Aujourd’hui, Julien Lahaut est essentiellement connu pour avoir été victime d’un des rares assassinats politiques commis en Belgique en temps de paix. Le cri « Vive la République ! » lui est souvent attribué dans ce contexte, à tort ou à raison. Syndicaliste socialiste puis député communiste, il est une figure emblématique de l’histoire du mouvement ouvrier belge. Il deviendra après la guerre président du Parti communiste de Belgique.
Du bassin sidérurgique liégeois à la Russie et aux États-Unis
Julien Lahaut (1884–1950) naît à Seraing dans une famille ouvrière socialiste. À l’âge de 14 ans, à l’image de son père, il entre dans la vie professionnelle comme ouvrier métallurgiste. D’abord dans une petite usine, puis chez Cockerill. Du côté maternel, Lahaut est issu d’une famille catholique. Son grand-père était ouvrier aux Cristalleries du Val Saint-Lambert. Lahaut est baptisé et recevra également le sacrement de la confirmation. Au lendemain des grèves de 1902, membre du comité syndical du POB, il est licencié et rejoint le Val Saint-Lambert. En 1905, il fonde le syndicat de la métallurgie Relève-toi et en devient le secrétaire en 1908. Un poste rémunéré qu’il occupera jusqu’en 1922. Dans la ligne du positionnement du Parti ouvrier belge, Lahaut se porte volontaire pour l’armée belge en 1914. Il finit par faire partie du corps expéditionnaire des Autos-Canons-Mitrailleuses (ACM), qui rejoint le front russe en 1915. À Saint-Pétersbourg, Lahaut défile devant Nicolas II, tsar de toutes les Russies, mais en Galicie, il est impliqué dans le pillage de fermes de Juifs hassidiques. Après la révolution d’octobre 1917, les bolcheviks signent, le 3 mars 1918, la paix séparée de Brest-Litovsk. Les troupes belges quittent la Russie, atteignant la côte ouest des États-Unis via la Sibérie. Un voyage en train de San Francisco à travers les États-Unis le conduit à New York, avant de traverser l’Atlantique. En Belgique, il reprend le fil de sa carrière à La Relève, mais démissionne à la suite de dissensions à propos de la poursuite d’une grève. Le POB lui reproche son manque de « discipline » et il est exclu du parti et du syndicat. Avec quelques fidèles, il fonde un Comité de défense, un syndicat de mineurs et de métallurgistes, qui adhère à l’Internationale syndicale rouge, le Profintern. Il est intéressant de noter que l’organisation opte pour le nom de « Chevaliers du Travail », en référence à l’un des plus anciens syndicats de Belgique qui entretenait des liens avec les Knights of Labor américains. Enfin, en 1923, Lahaut franchit le pas en adhérant au Parti communiste de Belgique.
La naissance d’un symbole communiste
Lahaut fait une carrière éclair au sein du PCB et entre rapidement au Comité central et au Bureau politique (1924), la deuxième instance du parti. En 1926, il est élu conseiller communal à Seraing, un mandat public qui renforce sa position personnelle. Dans le sillage de la nouvelle stratégie dite « classe contre classe » (1928) de l’Internationale communiste, il est temporairement mis à l’écart au sein du parti et est contraint de se conformer à la critique de la social-démocratie vue comme « social-fasciste ». Grâce à sa politique « classe contre classe », Staline parvient à consolider son emprise sur le Kremlin et le Komintern. Dans le cadre de la préparation du nouveau tournant stratégique du Komintern – la politique dite du Front populaire (1935) –, Lahaut est réhabilité en 1934. Entre-temps, en 1932, il avait été élu pour la première fois député dans l’arrondissement de Liège. À la Chambre, il fait partie de la fraction communiste qui compte trois membres. En fonction des intérêts (géo)stratégiques de l’Union soviétique, les différents partis communistes doivent, à partir de 1935, conclure des alliances « antifascistes » avec leurs adversaires sociaux-démocrates. Dans ce cadre, les dirigeants du parti qui avaient mis en œuvre la politique « classe contre classe », Henri De Boeck et Honoré Willems, sont accusés de « sectarisme » et envoyés à Moscou. La politique du Front populaire entraîne la soumission totale des partis communistes européens à la politique étrangère soviétique. Peut-être pas uniquement pour des raisons de santé, Lahaut séjournera en URSS en 1934, 1936, 1937 et 1939.
