Qu'est-ce que ces filles ont fait de mal?
Rika Demoen - Libération
Institution : Historische Huizen Gent
Collection : Exposition: "Gekleurd Verleden. Familie in oorlog"
Droits d'auteur : Historische Huizen Gent
La guerre éclate
Rika Demoen a seize ans lorsque la guerre éclate. Aînée d'une fratrie de sept enfants, elle reste au foyer à Roulers afin d'aider sa mère. Son père est un flamingant convaincu. Pendant la Première Guerre mondiale, alors qu'il était volontaire de guerre, il s'était heurté à la direction exclusivement francophone de l'armée. Dans la région, il est un des premiers membres du Vlaams Nationaal Verbond (VNV) et il envoie sa fille militer aux Kerlinnekes, l'organisation de jeunesse du Vlaams Nationaal Vrouwenverbond (VNVV).
Les Dietse Meisjesscharen (DMS)
Rika Demoen - Les Kerlinnekes
Institution : Historische Huizen Gent
Collection : Exposition "Gekleurd Verleden. Familie in oorlog"
Droits d'auteur : Historische Huizen Gent
En outre, Rika dirige la section des DMS pour l'arrondissement de Roulers-Tielt. Elle se rend plusieurs fois par mois au quartier général des DMS à Bruxelles pour y recevoir des instructions de la bouche de Jetje Claessens, la dirigeante des DMS.
'Tonton' Reimond Tollenaere
Après la fuite en France du bourgmestre de Roulers en 1940, le chef de la propagande du VNV (et député) Reimond Tollenaere propose que le père Demoen lui succède. Demoen avait aidé Tollenaere en 1936 lors de sa campagne pour les élections législatives dans la région. C'est d'ailleurs à cette occasion que Tollenaere avait fait la connaissance de la tante de Rika, qu'il a épousé par la suite.
Tollenaere, partisan d'une collaboration inconditionnelle, est l'un des premiers Flamands à partir se battre sur le front de l'Est. Le père Demoen, lui, se refuse absolument à laisser l'un des frères de Rika s'y engager. Son père, explique Rika, est un vrai Flamand qui ne veut rien avoir à faire avec les Allemands. Sauf évidemment s'il ne peut agir autrement, en tant que bourgmestre.
Le père Demoen, protecteur de ses administrés en tant que bourgmestre de guerre ?
Il est exact qu'en sa qualité de bourgmestre, Demoen limite au strict minimum ses contacts avec les Allemands. De plus, il fournit un emploi à plusieurs jeunes gens dans la région pour les préserver du travail obligatoire en Allemagne. La DeVlag, une organisation pro-allemande, tente même de le destituer, mais en vain. C'est que, d'après Rika, son père est un trop bon bourgmestre.
Rika Demoen - le marché noir
Institution : Historische Huizen Gent
Collection : Exposition: "Gekleurd Verleden. Familie in oorlog"
Droits d'auteur : Historische Hizen Gent
Quand, après la libération, le père Demoen est arrêté en septembre 1944 parce qu'il a été bourgmestre de guerre, Rika est manifestement atterrée. N'a-t-il pas aidé la population, en tant que bourgmestre VNV, pendant les années difficiles de l'Occupation alors que d'autres restaient passifs ?
La réalité historique est, à tout le moins, plus nuancée. Les bourgmestres du VNV sont, grâce à la prise de pouvoir du parti et à son idéologie totalitaire, de véritables dirigeants locaux dotés de larges compétences individuelles. Dans un premier temps, la plupart d'entre eux font preuve d'un radicalisme poussé et collaborent activement avec l'Occupant. C'est seulement à partir de 1943, quand le sort des armes commence à tourner en défaveur des Allemands, que plusieurs d'entre eux agissent avec davantage de modération.
Une image historique faussée de la collaboration nationaliste flamande
Rika est persuadée que le milieu dans lequel elle a grandi est un reflet du reste de la Flandre. Son témoignage est un bon exemple du calme qui entoure la collaboration nationaliste flamande, qui est restée dominante en Flandre jusque dans les années 1980. Et cette image faussée est largement due à la répression d'après-guerre. Le fait que de nombreux bourgmestres du VNV, dont Demoen, réussissent à combiner leur collaboration politique avec des mesures administratives ressenties parfois positivement par la population n'a pas place dans la vision tranchée, en noir et blanc, de la répression : on punit sévèrement, et sans nuance.
De plus, les communautés locales ne se rendent souvent pas bien compte, sous l'Occupation, de ce qui se passe vraiment. Les contacts entre les bourgmestres du VNV et l'Occupant, en particulier, restent cachés. Aussi les sanctions qui les frappent sont-elles considérées par beaucoup de leurs administrés comme injustes. Cela aura aussi, par la suite, une influence sur la mémoire collective en Flandre.
Le sort de Rika
Après l'arrestation de son père, Rika se cache chez elle, dans sa chambre. Sa mère a entendu ce qu'on raconte sur les jeunes femmes soupçonnées de collaboration, qui sont tondues voire violées. En définitive, elle est arrêtée en mai 1945 et doit comparaître, la veille de son vingt-et-unième anniversaire, devant le conseil de guerre. Elle y est condamnée à dix-huit mois de prison, dont elle effectuera seize mois à Courtrai, à Gand et à Bruges. Elle connaît encore toujours aujourd'hui les chants flamands qu'elle entonnait chez les Dietse Meisjesscharen, et ils ne cessent de l'émouvoir.
Bibliographie
De Wever, Bruno, Martine Van Asch, and Rudi Van Doorslaer, eds. “Getuigenis Rika Demoen.” In Gekleurd Verleden: Familie in Oorlog, 48–55. Tielt: Lannoo, 2010.
Wouters, Nico. “Volk En Staat Één! Oorlogsburgemeesters Tussen Mythe En Realiteit.” In Gekleurd Verleden: Familie in Oorlog, edited by Bruno De Wever, Martine Van Asch, and Rudi Van Doorslaer, 56–62. Tielt: Lannoo, 2010.