Jouissant d'une grande popularité locale avant et après la guerre, Gerard De Paep, un médecin du pays de Waas, a été au centre de la collaboration politique du Vlaams Nationaal Verbond (VNV) pendant l'occupation. Après des années de lutte des partis nationalistes flamands locaux, il s’est vu attribuer un nom de rue à Melsele (Beveren) en 2010. Son cas est un bon exemple de la difficile mémoire collective d'après-guerre en Flandre, où les collaborateurs condamnés peuvent souvent compter sur une large compréhension.
Avant la guerre
Catholique et de sensibilité flamande, le père de Gerard De Paep (°Melsele, 22 novembre 1898) était conseiller communal et échevin (1908-1911) à Melsele. Alors qu’il étudie au Petit Séminaire de Saint-Nicolas, Gerard De Paep entre en contact avec le mouvement étudiant flamand après 1912 en tant que membre de l’antenne locale du mouvement Rodenbach et de l'association estudiantine de Beveren, Vlaams en Vrij. Pendant la Première Guerre mondiale, il soutient l'activisme. En 1918, il entame des études de médecine à l'Université de Gand, néerlandisée par les Allemands. Après 1918, il s'inscrit sous un faux nom (« Jan De Paepe ») à l'ULB de Bruxelles où il devient membre de l'Algemeen Vlaams Hoogstudentenverbond. Début 1919, il est cofondateur de la section locale du Frontbeweging du pays de Waas. Après avoir obtenu son diplôme, il s'installe sans difficulté à Beveren comme médecin chirurgien et obstétricien. En 1927, il prend la direction de la clinique Sainte-Anne qu'il y a fondée. De Paep se constitue une solide base électorale dans la région et est élu conseiller provincial de Flandre orientale le 9 juin 1929. Il devient le chef de groupe des nationalistes flamands au conseil provincial et joue un rôle important dans l'accord politique avec le parti catholique pour la gestion de la province. De Paep devient ainsi le premier député provincial nationaliste flamand de Belgique le 30 janvier 1931. Il échoue de peu aux élections législatives de 1932 et retourne au conseil provincial. Il est également conseiller communal à Beveren (1932-1936). Aux élections provinciales de 1936, les nationalistes flamands (Vlaamsch Nationaal Blok) concluent un accord pré-électoral avec le parti catholique. De Paep redevient député. En 1938, il est élu conseiller communal sur une liste de concentration à Beveren et continue de siéger au niveau provincial. En 1939, il échoue à nouveau aux élections législatives.
Pendant la guerre
Le 21 août 1940, Gerard De Paep est nommé commissaire-bourgmestre de Beveren. Il s'agit d'une nomination allemande, totalement en dehors de la légalité belge. Cette nomination intervient après que De Paep a dénoncé à l'occupant l'administration légale de la ville comme étant anti-allemande et anti-nationale socialiste. Lors de sa nomination, il parle dans un discours de la fin de la "pourriture démocratique", ce qui signifie dans ce contexte que l'ère des partis politiques est définitivement révolue et que le gouvernement local sera dorénavant dirigé par une sorte d'ordre du peuple organique homogène, représenté par le VNV. De Paep reste commissaire-bourgmestre jusqu'en août 1941. Au cours de cette première année, il tente surtout d'écarter les anciens dirigeants catholiques de Beveren en faisant pression sur l'occupant. Il est chef de la section locale du VNV. En novembre 1941, il devient également chef de la cellule locale de la Duitsch-Vlaamsche Arbeidsgemeenschap (DeVlag) à Beveren. Il est aussi officier dans la Dietsche Militie-Zwarte Brigade, la formation paramilitaire du VNV, bien qu'il n'y soit guère actif. Au printemps 1941, il devient membre de la Commission de politique administrative pour la Flandre orientale, un organe du VNV chargé de préparer les futures réformes de l’État et de l'administration. Fin 1941, il prend la tête du service culturel de la province de Flandre orientale, dans le cadre de la tentative de la VNV d'y organiser la vie culturelle. De Paep devient gouverneur intérimaire de Flandre orientale le 30 mars 1943, en remplacement de Jozef De Vos (1895-1988).
Implication possible dans la rafle de 1944
Dans la nuit du 27 au 28 avril 1944, la Feldgendarmerie effectue une rafle visant des résistants dans les communes de Burcht, Zwijndrecht et Beveren. Les forces d'occupation ont fait appel à la police communale pour obtenir des effectifs et à des collaborateurs politiques de l’administration pour obtenir des informations (adresses et identification). Comme c'est généralement le cas lors de rafles de ce type en 1944, il est impossible de reconstituer avec précision l'implication de certaines personnes. Selon De Paep lui-même, il a été appelé comme médecin la nuit en question pour soigner un policier blessé au commissariat de Beveren. C'est là, dit-il, qu'il est « réquisitionné » par la police allemande présente pour servir de chauffeur, de guide et d'interprète pendant la rafle. Certains résistants sont arrêtés et interrogés en présence de De Paep. Il n'existe que des déclarations orales contradictoires sur le rôle exact de De Paep.