Lahaut devient le porte-parole de l’« antifascisme » communiste. À cet égard, le PCB aime à rappeler que Lahaut avait déjà empêché une réunion liégeoise de la Légion nationale fasciste de Paul Hoornaert en 1924. En juin 1933, Lahaut déchire le drapeau à croix gammée du consulat allemand lors du Congrès européen contre le fascisme et la guerre à Paris. En 1935, il est condamné pour s’être exprimé lors d’une manifestation devant le pavillon italien de l’Exposition universelle de Bruxelles. L’année suivante, sous l’œil attentif du Komintern (Andor Bereï), Lahaut accède à l’organe suprême du parti, le secrétariat général, composé également de Xavier Relecom (Bruxelles) et de Georges Van den Boom (Flandre). Pendant la guerre civile espagnole, il est à nouveau mis en avant pour incarner l’antifascisme communiste et se rend à Valence et Madrid à la tête d’un convoi de secours, tout en hébergeant des enfants républicains à Seraing. En 1939, Lahaut soutient sans difficulté le très controversé pacte Molotov-Ribbentrop – le « pacte de non-agression » entre l’URSS et l’Allemagne nazie. Désormais, les communistes se contentent d’amalgamer l’« impérialisme fasciste » et l’« impérialisme franco-britannique ». La politique du Front populaire est morte et enterrée. Entre-temps, Lahaut, syndicaliste et « tribun du peuple », est devenu le symbole communiste et « antifasciste » par excellence en Belgique.
L'occupation se prépare
Le pacte Molotov-Ribbentrop met le PCB en difficulté en Belgique, alors qu’en France, le parti frère est purement et simplement interdit par décret dès septembre 1939. Le représentant permanent du Komintern en France, Eugen Fried, s’exile en Belgique. Avec son collègue bruxellois Andor Bereï, la clandestinité se prépare et prend forme. Julien Lahaut, en raison notamment de sa notoriété, n’en fait pas partie. Sa tâche est en quelque sorte de continuer à assurer les « relations publiques » du parti sur le terrain. Avant même l’invasion allemande du 10 mai 1940, le gouvernement belge fait arrêter de nombreux militants et mandataires communistes. Lahaut échappe à cette vague d’interpellations et reprend le 29 mai son mandat de conseiller communal à Seraing, désormais occupé. Le bourgmestre Joseph Merlot et trois échevins ayant quitté la commune, Lahaut exige leur révocation immédiate. Le bourgmestre faisant fonction veut soumettre la question à la députation permanente, mais Lahaut et deux autres se sont déjà fait nommer échevins faisant fonction. Lahaut s’empresse de créer un poste supplémentaire d’échevin du Ravitaillement. Même avant le conflit, la Belgique n’était pas autosuffisante et dépendait des importations de denrées alimentaires. En mai 1939, un service de rationnement a donc été créé au sein du ministère des Affaires économiques. Il est chargé du rationnement de certaines denrées. À partir de 1939, c’est aux communes qu’il revient de distribuer les tickets de rationnement à la population. Après l’invasion allemande et le blocus naval britannique qui s’en est suivi, le rationnement des denrées essentielles est proclamé. Les pénuries alimentaires deviendront un problème pressant sous l’occupation. Une perquisition a lieu au domicile de Lahaut au cours du mois de juin, mais il conserve sa liberté d’action. Le bourgmestre déchu réapparaît en juillet, mais il doit se conformer aux nouvelles circonstances. Jusqu’à l’invasion