Débats

La Convention sur le génocide et la Belgique, 1948-2018

Auteur : Rovetta Ornella (Institution : Docteure en histoire, ULB)

Le 9 décembre 1948, l’Assemblée générale de l’ONU adoptait la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, dotant la communauté internationale d’un nouvel outil juridique. Elle définit quatre groupes protégés : ethnique, national, religieux et racial. Le mot « génocide » avait été inventé  en 1944 par le juriste polonais Raphael Lemkin (Lemkin 1944) pour désigner le génocide des Arméniens en 1915 et celui des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale. Pour Lemkin, la Shoah résultait en effet d’un ensemble de « techniques de génocide » qui « [dépassait] les concepts de crimes de guerre définis par les conventions de la Haye » (Ternon and Becker 2016, 81).

 

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Ornella Rovetta

Docteure en histoire (ULB), chercheuse post-doctorante au Centre de recherche "mondes modernes et contemporains"

De la justice belge …

À Nuremberg, deux ans plus tôt, Lemkin avait échoué à faire reconnaître le nouveau concept. Si le mot « génocide » apparaît dans l’acte d’accusation, le verdict omet la nouvelle incrimination (Sands 2016).

En 1948, les procès de criminels de guerre viennent de débuter devant les juridictions militaires belges. La Belgique est partie à la Charte de Nuremberg et a signé la Convention sur le génocide en 1949. Pourtant, ses tribunaux ne feront pas usage des outils juridiques nouvellement adoptés, craignant de déroger au principe de non-rétroactivité et estimant le droit existant suffisant (Weisers 2014; Wouters 2007). Sur les trente-cinq procès conduits contre des criminels de guerre après 1945, certains portent sur le génocide sans se référer à sa définition juridique – en particulier celui d’Otto Siegburg (1949), mais aussi celui de Max Boden (1950). 

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Légende d'origine : Le vote de l'ONU sur le génocide, Le Soir, 11 décembre 1948

…au Tribunal Pénal International pour le Rwanda

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C’est le Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), créé en novembre 1994, qui, le premier, se fonde sur la Convention de 1948. Entre-temps, les crimes contre l’humanité (y compris le génocide) et les crimes de guerre ont été déclarés imprescriptibles au plan international. Dans le procès de Jean-Paul Akayesu débuté en 1997, le TPIR a prononcé une condamnation à l’emprisonnement à vie pour génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide et crimes contre l’humanité. Les juges ont ajouté aux actes de génocide repris dans la Convention, le viol, défini pour la première fois comme acte constitutif du crime de génocide. Ce jugement prononcé le 2 septembre 1998, cinquante ans après l’adoption de la Convention, marque le début d’une nouvelle ère dans l’histoire du droit pénal international.

La « compétence universelle » devant les tribunaux belges

En 1993, la Belgique a adopté une loi dite de « compétence universelle » permettant de poursuivre les infractions graves aux Conventions de Genève de 1949 et aux Protocoles additionnels de 1977 (David 2008; Meire and Vandermeersch 2011). Fait remarquable, le crime de génocide n’y figure pas ; la Convention de 1948 n’est toujours pas intégrée au droit belge. Lorsque s’ouvre le premier procès « Rwanda » devant la cour d’assises de Bruxelles en 2001, les jurés doivent établir si les quatre co-accusés sont coupables d’homicides perpétrés dans le cadre d’un conflit armé non international. Le terme génocide est absent de ce procès, dont tous savent pourtant qu’il est le procès du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994. Alors que la Belgique a été l’une des premières à mener des enquêtes au Rwanda dès 1995, le ministère public opte pour une sécurité judiciaire devant la cour d’assises en omettant l’incrimination de génocide, intégrée au droit belge seulement après 1994.

 

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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : Droits réservés

Les ressources judiciaires en ligne

La Convention de 1948 devait non seulement permettre de traduire en droit international les poursuites engagées jusqu’alors sous d’autres qualifications (crimes contre l’humanité, crimes de guerre) contre les responsables de la destruction des Juifs d’Europe, mais aussi prévenir de futurs génocides.

