Destins de Guerre

Vos Nelly (ép. Mousset) (1906-1987) et Hwang Nadine (1902-1972)

Thème - Résistance

Auteur : Pahaut Claire (Institution : Historienne - Groupe Mémoire - Groep Herinnering")

Nelly Vos est née l’été 1906, à Ixelles, comme la plupart des membres de sa famille. Sa mère, Maria Fabry est couturière et son père Louis Vos est sculpteur en marbre. Nelly a un frère, de deux ans son cadet. La famille loge au 384 de la chaussée de Boondael, au-dessus de la blanchisserie « La Petite Suisse » dans un quartier qui ne manque pas d’animations. Dès son plus jeune âge, Nelly n’a qu’une passion : le chant. Elle se produit à la kermesse locale. Les chants naissent en elle et elle se plaît à les offrir. Son-grand-oncle lui a fait écouter les compositeurs lyriques. Cette enfance empreinte de douceur et de tendresse est cependant troublée par la Première Guerre mondiale : « L’invasion de la Belgique par les Allemands, le 4 août 1914, nous a fort impressionnés mon frère et moi. J’avais 8 ans, Charles, 6. On nous racontait la guerre. Deux mots nouveaux revenaient dans la conversation des grandes personnes, deux mots dont je ne saisissais pas le sens mais qui me paraissaient sinistres : « ultimatum » et « obus » que mon oncle prononçait en faisant sonner le « s » final, ce qui était plus effrayant encore »… Par la suite, Nelly devient professeur de chant. Et pour parfaire sa formation générale, elle présente, avec succès, l’entrée en Philosophie et Lettres à l’ULB. Nelly épouse Édouard Mousset. Avant de divorcer, le couple a deux enfants : Claire née en 1927 et Claude, née en 1931. 

Une entrée précoce en résistance

Nelly et Charles, devenu architecte-géomètre, sont, dès 1941, sensibilisés aux valeurs de la résistance à l’occupant par des amis de leur père, le colonel BEM Édouard Siron et le lieutenant-colonel de génie BEM Henri Bernard.

Recruté par le colonel Siron en avril 1941, Charles Vos s’affilie, le 1er juillet 1942, au "Corps Franc" comme agent de liaison. Il transmet des renseignements aux aérodromes et au service cartographique et réalise les plans des fortifications. Il est arrêté le 29 avril 1943 par la Geheime Feldpolizei (GFP), au lendemain de la grande vague d’arrestations de l’état-major du "Corps franc" à Robermont. Emprisonné à Saint-Gilles puis déporté en Allemagne, à Gross-Rosen, il meurt le 21 novembre 1944.

De son côté, Nelly est agent du service de renseignement « Luc », dès la fin 1940, à la proposition du lieutenant-colonel Henri Bernard.

Son métier de cantatrice qui la conduit à travers la Belgique, la France, la Suisse et l’Allemagne la rend utile dans le transfert de renseignements. Et, à partir d’octobre 1942, le colonel Siron l’intègre à la Zone I du "Corps Franc", comme agent de liaison. Ses missions ne sont pas sans risques. Elle est épiée, suivie, surveillée et, bientôt, sa réputation est ébranlée. Devait-elle refuser l’invitation des directeurs de la radio allemande à chanter à Berlin, en mars 1943, « avec d’autres artistes, tant instrumentistes que chanteurs » ? Elle en arrivera à devoir en répondre, après la guerre, devant la "Commission de Contrôle des Prisonniers Politiques", rue Belliard à Bruxelles, sur base d’accusation de « complot militaire et intelligence avec l’ennemi et de gain ». Sa défense est virulente. Sa conclusion très claire : « Si l’on en est à accuser les victimes, le temps n’est pas loin de récompenser les coupables ».

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Institution : Service des Victimes de Guerre/Archives de l'Etat
Droits d'auteur : © arch.be
Légende d'origine : Etat de service de madame VOS Nelly divorcée Mousset, Dossier 111779, AS Zone 9 4, Refuge Action,

Trahison et arrestation

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Institution : Gallica
Collection : Agence Rol
Légende d'origine : Prison de Fresnes, 1913.

