A Gallargues-le-Montueux
Le 10 mai 1940 Joseph Rousseaux, alors âgé de 18 ans, est en compagnie des siens : sa mère, ses deux frères et ses deux sœurs. Rapidement, la famille Rousseaux part pour Bruges pour retrouver leur père, mobilisé comme armurier à la Fabrique Nationale à Bruges au démantèlement d’une usine d’armement.
Le 14 mai, Joseph apprend que le gouvernement ordonne aux Belges non mobilisés de 16 à 35 ans de rejoindre des lieux de ralliement pour former les réserves de l’armée dans l’optique d’un conflit long et statique comme en 1914-1918. Il répond à l’appel comme 300. 000 autres jeunes.
La route est longue : à vélo vers Roulers, Ypres et Rouen, puis en train jusqu’à Gallargues-le-Montueux, à côté de Nîmes dans le Sud de la France. Joseph rejoint le XVe Centre de Recrutement de l’Armée belge (CRAB) où il passe près de trois mois. Il loge chez l’habitant, travaille à récolter les melons. L’accueil y est très chaleureux. Loin des siens, l’Anversois tisse des liens étroits avec ses familles d’accueil.
Malheureusement, la réalité de la guerre le rattrape, les armées belges et puis françaises ont capitulé. Le 15 août, il peut retourner à Anvers, sa ville natale où l’attendent l’Occupation et ses réalités.
De retour à Anvers
La vie reprend
A son retour, Joseph Rousseaux découvre une Belgique sous le joug allemand. Le magasin familial d’armes de chasse est fermé, suite à la confiscation des armes par les Allemands, son père doit trouver un autre emploi. Joseph retourne cependant à l’école. En juin 1941, son diplôme de dessinateur industriel en poche, le jeune homme cherche du travail. Il entame sa carrière dans une société sous contrôle allemand : la Mercantile Marine Engineering & Graving. Il se retrouve sur un chantier de réparation naval au port d’Anvers.
Le travail est dur, les semaines sont longues (48 heures) mais la vie continue. Joseph suit des cours du soir de mécanique. Il va régulièrement au cinéma, prend des cours de danse et est chef scout. Cependant, plusieurs menaces planent bientôt sur les Anversois.
Un quotidien menacé
D’abord, les bombardements aériens deviennent de plus en plus fréquents. La Royal Air Force attaque les industries et les infrastructures en Belgique pour perturber l’effort de guerre allemand. Le 5 avril 1943, un drame survient. Les Américains ratent leur cible à Oud-God Mortsel, près d’Anvers. Le bilan officiel est très lourd: 936 morts et 1342 blessés. Un ami de Joseph y échappe de justesse.
Ensuite, la Gestapo est omniprésente. En octobre 1943, Joseph assiste à une descente dans son entreprise. Les casiers sont fouillés, des hommes embarqués.
Progressivement, la menace d’une déportation vers le Reich devient réelle. En octobre 1942, le travail obligatoire en Allemagne est instauré. L’occupant a besoin de main-d’œuvre pour l’industrie de guerre. La Belgique et les autres pays occupés constituent un réservoir de choix. En octobre 1943, après plusieurs reports, le départ de Joseph devient inéluctable. Le mardi 30 novembre, Joseph Rousseaux prend le train de 11h à la gare de Schaerbeek en direction de l’Allemagne et les usines AEG.
Dans les Sudètes
Lorsque Joseph arrive à Berlin le 1er décembre 1943, il ignore tout de sa destination. Après une semaine, les autorités d’AEG l’envoient dans les Sudètes. Le 6 décembre, Joseph arrive dans la petite localité de Bensen. En chemin, il fait la connaissance avec Peter Moyson, un Belge réquisitionné dans la même usine. C’est le début d’une longue amitié.
A Bensen, Joseph s’estime privilégié. Les journées sont longues mais il apprécie son supérieur, Carl Vogt, qui, selon lui, traite aussi bien les étrangers (Belges, Italiens ou Néerlandais) que les Allemands.
Malgré les différentes nationalités, des liens se tissent. Joseph rencontre Herbert Ziegler, un Autrichien avec qui il entretiendra une longue amitié. Hommes et femmes se rencontrent, bravant les interdits nazis. Joseph se lie d’amitié avec une secrétaire du bureau d’études, Ilse, une jeune Allemande, qui deviendra l’épouse de son ami Herbert.
Les travailleurs déportés ne sont pas considérés comme des prisonniers de guerre et ont donc du temps libre. Ainsi Joseph peut aller au cinéma, visiter des villes comme Dresde ou bien encore aller au restaurant.
Cependant, la guerre n’est jamais loin. Suite aux nombreuses défaites allemandes, les cadences de travail augmentent jusqu’à 72 heures/semaine. Un transistor fabriqué en cachette relaye la nouvelle du débarquement de Normandie. Puis le courrier distribué par la Croix-Rouge n’arrive plus, en raison de la libération de la Belgique. Joseph entend avec inquiétude que des V1 et V2 lancés par les Allemands tombent sur Anvers. Le 5 décembre 1944, un responsable l’appelle dans son bureau. Joseph a ordre de quitter Bensen le lendemain pour Berlin, un an jour pour jour après son arrivée.