L’inculpation de génocide a fini par incarner le crime des crimes devant la conscience de l’humanité, motivant l’ambition de rajouter de nouveaux épisodes historiques aux trois génocides les plus connus : crimes des Khmers Rouges ou de la dictature militaire argentine, massacres des Grecs d’Anatolie ou des Polonais d’Ukraine. Les archives judiciaires belges en ligne sur les Legal Tools montrent pourtant que la reconnaissance du crime passe avant tout par l’enquête et la production de preuves, quelle que soit la qualification pénale retenue in fine dans le jugement. En valorisant les collections méconnues produites au cours des procès et enquêtes belges entre 1914 et 2014, le projet « Jusinbellgium » espère contribuer à l’histoire de la justice pénale internationale.

Bibliographie

David, Eric. 2008. Principes de droit des conflits armés. Quatrième édition. Bruxelles: Bruylant, Ed. de l’ULB.

Lemkin, Raphael. 1944. Axis Rule in Occupied Europe; Laws of Occupation, Analysis of Government, Proposals for Redress. Washington: Carnegie endowment for international peace.

Meire, Philippe, and Damien Vandermeersch. 2011. Génocide rwandais: le récit de quatre procès devant la Cour d’Assises de Bruxelles. Les dossiers de la revue de droit pénal et de criminologie. Bruxelles: La Charte.

Sands, Philippe. 2016. East West Street: On the Origins of “Genocide” and “Crimes against Humanity.” Vintage Books.

Ternon, Yves, and Annette Becker. 2016. Génocide. Anatomie d’un Crime. Le Temps Des Idées. Paris: Armand Colin.

Weisers, Marie-Anne. 2014. “Juger Les Crimes Contre Les Juifs : Des Allemands Devant Les Tribunaux Belges, 1941-1951.” Thèse de doctorat sous la direction de Pieter Lagrou, Bruxelles: Universite Libre de Bruxelles.

Wouters, Nico. 2007. “La Persécution Des Juifs Devant Les Juges Belges (1944-1951).” In La Belgique Docile. Les Autorités Belges et La Persécution Des Juifs En Belgique Durant La Seconde Guerre Mondiale, 817–1053. Bruxelles: Luc Pire, Cegesoma.

 

Sources

RCN Justice et Démocratie. 2001. “Assises Rwanda 2001. Compte Rendu Intégral Du Procès.” 2001.

Jusinbellgium, A century of pioneering case-law. A digital database of Belgian precedents of international justice, 1914-2014, is an interdisciplinary four-year (2015-2019) research project supported by the Belgian Science Policy and involving four partners: the Université libre de Bruxelles (Pieter Lagrou and Ornella Rovetta), the Belgian State Archives (Delphine Lauwers and Paul Drossens), the KU Leuven University (Hendrik Vandekerckhove and Jan Wouters) and the Philipps-Universität in Marburg (International Research and Documentation Center for War Crimes Trials, Wolfgang Form). The central aim of the project is to identify, describe and digitize judicial records produced by Belgian jurisdictions in the context of post-conflict processes from 1914 to 2014. By doing so, it seeks to contribute to a critical history of the role of justice after mass violence and war.

Legal Tools : On behalf of the Jusinbellgium project, the Université libre de Bruxelles has signed a cooperation agreement with the Office of the Prosecutor of the International Criminal Court and is now an official partner in the Legal Tools Database project. The ICC Legal Tools is a central database for past and current international criminal law. It specifically focuses on core international crimes cases (involving war crimes, crimes against humanity, genocide or aggression). The Jusinbellgium project’s archival collections is hosted in the “national jurisdictions case-law” collection.

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La Convention sur le génocide et la Belgique, 1948-2018
Auteur : Rovetta Ornella (Institution : Docteure en histoire, ULB)
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