allemande de l’Union soviétique, en juin 1941, Seraing dispose d’une administration partiellement communiste. En juillet 1940, Lahaut, avec l’accord du Secrétariat général clandestin, décide de se rendre dans le sud de la France non occupée pour y rapatrier prétendument « les jeunes gens et les évacués belges ». L’initiative émane officiellement de l’administration communale de Seraing et est exécutée par la députation permanente de la province de Liège. Un premier convoi de cinq autocars part le 9 juillet et reçoit un laissez-passer des autorités allemandes, Lahaut faisant valoir qu’il y a une pénurie criante de main-d’œuvre à Seraing et dans ses environs. L’Union soviétique n’étant pas encore en guerre contre l’Allemagne nazie, la production pour les autorités d’occupation n’est pas remise en cause publiquement par les communistes. En employant les travailleurs en Belgique, ils espèrent également éviter leur envoi en Allemagne. Le lendemain du départ du premier convoi, l’Assemblée nationale vote les pleins pouvoirs à Pétain, mettant ainsi un terme à la Troisième République. Le Sud de la France tombe sous le contrôle du régime collaborationniste de Vichy. Après la Libération, Lahaut devra répondre en détail de sa démarche singulière. Son discours du 26 juillet 1945 devant la Chambre des représentants sera publié par le parti sous un titre éloquent : Ne touchez pas au parti des fusillés !
En janvier 1941, Lahaut se fait à nouveau remarquer. Le leader de Rex, Léon Degrelle, veut organiser un grand meeting au Palais des Sports dans le quartier ouvrier de Coronmeuse à Liège, mais il est contraint d’abandonner sous la pression d’une foule nombreuse de contre-manifestants. Lahaut doit cependant sa plus grande renommée au rôle qu’il jouera en tant qu’échevin de Seraing dans le cadre de la « grève des 100.000 ».
Le point d’orgue : la « grève des 100 000 »
Pour obtenir un minimum de nourriture, la population doit désormais recourir au marché noir. Le nombre de kilocalories par jour a été divisé par deux pendant l’Occupation. Dans un premier temps, les travailleurs protestent contre le système de rationnement défaillant en se mettant temporairement en grève. À la date symbolique du 10 mai 1941, une foule de femmes mécontentes de Cockerill défile dans les rues de Liège. Le conflit s’étend rapidement à l’ensemble du bassin industriel liégeois, puis à d’autres régions du pays. Avec 60 000 à 70 000 travailleurs, il restera la plus grande grève de la période d’occupation.
Cockerill étant basé à Seraing, Lahaut a le loisir de se distinguer. Les comités de grève sont non seulement reconnus comme interlocuteurs par les autorités communales, mais la question du ravitaillement et de l’érosion du pouvoir d’achat peut également être soulevée au niveau national. Le 13 mai, une délégation de six travailleurs, le directeur général de Cockerill, Léon Greiner et l’échevin Lahaut se rendent auprès du secrétaire général de l’Agriculture et de l’Alimentation. Ce dernier refile la patate chaude aux Allemands, mais fournit à la délégation une lettre d’introduction à cette fin. Les autorités d’occupation refusent cependant de s’engager auprès de la délégation. Quelques jours plus tard, la grève a pris une telle ampleur que l’Oberfeldkommandantur de Liège est néanmoins disposée à faire quelques concessions. Le mouvement de grève s’éteint progressivement.