Mais l’engagement en résistance reste semé d’embûches. La répression, la trahison guettent ; des résistants ne se montrent pas toujours suffisamment méfiants et certains traîtres sont particulièrement redoutables. C’est par l’entremise du colonel Siron, lui-même piégé, que Nelly Mousset fait la connaissance de Florentine Giralt qui n’est autre que la maîtresse du tristement célèbre Prosper Dezitter, responsable d’un nombre incalculable d’arrestations. Nelly se voit chargée d’une mission pour le compte du "Corps Franc". Ce groupe souhaite en effet récupérer des documents relatifs à la ligne de défense K.W. du 17 mai 1940 conservés dans le Midi de la France. La mission va être confiée à Nelly Mousset. Par sécurité, Siron propose de faire accompagner Nelly par un membre du groupe dit « anglais ». Il s’agit en fait de la stratégie de camouflage utilisée par Dezitter qui se fait passer pour un agent britannique. C’est Charles Jennart qui est chargé d’accompagner Nelly. En réalité, l’homme est un complice de Dezitter. Le voyage est programmé fin avril 43. Jennart n’accompagne pas Nelly Mousset au-delà de Paris. Elle descend seule dans le Sud et prend possession des documents, objet de sa mission. Au retour, elle est arrêtée, le 28 avril 1943, par la GFP à Paris, pour détention de documents et intelligence avec l’ennemi.

 « J’ai été arrêtée devant le buste de Molière, rue de Richelieu, près du Jardin du Palais royal. Halt Polizei ! J’étais ravie au monde ». 

Nelly Mousset est emmenée à la prison de Fresnes et enfermée dans une cellule d’attente au sous-sol.

Le passage dans plusieurs prisons allemandes confirme qu’elle est classée NN, d’où l’isolement en cachot, dès le départ. Elle est considérée comme une grande « terroriste ». Nelly entreprend très vite la mise par écrit presque quotidienne de son temps de détention. Elle ne parle pas des horreurs des prisons : « C’est déjà bien assez de les subir. Puis il fallait toujours envisager la possibilité d’une fouille, d’une confiscation » (juillet 1943).

Écrire le rêve lui restitue l’intensité de ses sentiments de joie comme de peine. Écrire les souvenirs, dans l’espoir de les revivre : « Chanter l’amour. Toute la prison chante l’amour. L’amour qui reste le grand moteur des actes héroïques, pour le pays, pour l’ami, pour le mari, pour l’amant ».

Déportation à Ravensbrück

Fin 1944, elle est emmenée à Ravensbrück. Comme toutes les déportées, Nelly Mousset découvre le camp, à l’arrêt du train. Un ciel gris, le lac, des SS animés d’une « étrange colère ». Les vêtements arrachés, la fouille, une robe de coton ; « je suis poussée dans la nuit et le froid ». L’appel, les pieds dans la boue, douze heures de pluie glacée. La scène se passe le 1er décembre 1944.

Sans attendre, elle charge et décharge des wagonnets de sable ou de charbon ; sans trêve, elle transporte des bacs de rutabagas si lourds ; puis se voit envoyée à l’usine Siemens. Des ateliers bien illuminés, à peu près chauffés, le paradis. Nelly reprend des forces. Le travail se fait heureusement au ralenti. Le courant se coupe. Les centrales sont bombardées.

Les jours s’écoulent, jusqu’à Noël. Pour la circonstance, Nelly a promis de chanter les Noëls d’antan. Mais Ravensbrück sonne aussi l’heure de sa rencontre avec Nadine.

En se partageant leur quotidien, Nelly Mousset et Nadine Hwang transcendent les peurs et la mort partout présentes. C’est la victoire de la tendresse sur les bourreaux. Nadine prénomme Nelly de son nom de guerre : « Claire ». S’appropriant cette intimité comme un bien précieux.

Mais Nelly s’affaiblit des presque deux ans de déportation. La peur d’un transport l’envahit. « Être séparée de Nadine ».

De Ravensbrück, des déportées sont emmenées à Mauthausen. Les wagons à bestiaux avalent les déportées, les entassent, les bousculent les unes sur les autres. Tout se mêle durant cinq jours et cinq nuits ; ces corps de femmes, la puanteur, les gémissements. Le train s’arrête à Mauthausen. La gare est en bas ; le camp construit au sommet. La nuit s’éclaire de la neige. Le cortège d’ombres de femmes se met en route. Le grand silence est à peine troublé par la balle qui achève celles qui peinent, qui plient, qui tombent. C’est la balade des âmes oubliées. Nelly Mousset arrive épuisée à Mauthausen. Le corps se vide et l’esprit se perd. Mais l’univers concentrationnaire continue de l’anéantir et de la broyer.

