pierre Broder, Shmerl dit Sem Makowski et Max Katz). C’est ce même groupe qui est à l’origine de l’antenne carolorégienne du Comité de Défense des Juifs. Au printemps 1942, ce trio de résistants judéo-communistes a infiltré la section de Charleroi de l’AJB (1 112 personnes recensées) présidée par le commerçant Jules Mehlwurm. Max Katz en est même devenu le secrétaire.

Recensement des Juifs, Charleroi
Légende Web : On procède au recensement des juifs de l'agglomération de Charleroi en fin 1940
La Kommandatur de Charleroi (siège de la bibliothèque)
Légende Web : Le siège actuel de la bibliothèque de l’Université du Travail hébergeait la Kommandantur de Charleroi
Démonstration antisémite à Charleroi
Institution : Musée juif de Belgique
Collection : Numéro d'inventaire 3929
Légende Web : Manifestation d’antisémitisme des sympathisants rexistes à l’encontre du commerce de la famille Hecht, rue du Mambourg, dans le quartier juif de Charleroi durant l’automne 1940

Un télescopage entre deux sortes de convocations

Peu après l’apparition de l’étoile jaune en juin 1942 (distribuée par les rexistes à la tête du « Gross Charleroi »), on assiste au télescopage entre les premières convocations pour Malines et celles de l’Office du Travail de Charleroi (aux mains des rexistes) qui exigent de passer une visite médicale le 31 juillet 1942 en vue du travail obligatoire imposé aux juifs. 

Réduits depuis la mi-1942 à l’état de parias corvéables à merci depuis la liquidation forcée des commerces juifs, près de 200 jeunes adultes juifs masculins se sont rendus à cette visite médicale en dépit de l’appel des résistants à désobéir. On les pousse dans un train en direction des camps de travail de l’organisation Todt occupée à construire le mur de l’Atlantique à hauteur de Boulogne-sur-Mer. Ils seront ensuite déportés à Auschwitz.

Des mariés portant l'étoile jaune, Charleroi
Droits d'auteur : Léon Bialek
Légende Web : Une photo de mariés portant l’étoile jaune en Belgique (ici les époux Rosa Bialek et Abraham Keuch devant l’hôtel de ville de Charleroi qui disparaîtront à Auschwitz quelques jours plus tard)

La résistance juive de Charleroi entre en scène

Ce 22 septembre 1942 peu après 19 heures, Jules Mehlwurm, le président de l’AJB de Charleroi, sort du bureau de Knapkotter. Celui-ci vient de lui ordonner de revenir le lendemain matin à 9 heures au siège de la Gestapo pour lui remettre en mains propres la liste de tous les juifs de la ville. Mehlwurm se sent complètement piégé. Il appelle son secrétaire Max Katz ...

Katz débarque très rapidement chez Mehlwurm en compagnie de Pierre Broder et de Sem Makowski. Il présente ses camarades de la résistance à un Mehlwurm éberlué ; ce dernier vient en effet de réaliser l’existence d’une résistance juive qui a infiltré l’AJB de Charleroi.

Les résistants exigent que Mehlwurm remette en mains propres, à ses risques et périls, la liste exigée par Knapkotter. En contrepartie, on lui promet de trouver immédiatement une cache pour sa femme et sa fille. L'homme n'a pas le choix. Les quatre hommes passent le reste de la nuit à confectionner une fausse liste destinée à éloigner les Allemands.

Le lendemain, Knappkotter reçoit la fausse liste et laisse partir Mehlwurm. Ce dernier remet la caisse de l’AJB aux résistants et file dans le namurois rejoindre son épouse et sa fille. L'AJB de Charleroi vient de se saborder. Alors que les Allemands rassemblent des camions et des pelotons de Feldgendarmes, les résistants entament une course contre la montre. Ils se précipitent en vélo pour donner l'alerte. Chacun doit quitter son domicile sans attendre et reçoit une adresse où se cacher.

Au début de l'après-midi, les Allemands font mouvement et comprennent très vite qu'ils ont été bernés en sonnant à des portes de maisons désertées ou lorsque ce sont des non-juifs qui leur ouvrent. Furieux, ils foncent vers les rues du quartier juif. Tous ceux qui ont suivi les conseils des résistants en abandonnant, à la seconde, leur domicile, sont très provisoirement hors de danger.

Jules Mehlwurm (AJB)
Institution : Archives Victimes de Guerre
Collection :
Légende Web : Jules Mehlwurm préside l'AJB de Charleroi
Max Katz
Collection : Archives SVG-d030676 - Katz Isaac
Légende Web : Cette dernière photo de Max Katz (arrêté en 1944 sous son faux nom de Charles Gilbert et disparu en 1945 à Buchenwald) provient de sa carte d'identité officielle renouvelée en décembre 1941 à Charleroi

Le bilan de la rafle avortée et de la Shoah à Charleroi

Comme l'indique la liste du transport parti de Malines après la rafle, le XIe convoi, seuls 27 hésitants ou malheureux que les résistants n'ont pas pu prévenir sont tombés dans les griffes allemandes. Mais la résistance juive de Charleroi en a sauvé des centaines d'autres. Elle vient de remporter un succès aussi inespéré qu'inédit et va s’occuper clandestinement de ses protégés jusqu’à la libération. 

CDJ de Charleroi
Droits d'auteur : Vincent Vagman
Légende Web : Reconstruction du réseau de la résistance juive de Charleroi

Bibliographie

Broder, Pierre. Des Juifs debout contre le nazisme. Présenté par Maxime Steinberg, Bruxelles,1994.

Vagman, Vincent. Présence juive à Charleroi. Histoire et Mémoire, Namur, 2015.

Vagman, Vincent. Présence juive à Charleroi : fin d’un siècle et… fin d’un cycle, dans Charleroi 1666-2016, 350 ans d’histoire des hommes, des techniques et des idées. Actes de colloque Charleroi, 23 et 24 septembre 2016, Académie royale de Belgique, Bruxelles, 2016, p. 307-316.

Mémoire de la résistance juive de Charleroi. 1942 La gestapo piégée. Une réalisation de Zakhor-Belgium (à l’initiative du Foyer israélite de Charleroi, avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et le concours du service didactique de l’histoire de l’Université de Liège – 3 septembre 2017)

L’exposition permanente du Mémorial de la Résistance allemande de Berlin Héros silencieux- Résistance à la persécution des juifs en Europe 1933-1945 présente une nouvelle exposition consacrée aux tentatives de sauvetage de juifs dans les différents pays occupés. L’exemple de référence choisi pour la Belgique concerne la rafle avortée des juifs de Charleroi. 

Deux cartes interactives pour s'informer de la mise en œuvre de la Shoah à Charleroi

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Pour citer cette page
Rafle avortée de Charleroi, un exploit unique en Belgique occupée (la)
Auteur : Vagman Vincent (Institution : Agence Projet-Histoire)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/rafle-avortee-de-charleroi-un-exploit-unique-en-belgique-occupee-la.html