Mais rien n’est plus comme avant : les employeurs doivent à nouveau tolérer, jusqu’à un certain point, les syndicats à leurs côtés. Une augmentation salariale relativement faible de 8 % met également un terme à la politique salariale du patronat. La Résistance investit également un nouveau champ de bataille. Suite à la fin de la stratégie de Front populaire, avec la signature du pacte Molotov-Ribbentrop, les communistes s’étaient d’abord concentrés sur les luttes internes avec les socialistes au niveau syndical. Désormais, ils vont s’attacher à construire leurs propres structures au niveau de l’entreprise : les Comités de lutte syndicale, qui vont enclencher une dynamique de résistance qui perdurera jusqu’à la Libération. Le prestige et la popularité de Lahaut et des communistes atteignent des sommets inégalés avec la « grève des 100.000 ». Pour l’occupant, les modestes concessions ne peuvent compenser l’importance stratégique de la sidérurgie liégeoise pour l’économie de guerre allemande. Quelques semaines plus tard, l’Allemagne nazie envahit l’Union soviétique.
Le long périple des camps
L’invasion allemande de l’URSS le 21 juin 1941 met un terme aux relations extrêmement tendues entre l’occupant allemand et le Parti communiste de Belgique. Lors de l’opération Sonnenwende (« Solstice » en allemand), menée par le collaborateur flamand Emiel Van Thielen, sous son pseudonyme de Max Günther au sein du Sipo-SD, plusieurs centaines de communistes tombent aux mains des Allemands. Parmi eux se trouvent des cadres clandestins du parti, ainsi que des personnalités comme Julien Lahaut. Le 20 septembre, après plusieurs tentatives d’évasion manquées de la citadelle de Huy, Lahaut est déporté, à 57 ans, à Neuengamme. Il y rencontre des communistes arrivés de Breendonk. Sur un total de 257 prisonniers politiques déportés depuis la Belgique – communistes et non-communistes –, seuls 51 survivront aux camps.
Une enquête plus approfondie est nécessaire, mais les communistes belges sont - comme dans d'autres camps - enrôlés dans des réseaux de solidarité informels qui avaient déjà été mis en place par les communistes allemands. A son arrivée à Neuengamme, Lahaut aurait été « très méfiant » à l'égard de l'idée d'internationaliser ces réseaux. Mais à partir de 1941, les réseaux se structurent et se hiérarchisent. Le communiste belge André Mandrycxs, par exemple, est employé dès le début de l'année 1943 dans le « Arbeitseinsatzbüro ». En tant que « Arbeitsdienst-kapo », Mandrycxs y travaille sous la direction clandestine du communiste allemand Albin Lüdke. Tous deux peuvent sauver la vie de leurs compagnons d'infortune en les faisant transférer dans des camps annexes moins sévères. Cependant, lorsque certaines listes de transport doivent être établies, ils ne peuvent qu'échanger leurs numéros d'immatriculation. L'occupation de ces postes, délégués par les SS, fait l'objet d'une lutte de pouvoir permanente et sans merci .
En juillet 1944, Lahaut est accusé de sabotage et condamné à mort, mais la sentence n'est pas exécutée. Avec trois à six autres communistes belges, il est alors transporté à Mauthausen. Après la guerre, Albin Lüdke affirme qu'il en a été immédiatement informé. Avec Mandrycxs, il n'a cependant pas pu faire plus que d'informer les personnes concernées. Après la libération, Lüdke aurait appris par des communistes belges que six des sept déportés avaient survécu à Mauthausen. D'autres sources révèlent que Lahaut était hébergé à Mauthausen en tant que « cadre précieux » à l'infirmerie. Il y restera jusqu'à la libération du camp par les troupes américaines. Contre les règles de la clandestinité, il a également utilisé ses informations privilégiées et ses privilèges pour sauver la vie d'un non-communiste (Staf Vivijs).
Pour être complet, il convient de mentionner que d'autres activités de résistance communiste ont également eu lieu dans les camps (sabotage, espionnage, etc.). Ce qui précède n'enlève rien à ces activités, mais cherche à les interpréter dans leur contexte historique complexe et ambivalent. Dans plusieurs camps, par exemple, les communistes allemands ont d'abord adopté la politique « classe contre classe » déjà mentionnée. Même par la suite, en particulier à Mauthausen, le fait de laisser survivre des « cadres [communistes] de premier plan » de différents pays a été un élément central de la clandestinité. Compte tenu des rapports de force politiques de l'après-guerre, ce que l'on appelle l'« antifascisme » sera progressivement assorti de références à ce que l'on appelait, dans le cadre de la politique du « Front populaire », les « autres forces démocratiques ». En pleine guerre froide, l'« antifascisme » est bien entendu devenu partie intégrante de l'idéologie d'État de la RDA.