Nelly termine sa déportation dans des fièvres hallucinatoires. Le 20 avril 1945, elle quitte les murailles du camp de Mauthausen. Elle se retrouve à Saint-Gall, en Suisse, où elle reçoit les soins nécessaires avant rapatriement. Ce convoi compte environ 750 NN, dont 231 Belges, des Françaises et des Néerlandaises.

 

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Institution : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Photo_a%C3%A9rienne_Ravensbr%C3%BCck.jpg
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Photo aérienne du camp de Ravensbrück
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Institution : Swedish Red Cross
Légende d'origine : Femmes sélectionnées pour être transportées par la Croix-Rouge, s.d. (avril 1945)

Son parcours concentrationnaire

Prisons de Fresnes, 28.04.1943 ; StGilles, 10.05.1943 ; Essen, 02.07.1943 ; Kreuzburg, 25.11.1944 ; Camps de concentration de Ravensbrück, 01.12.1944 ; Mauthausen, 07.03.1945.

Le début d’une nouvelle vie

Après la Libération, Nelly Mousset et Nadine Hwang se cherchent pendant presque deux ans. Elles vont se recroiser à Bruxelles. En 1950, elles font le choix de partir à Caracas. Nelly retrouve sa voix et se produit, entre autres, à la Maison d’Italie. Un long temps de vie, ensemble, vingt ans. Mais le retour à Bruxelles s’impose. Nadine est gravement malade. Elle décède le 16 février 1972; Nelly, le 4 février 1987.

Son engagement a valu à Nelly quantité de médailles honorifiques : la Médaille commémorative de la guerre 1940-45 avec deux éclairs entrecroisés, la Croix de guerre, la Croix du Prisonnier Politique cinq étoiles, la Médaille de la Résistance et l’Ordre de Léopold II. 

Nelly & Nadine

Impossible d’évoquer l’engagement de Nelly Vos sans aborder sa rencontre avec Na-Ting Hwang. Cette dernière est née à Madrid, le 9 mars 1902 d’un père chinois, diplomate et mandarin en poste à Madrid depuis 1896. Son père est connu comme un homme ouvert d’esprit et affable. En 1901, il épouse Juliette Brouta-Gilliard, issue de la noblesse belge, en séjour d’été à San Sebastian, au pied des Pyrénées basques. Na-Ting a une sœur, Ma-Cé Hwang, née à Cuba en 1905. C’est une famille à mi-chemin entre la culture chinoise et européenne, installée à Madrid, au milieu du XXe siècle. En 1913, le père, Lü-He Hwang est rappelé en Chine, à la direction des affaires européennes du ministère des Affaires étrangères. Toute la famille quitte l’Espagne pour s’installer à Pékin où elle continue d’évoluer au sein d’une élite politique, intellectuelle, artistique et mondaine. 

Nadine Hwang poursuit sa scolarité à Pékin, dans un établissement international dirigé par des religieuses françaises. Elle s’inscrit ensuite à un cursus de droit par correspondance dans une université américaine : le Hamilton College à Chicago. Elle devient avocate. Nadine passe ainsi sa jeunesse à Pékin. Elle est polyglotte. Le castillan reste le souvenir de son enfance ; elle parle couramment le français et le mandarin, l’espagnol et l’anglais. Elle aime porter des vêtements masculins ; image du petit garçon que ses parents souhaitaient. Elle s’adonne à de nombreux sports. Nadine Hwang entame, en 1920 une carrière en politique et dans le monde des affaires. Au début des années 1930, la Chine est menacée par des bouleversements politiques internes, Nadine Hwang laisse derrière elle la dictature naissante de Tchang Kaï-chek et quitte Shanghai pour la France. À Paris, elle se fait connaître. On signale sa présence à des galas, à des réceptions. Elle noue des contacts avec les artistes et les écrivains. Elle apparaît ponctuellement dans des journaux de mode. Elle fait ainsi la connaissance de Natalie Barney, femme de lettres américaine d’origine juive, qui marque le Tout Paris par son indépendance d’esprit, sa vie amoureuse, sa fortune et son salon littéraire.