La chute de Berlin
A Berlin, on est loin de la tranquillité de Bensen. Joseph est affecté à l’usine AEG de Reinickersdorf Son quotidien est rythmé par les alertes aériennes et la pénurie. Il loge dans une famille berlinoise, dont la mère le traite comme son fils.
Début février, la fièvre s’ajoute au quotidien difficile de Joseph. Le 23 février 1945, l’usine est touchée par une bombe. Joseph vit de près les bombardements, le chaos et la destruction.
Fin mars, Joseph est toujours malade. Il a 40° de fièvre. Sa situation est critique. Le médecin diagnostique une bronchite mais n’a guère d’espoir : « Vous restez 5 jours au lit sans sortir- à vous décider : ou bien vous mourrez de votre bronchite ou bien vous mourrez sous les bombardements ! ». Heureusement, sa logeuse l’aide et parvient à lui trouver de l’aspirine pour apaiser un peu sa douleur.
Le 16 avril, les Soviétiques sont aux portes de Berlin. Aux bombardements anglo-américains s’ajoutent les lance-roquettes soviétiques. Rapidement, c’est le chaos. L’usine n’est plus en activité mais sert de lieu de ralliement pour les travailleurs déportés. Le danger est partout : un travailleur italien est abattu par un tireur d’élite en regardant à la fenêtre. L’usine ferme. Les dernières provisions sont distribuées aux travailleurs laissés à eux-mêmes.
Le 2 mai, Berlin capitule. Le 7 mai, les Soviétiques, maitres de la ville, réunissent tous les étrangers à Berlin pour un futur départ. Joseph prend sa valise et dit au revoir à sa logeuse qui l’avait aidé.
Le chemin du retour
L’Allemagne a capitulé mais Joseph doit encore attendre un mois avant de pouvoir rentrer en Belgique. En effet, les travailleurs déportés constituent une monnaie d’échange pour l’armée soviétique (10 Occidentaux contre 15 Russes travaillant à l’Ouest).
Le plus important pour Joseph est de ne pas être pris pour un Allemand pour ne pas être emprisonné par les Soviétiques. Avec les moyens du bord, Joseph se fabrique un brassard aux couleurs belges.
Le 10 juin, l’échange a lieu. Il est alors interrogé par les Américains. Vous êtes d’Anvers ? « Question : combien de gares importantes, y a-t- il à Anvers ? Réponse : Gare Centrale, Gare de l’Est et du Sud. Q : Comment s’appelle l’avenue en face de la gare Centrale. R : avenue De Keyser. Q. Quelles sont les 2 principales équipes de football d’Anvers. R : Beerschot et Antwerp. OK» .Joseph peut partir en train vers la Belgique.
Le 14 juin, après dix-huit mois d’exil, Joseph rentre en Belgique. Il est interrogé par des officiers belges pour s’assurer qu’il n’est pas parti volontairement et peut, malgré l’interdiction, donner de ses nouvelles à ses parents, via une infirmière de la Croix-Rouge. Le 16 juin enfin, Joseph descend du train à la gare de Berchem-Anvers et peut rentrer chez lui.
De retour en Allemagne
Malgré la capitulation, la guerre n’est pas finie pour Joseph. Recrue de la classe 1921 ? Il entame son service militaire en septembre 1945. Après une formation rudimentaire, il est envoyé à la frontière germano-belge au Service de Distribution du Charbon ( SEDICHAR). Joseph est chargé de surveiller les prisonniers de guerre allemands réquisitionnés dans les mines, puis en Allemagne dans les ports charbonniers de la Ruhr (Ruhrort-Duisburg) contrôler les trains de charbon. Le charbon allemand est envoyé en Belgique pour chauffer les maisons et relancer l’industrie. En septembre 1946, le service militaire de Joseph prend fin. Il peut enfin reprendre le cours de sa vie. Il avait 18 ans au début du conflit, il en a désormais 25.
Souvenirs
Joseph Rousseaux a poursuivi son existence. Il s’est marié en 1956, a eu deux enfants et désormais cinq petits-enfants. Son expérience de guerre l’a profondément marqué. De cette époque, il conserve des liens : avec ses familles d’accueil à Gallargues-le-Montueux qu’il reverra régulièrement en été, en vacances avec sa famille ; avec Peter Moyson qui est toujours resté son ami ; avec Herbert Ziegler devenu le parrain de sa fille et même avec Carl Vogt, son supérieur dans les Sudètes.
Bibliographie
Strobbe, Karel, Pieter Serrien, and Hans Boers. Van Onze Jongens Geen Nieuws : De Dwaaltocht van 300.000 Belgische Rekruten Aan Het Begin van de Tweede Wereldoorlog. Antwerpen: Manteau, 2015.
Rousseaux, Joseph. Mémoire de guerre (Inédité)