De la présidence d’un parti au pouvoir à la Guerre froide
Lahaut est en mauvaise santé à son retour à Bruxelles en passant par la Suisse et Paris. Le 1er juin 1945, la fanfare de la police communale accompagne sa Joyeuse Entrée à Seraing. Entre-temps, le Parti communiste de Belgique est devenu un parti de gouvernement. Le prestige du Front de l’Indépendance, fondé par le parti, n’y est pas étranger. Après les rafles de 1943, les deux autres membres du secrétariat général d’avant-guerre, de 1936 à 1939), Xavier Relecom et Georges Van den Boom, ont passé un marché – dont le secret sera gardé pendant quarante ans – avec la Sipo-SD lors de leur interrogatoire à Breendonk : la vie sauve pour les dirigeants du parti s’ils parviennent à convaincre trois cadres des Partisans armés arrêtés de fournir des renseignements. Le parti est alors dirigé par le secrétariat général, sous la houlette du cinquantenaire et peu charismatique Edgar Lalmand, sorti de quatre ans de clandestinité. Jusqu’en 1946, l’incontournable Andor Bereï reste très présent. Pour Staline, il est en effet de la plus haute importance que les partis communistes occidentaux s’imposent, dans l’immédiat après-guerre, comme des partenaires gouvernementaux fiables partout en Europe. Il s’agit de préserver sa position de négociation avec les Alliés. L’image soigneusement préservée du PCB en tant que « parti des fusillés » doit être comprise en partie dans ce contexte. Ainsi, à son retour des camps, un véritable « culte de la personnalité » se développe autour de la figure de Lahaut, « le rescapé de Neuengamme et de Mauthausen, le militant éprouvé de la cause du peuple ».
En août 1945, un poste purement protocolaire est même créé à son intention, un fait remarquable, en dehors de l’organigramme formel de tout parti communiste : celui de président. Il s’agit d’un mandat public, mais en interne, Lahaut est également considéré comme la «conscience» du parti. C’est ainsi qu’il préside cérémonieusement les congrès et les réunions du comité central du parti. Surtout celles où les décisions du Secrétariat général, concernant certaines exclusions et autres sanctions à l’encontre de cadres du parti, doivent être ratifiées de manière purement formelle.
Entre 1945 et 1950, Lahaut multiplie les meetings et les manifestations. À partir du 26 juillet 1945, il siège à nouveau à la Chambre des représentants, où il exprime brièvement et avec force la position de son parti dans le cadre de la Question royale : « Sire, allez-vous-en ! ». À l’époque, le PCB, en tant que parti au pouvoir, ne prône en effet que l’abdication de Léopold III et non la suppression pure et simple de la monarchie. Par la suite, les victoires électorales de 1946 ne seront pas à la hauteur des espérances, tant au niveau national que communal. À Seraing, le PCB devient le premier parti, mais Lahaut ne devient pas bourgmestre en raison de l’intervention du PSB.
Avec la Guerre froide qui s’annonce, le PCB quitte le gouvernement en 1947. Dès lors, Lahaut devient le visage du PCB en tant que parti d’opposition. En 1948, la position des syndicats unitaires communistes, au sein de la FGTB fondée en 1945, devient également intenable. La Guerre froide s’installe et le PCB commence à se refermer sur lui-même. En 1948, Lahaut est poussé à se réjouir de la prise de pouvoir des communistes en Tchécoslovaquie. Conformément aux directives de Moscou, Lahaut en vient à affirmer que l’« indépendance » de la Belgique est menacée par l’« impérialisme américain ».