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Collection : Foto La Línea del Horizonte
Légende d'origine : La famille Hwang, s.d. (avant 1912)
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Légende d'origine : Nadine Hwang en uniforme de colonel de l'aviation, revue "Estampa", 1929
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Droits d'auteur : © Fond Sylvie Bianchi
Légende d'origine : Natalie Clifford Barney, Romaine Brooks et Nadine Hwang à Paris - années 1930

Des vies bouleversées par la guerre

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Droits d'auteur : © SHD Caen
Légende d'origine : Fiche médicale Nadine Hwang 18 05 1944 Entrée à Ravensbrück
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Institution : https://commons.wikimedia.org/
Légende d'origine : Arrivée de Nadine Hwang à Malmö, 28 avril 1945

La Seconde Guerre mondiale les rattrape et les sépare. Nadine Hwang quitte Paris et s’installe à Saint-Jean-de-Luz. C’est un lieu connu des chaînes d’évasion utilisées notamment par la ligne Comète dirigée par Andrée De Jongh. Nadine devient l’une de ces hébergeuses clandestines. Elle est arrêtée le 12 janvier 1944 et conduite à la prison de Biarritz. Patrouille allemande ? Garde civile ? Nous l’ignorons. La raison de son arrestation est claire : « Détention de sécurité ». Son crime étant d’avoir porté atteinte à la sécurité du Reich. En aidant des aviateurs alliés à fuir le territoire occupé, elle est devenue une « terroriste » condamnée à la déportation politique ; pour les femmes, au camp de Ravensbrück.

Prisonnière politique, elle suit le parcours classique vers les camps nazis. De Biarritz, elle est emmenée à la prison de Fresnes le 23 mars 1944 ; puis au fort de Romainville, le 16 avril 1944 ; elle passe par le nœud ferroviaire de Sarrebruck le 13 mai 1944 et entre au camp de Ravensbrück le 18 mai 1944, avec le triangle rouge des politiques et le matricule 39233. C’est là qu’elle rencontre Nelly Mousset, en décembre 1944. Malheureusement, au début du mois de mars 1945, Nelly est intégrée au « transport » des NN Belges pour Mauthausen.

Nadine est évacuée du camp en avril 1945. Dans la nuit du 23 au 24 avril, un convoi du CICR entre à Ravensbrück ; des simples camions bâchés, sans le sigle de la Croix-Rouge. Ils emmènent environ 1.500 prisonnières belges, françaises et néerlandaises vers Malmö, en Suède. Des camions de l’armée allemande se glissent dans le convoi. Des Alliés, aux abois, mitraillent à bout portant la colonne et des prisonnières de deux camions sont blessées mortellement. Nadine Hwang est de celles qui arrivent indemnes à Malmö le 28 avril 1945. Elle est placée, avec des réfugiées, au Musée de Malmö, l’ancien château de Malmöhus.


L’arrivée des survivantes du camp de Ravensbrück ne passe pas inaperçue. La presse est présente. Et le visage de Nadine apparaît sérieux et typé. En 2007, le cinéaste Magnus Gertten se plonge dans les archives. Il produit avec Lennart Ström, les documentaires Harbour of Hope (Suède, 2011) et Every face has a name  (Suède, 2015). Ils lancent un appel à témoins et avancent dans la production. Ils croisent la route de Sylvie Bianchi, la petite-fille de Nelly et reconstituent l’histoire de Nelly & Nadine ; prix du meilleur documentaire aux Teddy Awards 2022.

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Bibliographie

Francis BALACE, « Aspects de la Résistance en Province de Liège », dans Nos libertés retrouvées, La Mémoire, Province de Liège, Service des Affaires culturelles, 1994.

Juan Carlos Jimenez DE ABERASTURI, En passant la Bidassoa, Le réseau Comète au Pays Basque, (1941-1944), Traduction Jean Crouzet, Biarritz, 1996

Marcela DE JUAN, La Chine que j’ai vécue et aperçue, Prologue, édit. La Línea del Horizonte, coll. Voyages littéraires.

Magnus GERTTEN, Nelly & Nadine, film, 1h32, Belgique/Norvège/Suède, 2022,

Victor MARQUET, Contribution à l’histoire de l’AS, Historique Corps Franc, chap. 1 et 3, 1986.

Nelly MOUSSET-VOS, Les Cahiers de Nelly, 5 Cahiers, 1943-1973 et Le Journal complet Nelly Mousset-Vos, 1943-1945, mss, arch. Sylvie Bianchi.

 

Pour citer cette page
Vos Nelly (ép. Mousset) (1906-1987) et Hwang Nadine (1902-1972)
Auteur : Pahaut Claire (Institution : Historienne - Groupe Mémoire - Groep Herinnering")
https://www.belgiumwwii.be/destins-de-guerre/vos-nelly-ep-mousset-1906-1987-et-hwang-nadine-1902-1972.html