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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : (Le Caire : rue Ezbehigeh) [Sipho]
Belgique en guerre / Articles

Belges en Égypte (Les)

Thème - Diplomatie

Auteur : Auwers Michaël (Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat)

L'histoire du petit groupe de notables belges dans ce pays d'Afrique du Nord pendant la Seconde Guerre mondiale est faite de loyautés conflictuelles, d'intrigues et d'ambitions irréconciliables. En arrière-plan, la menace des succès militaires italiens et allemands dans la campagne d'Afrique du Nord se fait sentir avec insistance.

L'Égypte pendant la Seconde Guerre mondiale

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l'Égypte est un État semi-colonial depuis plus d'un demi-siècle :  c'est un royaume formellement indépendant, mais dont l'autonomie est limitée par l'ingérence politique et économique de la plus grande puissance impérialiste de l'époque, à savoir le Royaume-Uni. Au même moment, le pays est l'un des nombreux champs de bataille entre les Alliés et les puissances de l'Axe. En septembre 1940, les troupes italiennes envahissent l'Égypte en passant par la Libye, mais les Britanniques parviennent rapidement à les repousser. Par la suite, l'armée allemande dirigée par Erwin Rommel se mêle également aux hostilités, mais elle est contrainte de se retirer définitivement en novembre 1942 après une bataille perdue à El Alamein. 

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : EGYPTE Carte du front égyptien, 01/11/1942

Une colonie belge divisée

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Institution : KBR
Légende d'origine : L'indépendance belge 17 12 1937 p. 1

Le tournant de la guerre a un impact profond sur les Belges présents en Égypte. Ceux-ci ne constituent peut-être pas le groupe d'expatriés occidentaux le plus grand – la "colonie" belge ne compte qu'environ 600 membres – mais nombre d'entre eux occupent des postes importants dans l’appareil judiciaire et l'économie égyptiennes. La Belgique officielle est représentée au Caire par le chevalier Guy de Schoutheete de Tervarent, un aristocrate catholique qui dirige l'ambassade depuis plusieurs années, assisté de son épouse Jeanne.

Peu après la capitulation belge, fin mai 1940, des divisions se font jour au sein de la communauté des expatriés. D'un côté, il y a ceux qui insistent sur la neutralité et se rangent du côté du roi Léopold III dans son conflit avec le gouvernement. De l'autre côté, on trouve un certain Maurice Jacquet, un important conseiller du roi d'Égypte qui entretient également des liens étroits avec les représentants diplomatiques et militaires britanniques. Il prend la tête d'un groupe de compatriotes qui condamnent avec véhémence la position de Léopold et qui, à l'instar du gouvernement belge, veulent poursuivre la guerre à tout prix aux côtés des Britanniques.

De Schoutheete est dans la ligne de mire de ce deuxième groupe. Le diplomate approuve certes la politique du gouvernement mais refuse d'attaquer le roi. Il poursuivra ses efforts pour justifier l'attitude de Léopold et corriger l'image négative du monarque belge véhiculée par la presse anglophone et gaulliste, notamment en Egypte. La polarisation au sein de la communauté expatriée fait que le royalisme traditionnel d'un aristocrate catholique peut facilement être assimilé par ses ennemis à du neutralisme, à une attitude anti-britannique voire même à des sympathies pro-allemandes. Si l'on ajoute à cela le fait que les adversaires de de Schoutheete sont principalement issus de milieux libéraux et socialistes, leur mécontentement à l'égard du diplomate a également une forte dimension philosophique. Ils le considèrent comme un réactionnaire incapable de représenter les véritables intérêts de la Belgique moderne. De Schoutheete, quant à lui, compare le groupe de Jacquet aux Jacobins de la Révolution française, affirmant qu'ils veulent prendre le pouvoir et semer la terreur au sein de la communauté belge.

Le chef de poste belge mis en congé

Jacquet et ses hommes entretiennent désormais de bonnes relations non seulement avec l'ambassade britannique, mais aussi avec le gouvernement belge à Londres. Après que Spaak ait fermement pris les rênes de la diplomatie belge à la fin du mois d'octobre 1940, des rapports inquiétants sur le représentant belge au Caire lui parvinrent régulièrement par l'intermédiaire de Jacquet. Par exemple, il n'adhérerait pas à la politique du gouvernement et adopterait une position anti-britannique.