Les querelles juridiques autour de sa condamnation
De Paep est suspendu de ses fonctions de député par une décision en date du 11 septembre 1944 (ainsi que de celles de conseiller provincial le 23 décembre 1944). Le jugement du conseil de guerre de Gand en date du 10 juin 1947 le condamne pour collaboration politique avec intentions malveillantes (article 118bis). En revanche, il est acquitté du chef d'accusation de délation (article 121bis), car la plainte concernant la dénonciation de trois personnes pour activités clandestines a été jugée trop légère. L'élément de la rafle de 1944 n'apparaît qu'après de nouvelles plaintes et de nouveaux éléments à ce sujet. Dans une seconde instruction judiciaire, le conseil de guerre déclare dans le verdict du 2 février 1949 que De Paep porte une responsabilité directe dans l'arrestation et l'interrogatoire de trois résistants en avril 1944. Ces faits sont portés devant le conseil de guerre sur base de l'article 113 : « port d'armes » ou ce que l’on qualifie de collaboration militaire. Il est reconnu coupable d'avoir participé à l'arrestation de six résistants et d'avoir infligé des coups et blessures volontaires pour avoir contribué à l'interrogatoire de deux d'entre eux. Lors de ce nouveau jugement, De Paep a été condamné à cinq ans de détention. Un jugement intermédiaire du 23 juin 1949 fusionne l'affaire de la collaboration politique avec celle portant sur la collaboration militaire. Le 1er juillet 1949, la cour militaire de Bruxelles, dans un arrêt en appel, condamne De Paep à 12 ans, mais s'estime incompétente pour statuer sur les faits relatifs à la rafle parce qu'ils ne tombent pas sous le coup de l'article 113. Cet arrêt, quelque peu étrange, a été cassé par la Cour de cassation le 13 février (selon certains documents, le 13 janvier) 1950. Cet arrêt a également placé la participation à la rafle sous l'article 118bis : « collaboration politique ». Il s'agit de fait d'une solution de facilité pour redresser une situation qui, depuis, est devenue un enchevêtrement juridique embarrassant.
Le jugement du 20 mars 1951 ne condamne finalement De Paep que pour collaboration politique. Les faits survenus lors de la rafle de 1944 ne comptent plus. La cour militaire se déclare également incompétente pour statuer sur la demande des parties civiles, arrêtées lors de la rafle et ensuite déportées. De Paep n'est donc finalement condamné que pour collaboration politique. La raison réside peut-être aussi la faiblesse de la charge de la preuve : avec seulement des témoignages oraux (contradictoires) sur ce qui s'est exactement passé cette nuit d'avril 1944, la preuve pour « délation » est beaucoup trop légère. Le tribunal a probablement aussi tenu compte de circonstances atténuantes : les nombreux témoignages favorables et le fait qu'il a été prouvé que, grâce à l'intervention de De Paep, cinq personnes condamnées à mort par les Allemands ont été graciées.
De Paep a été condamné à 12 ans de prison mais, comme la grande majorité des collaborateurs condamnés, il a été libéré prématurément, dans son cas en 1950.
Reconnaissance après la guerre
De Paep reprend sa carrière médicale à la clinique Sainte-Anne de Beveren. Comme la grande majorité des collaborateurs condamnés, De Paep est réhabilité en 1962. Il recouvre ses droits civils et politiques. En 1965, il est élu sénateur de la Volksunie pour l’arrondissement de Termonde-Saint-Nicolas avec 13 357 voix de préférence. Par la suite, il obtient de nombreuses voix de préférence. En 1974, De Paep, âgé de 76 ans, quitte la politique active. Il meurt à Beveren le 18 août 1985. Pendant des années, la section locale de la N-VA s'est efforcée d'obtenir une rue portant le nom de De Paep à Beveren. Bien que le conseil culturel local ait donné un avis favorable dès 1995, il y a toujours eu une opposition de la part d'autres partis politiques. Alors que la N-VA siège dans la majorité locale en 2006, son buste, qui se trouvait jusqu’alors à la clinique Saint-Anne, a été transféré à l'emplacement de son ancien domicile en 2008. En 2010, avec le soutien du CD&V, une « Dr Gerard De Paepstraat » est inaugurée dans l’ancienne commune Melsele qui fait désormais partie de l’entité de Beveren. En 2020, une exposition permanente est mise en place dans la seniorerie de Meulenberg.
Bibliographie
Nico VAN CAMPENHOUT, “De Paep, Gerard”, dans : Digitale Encyclopedie van de Vlaamse Beweging, https://encyclopedievlaamsebeweging.be/nl/de-paep-gerard.
Nico WOUTERS, “The Flemish nationalists in the East Flanders provincial council (1929-1940)”, dans : Scientific Times, 2002, pp. 3-30.
W. VAN DAM, “The breakthrough of organised political Flemish nationalism in Beveren 1928-1929”, dans : Het Land van Beveren, 2007, pp. 493-524.
Nico WOUTERS, “The De Paep case (1898-1985) : war memory, image and local historiography”, dans : Het Land van Beveren, 2009, pp. 25-64.