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« Les Enfants de la collaboration » : Témoins et historiens: de la complémentarité des regards?

Thema - Collaboratie - Herinnering

Auteurs : Aerts Koen (Instelling : Docent geschiedenis en onderzoeker (UGent en Studie- en Documentatiecentrum Oorlog en Hedendaagse Maatschappij - OD4 Rijksarchief) ) - Kesteloot Chantal (Instelling : CegeSoma)

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Koen Aerts

UGent/CegeSoma (Archives de l'Etat)

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Chantal Kesteloot

Responsable "Histoire publique", CegeSoma/Archives de l'Etat.

Pendant plusieurs jours, l’émission « Les enfants de collaboration » a fait l’objet d’une intense campagne de promotion médiatique dont témoignent les nombreux articles parus dans les principaux quotidiens et hebdomadaires belges tant francophones que néerlandophones.

Cette émission, dont l’initiative est due à l’historien Koen Aerts (UGent/CegeSoma) se veut l’alter ego de la série flamande « Kinderen van de collaboratie ». Cette série, diffusée sur Canvas (VRT) en 2017, se composait de six épisodes donnant la parole aux témoins et d’une septième qui donnait la parole à deshistoriens. Trois ans plus tard, la RTBF a enfin proposé à son tour un documentaire donnant la parole aux enfants et petits-enfants de collaborateurs francophones et germanophones. On ne peut que se réjouir de l’initiative.

La collaboration, un tabou ?

L’idée était de laisser, à travers les six émissions, la parole aux seuls témoins, « enfants de… », sans répliques ou recadrages immédiats. La dernière émission avait pour objectif de mettre les acquis de la recherche historique à la portée du grand public. Car s’il est un constat qu’il faut faire, c’est celui du fossé qui existe entre les représentations sociales du passé – et surtout lorsqu’il s’agit d’un passé controversé – et les acquis de la recherche. Pour chacune des séries considérées (« Kinderen van de collaboratie/verzet/Holocaust/colonisatie »), cet ultime épisode a connu un large succès et suscité de nombreuses réactions du public, souvent étonné de prendre connaissance des avancements de la recherche historique et des nouvelles approches du passé qu’elle propose.

Mais pour que cet équilibre puisse être atteint, encore faut-il donner à chacune des dimensions – celle des témoins et celle des historiens – une véritable place. S’agissant de la collaboration, chacun s’accorde sur la complexité du phénomène auquel s’ajoute, côté francophone, l’idée d’un « tabou qui serait enfin levé ». Il faut en effet reconnaître qu’il est plus difficile d’évoquer la collaboration dans le sud du pays même si, paradoxalement, le nom de Léon Degrelle est bien plus connu que celui de n’importe lequel des résistants et que la collaboration militaire a été l’objet de divers ouvrages apologétiques. Les anciens légionnaires sont les premiers à avoir écrit leur histoire, relayés ensuite par des journalistes et autres publicistes. Les médias ont aussi, plus tardivement, donné la parole à Degrelle. Si la RTB a longtemps interdit d’antenne le chef de Rex – les interviews de Jacques Cogniaux et de Pierre Desaive en 1977 n’ont jamais été diffusées – celles de Maurice De Wilde (dans la série « L’Ordre nouveau » diffusée en français en 1984) ont été suivies d’un débat d’historiens. En 2010, le documentaire de Philippe Dutilleul (RTBF), Degrelle ou la Führer de vivre avait été diffusé en prime time sur la chaîne de service public. Il reposait essentiellement sur le témoignage du principal intéressé et de ses proches sans commentaire ni éclairage historique. Difficile donc d’admettre que l’on était encore et toujours dans le tabou. Mais la collaboration ne se résume pas à Degrelle qui en est sans doute un des personnages les plus atypiques. L’émission diffusée le 25 novembre a donné la parole à six témoins bien différents, l’un issu des cantons de l’Est et les autres, enfants et petits-enfants, de collaborateurs engagés dans la collaboration politique, économique, militaire ou encore dans la délation. Leur témoignage et leur ressenti étaient largement inédits. Certains découvraient, pour la première fois, le dossier de condamnation d’un membre de leur famille avec tout ce que cela peut signifier.

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Témoins et historiens, de la complémentarité des regards ?

Si la partie témoignages méritait plus qu’une émission, force est de reconnaître la difficulté du réalisateur Tristan Bourlard et de la journaliste Anne-Cécile Huart de trouver des descendants acceptant de se confier face caméra. Difficile donc d’imaginer une série en six épisodes à l’instar de la VRT. Néanmoins, laisser la parole aux seuls témoins laisse aussi le questionnement dans un registre qui est bien plus celui de la mémoire que de l’histoire. Le sujet ne méritait-il pas « mieux » ou plutôt « plus » ? A l’origine, et toujours dans la logique de la série initiale, le regard des témoins devait être suivi de celui d’historiens. La RTBF a choisi de ne pas diffuser en télévision le documentaire « regards d’historiens » pourtant bel et bien réalisée par Tristan Bourlard. Le triptyque de trois fois 20 minutes se voit relégué sur Auvio. Certes, la plateforme attire mais, pour qu’elle ait cette force d’attraction, encore faut-il que l’information circule. Or, dans la communication relative à l’émission, il n’en a guère été question. Pourtant, tout porte à croire que les 361.869 personnes qui ont regardé l’émission d’hier pourraient être intéressées par ce complément. Eloigné de la thématique générale, le débat qui a suivi – « La démocratie est-elle en danger ? » – n’a, lui, recueilli que 177.977 téléspectateurs. Qu’en aurait-il été d’un débat historique ? Craignait-on une lassitude du public si le débat s’était focalisé sur la Seconde Guerre mondiale et ses suites ? Nous n’aurons jamais la réponse. Juste l’espoir de croire qu’il aurait répondu à une attente légitime. Où en est la recherche sur la collaboration en Belgique francophone ? Est-il vrai, comme l’affirmait en 2010 Bart De Wever que la Belgique francophone continue à passer cette partie de son histoire sous silence ? N’était-ce pas l’occasion d’évoquer des travaux anciens et récents qui portent tout à la fois sur les différents aspects de la collaboration mais aussi sur le phénomène de transmission intergénérationnelle ou, en d’autres termes, sur l’histoire des familles dont on mesure de plus en plus qu’elles sont des ressorts essentiels sur le plan de la mémoire collective tout en étant souvent aux antipodes de la recherche. Bref, montrer la complexité du sujet qui va de la difficulté des secrets de famille, de l’ostracisme dont certains ont été victimes mais aussi des rapports ambigus de la société francophone avec son passé : la collaboration ne se résume pas à un tabou et l’histoire de la résistance n’est jamais devenue le grand récit mobilisateur et commun auquel tout le monde s’identifierait. Le public francophone ne serait-il pas mûr pour ce débat… ? Nous ne pouvons le croire et espérons surtout que cette série sera rapidement suivie d’une autre, consacrée aux enfants de la résistance… En tant qu’historiens, nous sommes demandeurs et prêts à y participer. Pour nous, coopérer avec les médias est essentiel pour partager le fruit de nos recherches. L’histoire n’appartient pas qu’aux historiens…

 

 

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