Spaak décide au printemps 1941 d'envoyer Georges Delcoigne, l'un de ses personnes de confiance au sein du corps diplomatique belge, pour y effectuer une enquête. À l'époque, Delcoigne est conseillé de la légation, un grade diplomatique juste en dessous de celui de chef de poste de de Schoutheete. Le choix de Spaak n'est pas tout à fait innocent. Le jeune diplomate a servi sous les ordres de de Schoutheete quelques années plus tôt et leur collaboration n'a pas été des plus harmonieuses. De plus, il est sans poste et a suffisamment d'ancienneté pour diriger temporairement une ambassade belge dans un endroit comme l'Égypte. Les historiens Michel Dumoulin et Thomas Pierret affirment que c'est précisément l'ambition de Delcoigne et qu'il a été jusqu’à suggérer à Spaak que de Schoutheete était coupable de manœuvres pro-allemandes. Bien que le Foreign Office lui-même n'ait pas insisté sur le départ du chef de poste belge, Spaak notifie tout de même son congé à de Schoutheete. Il est autorisé à venir s'expliquer à Londres tandis que Delcoigne assure l'intérim.

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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Soir 13 05 1947 p. 1
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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : EGYPTE. Monarchie. Le couple royal Farouk et Farida, [1938]

La pression britannique sur la politique belge en matière de personnel

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : (Miles Lampson) Haut-Commissaire Britannique
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Institution : KBR
Légende d'origine : La Nation belge 06 01 1946 p. 1



Dans la capitale britannique, de Schoutheete réussit à convaincre Spaak de sa bonne foi à la fin de l'année 1941. Le diplomate est autorisé à reprendre son poste. Mais peu de temps après, les Britanniques interviennent. Ils veulent une toute nouvelle représentation belge : de Schoutheete n'est pas assez explicitement pro-britannique. Ils souhaitent également le départ de Delcoigne : il causerait trop de divisions dans la colonie belge. L'attitude britannique s'explique par l'évolution du front (Rommel remporte une victoire non loin de la frontière libyenne avec l'Egypte fin janvier 1942), par une crise politique en Egypte que le roi Farouk – avec lequel de Schoutheete entretient des liens étroits – veut exploiter au détriment des Britanniques, et – du moins selon le fils de de Schoutheete, Philippe – par  l'ambition de Miles Lampson, l'ambassadeur britannique au Caire, de prendre les rênes de la situation en tant que proconsul. Cela signifie que les diplomates occidentaux qui ne soutiennent pas pleinement sa politique doivent se retirer.


Spaak décide de tenir compte des doléances britanniques et revient sur sa promesse de renvoyer de Schoutheete au Caire. Ce dernier est néanmoins autorisé à s'y rendre pour prendre congé du roi d'Égypte. Delcoigne est remplacé par l'envoyé Pierre de Gaiffier d'Hestroy. Ce dernier semble lui aussi lorgner sur le poste de de Schoutheete et aurait donc reproché à son chef, en présence de l'ambassadeur britannique, de ne pas être assez pro-britannique.


En fin de compte, le remplacement de de Schoutheete est déjà décidé à ce moment. À la mi-octobre 1942, le nouveau chef de la légation arrive sur place : Louis Scheyven. Il est convaincu de la politique de son gouvernement mais, comme son prédécesseur, il cherche à se rapprocher des notables royalistes de la communauté belge en exil. Cela n’est manifestement pas du goût de Jacquet, qui use à nouveau de son influence auprès de l'ambassadeur britannique Lampson pour congédier Scheyven. L'ambassadeur britannique est convaincu que c'est Gaiffier qui doit diriger la légation et tente d'en convaincre le Foreign Office de la chose.

Le calme revient

Mais à Londres, on estime désormais que cela suffit. Le Foreign Office juge que Lampson a trop fait mousser les choses. De plus, après la défaite allemande d'El Alamein, il n’y a plus lieu d’intervenir d’urgence dans la politique du personnel de la légation belge. Dans le même temps, Jacquet s’entend de moins en moins bien avec Spaak, qui décide même de transférer Gaiffier du Caire au Canada. Le calme dans la colonie belge ne revient toutefois qu'après la réconciliation entre Scheyven et Jacquet en mai 1943.

Bibliographie

Pierret, Thomas, « Les Belges d’Égypte pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une communauté isolée face aux ‘deux politiques belges de 1940’ », Cahiers d'Histoire du Temps présent 11, 2003, p. 119-160, Les Belges d'Égypte pendant la Seconde Guerre mondiale. Une communauté isolée face aux “deux politiques belges de 1940”. | JBH - BTNG - RBHC (journalbelgianhistory.be)

Dumoulin, Michel, Spaak, Bruxelles, 1999, p. 223-225.

Voir aussi...

40695-d-ursel.jpg Articles Les instructions de Berne Auwers Michaël
Pour citer cette page
Belges en Égypte (Les)
Auteur : Auwers Michaël (Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/belges-en-egypte-les.html