Dans le contexte du Coup de Prague, des plans concrets sont échafaudés à Anvers pour se débarrasser de Lahaut. L’initiative vient de quelques anciens membres de la résistance d’(extrême) droite. Lorsqu’il apparaît qu’un des membres du commando d’assassins n’a pas pu tenir sa langue, le projet est abandonné.
« Vive la République ! »
À partir de 1948, la Guerre froide et la Question royale en viennent à s’entremêler. Au moment où Baudouin, le 11 août, s’apprête à prêter le serment constitutionnel, le cri « Vive la République ! » retentit dans l’hémicycle. Selon la presse de l’époque, ce n’est nullement Lahaut qui a crié le premier, mais bien le député Georges Glineur. À l’époque, Lahaut était bel et bien le visage de la campagne dite « républicaine » de son parti. Dans le cadre de la Question royale, le PCB tente de se démarquer nettement de ses adversaires politiques. Face à l’éventualité d’une délégation de pouvoir de Léopold III à son fils Baudouin, les communistes défendent la suppression de la monarchie. Lorsque le projet de loi sur la délégation de pouvoir est présenté par le Premier ministre Duvieusart, Lahaut l’interpelle en proclamant : « Vive la République ! ». Ce qui est décisif ici, c’est que les socialistes, par la voix de Paul-Henri Spaak, ont toujours vigoureusement nié avoir un agenda républicain caché. En revanche, dans le sillage des prises de pouvoir communistes en Europe de l’Est, le PCB a confirmé dès 1949 son « attachement à une forme de république populaire ».
Julien Lahaut est finalement abattu sur le pas de la porte de son domicile à Seraing le 18 août 1950. Les auteurs ne seront jamais retrouvés, mais des historiens ont montré qu’ils avaient agi sur ordre d’un réseau anticommuniste dirigé par l’ancien résistant André Moyen. Le mode opératoire de l’équipe de tueurs est d’ailleurs tout à fait cohérent avec la manière dont les collaborateurs étaient liquidés durant l’occupation. Le réseau de Moyen avait des liens avec les services de police officiels et était financé, entre autres, par des personnalités de la haute finance belge. En 1948, la branche anversoise du réseau avait déjà été impliquée dans un projet d’assassinat contre Lahaut, mais à partir de 1949, elle a de plus en plus pris la forme d’un réseau de stay behind. Vers 1950, Moyen se trouve cependant dans une situation délicate. Dans l’un des innombrables rapports « secrets » qu’il adresse à ses correspondants, il écrit peu après l’assassinat :
« Nous rapportons ainsi sans commentaire les propos qui se tiennent dans le milieu que nous tenons pour responsable de l’exécution de Lahaut : il s’agit en tout cas d’un groupe apolitique et même antipolitique, patriotique et désintéressé, qui avait cru d’abord n’entrer en lice qu’après l’occupation soviétique. C’est une sorte de synarchie qui a ses gens jusqu’aux enceintes les plus fermées et, pour le cas Lahaut, jusque dans les enquêteurs ».
Avec ce rapport, Moyen a engagé ses mécènes et ses correspondants à le garder à l’esprit, lui et son réseau. Il est fort douteux qu’ils aient planifié le meurtre, et moins encore qu’ils aient agi comme commanditaires. Il semble plutôt qu’avec cet assassinat, Moyen ait en quelque sorte tenté de donner un second souffle à son réseau. La collusion entre le réseau et les forces de police officielles, en pleine Guerre froide, a permis aux auteurs d’échapper aux griffes de la justice.
Après l’assassinat, le « culte de la personnalité » autour de Lahaut prendra une ampleur sans précédent. Selon la gendarmerie, 150000 personnes ont suivi son cercueil le 22 août 1950. Aujourd’hui encore, sa tombe d’un réalisme socialiste accompli est soigneusement entretenue au cimetière de Seraing.
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