Belgique en guerre / Articles

Prisonniers de guerre allemands en Belgique 1945-1948

Auteur : Muller Pierre

Plus de 250.000 prisonniers de guerre allemands en Belgique

Avec l’avancée des forces alliées et la fin du conflit, les camps de prisonniers de guerre allemands se multiplient en Europe. La Belgique ne fait pas exception. En novembre 1945, plus de 250.000 prisonniers de guerre allemands sont présents sur le sol belge : 130.000 sous autorité anglaise, 60.000 sous autorité américaine, et plus de 64.000 aux mains du gouvernement belge.

Les prisonniers détenus par les Anglais sont internés dans des camps situés au nord du pays : à Vilvoorde (qui interne également des auxiliaires féminines de la Luftwaffe), Braschaat, Renaix, Enghien, Bredene, Zedelgem, Zandvoorde, etc. Le plus grand de ces camps est incontestablement celui d’Overijse. Il a une capacité de 60.000 prisonniers et est gardé par des fusiliers belges. Les Américains, quant à eux, construisent deux camps principaux, l’un à Erbisoeul (près de Mons) et l’autre à Jambes. Dans ce dernier, 10.000 prisonniers âgés de moins de 19 ans sont enfermés en septembre 1945.Outre ces deux camps, dans lesquels les détenus ne sont pas soumis au travail, les Américains disposent de différents dépôts dépendant du Military Labor Service. Ces prisonniers qui y sont détenus, sont mis au travail, certains dans les charbonnages, comme à celui du Levant à Bray.

La cohabitation entre les civils belges et les troupes américaines encadrant les prisonniers est parfois problématique en raison des trafics en tous genres auxquels les troupes de l’Oncle Sam se livrent avec la complicité des prisonniers dont elles ont la garde. Les trafics sont parfois évoqués dans les journaux belges. En juillet 1946, un accord intervient entre le ministre la Défense et le Colonel Porsythe, commandant des forces américaines en Belgique au sujet de la répression des fraudes et excès en tous genres commis par les troupes américaines et les prisonniers de guerre allemands sous leur responsabilité. 

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Droits d'auteur : Coll. Pierre Müller
Légende d'origine : 4) Prisonniers allemands travaillant au garage du camp d’Erbisoeul (Hainaut). La mise au travail d’autant de prisonniers nécessite une logistique importante
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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Achille Van Acker, s.d.

Des prisonniers pour livrer la bataille du charbon

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Institution : dr
Droits d'auteur : dr
Légende d'origine : La bataille du charbon est un enjeu important pour le gouvernement belge

Pour redresser la situation économique, le gouvernement belge, dirigé par Achille Van Acker, lance en février 1945 la « bataille du charbon ». Le but est de relancer cette industrie si précieuse à l’économie belge. Concrètement, il s’agit d’atteindre dans les deux ans la production de 1938. Dans un premier temps, le gouvernement envisage d’employer des travailleurs polonais dans les charbonnages. Malheureusement, ceux-ci arrivent en nombre insuffisant. Il faut donc se rabattre sur une autre main-d’œuvre disponible immédiatement et peu coûteuse : les prisonniers de guerre allemands. Or, des milliers de ces hommes sont internés dans des camps administrés par les Britanniques et les Américains.

La première expérience de mise au travail de prisonniers de guerre allemands a lieu dans les charbonnages limbourgeois. Celle-ci est plus ou moins concluante. Le gouvernement belge cherche donc à obtenir auprès des Alliés 60.000 prisonniers de guerre allemands valides dont au moins 50 000 seront affectés aux travaux miniers. Des négociations ont lieu en juillet 1945 avec les alliés américains et anglais en vue de leur transfert sous autorité belge. En novembre 1945, 64.021 prisonniers allemands travaillent en Belgique. Ils œuvrent dans différents secteurs d’activités : 52.150 dans les mines, 1600 dans les forêts afin de produire des bois de mine, 1.600 pour des travaux de déminage. Les autres, environ 9.000, dans divers secteurs, dont l’agriculture et l’industrie.

Le moral des prisonniers et leurs relations avec les civils

Au début de leur captivité en Belgique, le moral des prisonniers allemands est assez bon. Ils préfèrent le travail à l’ennui, et les conditions de détention ne leur semblent pas inhumaines. Toutefois, au fil du temps, ce moral s’effrite pour plusieurs raisons. La première est la situation de détention elle-même. L’isolement, surtout par rapport à leurs proches, est éprouvant pour des hommes qui n’ont plus vu leur famille depuis longtemps. La deuxième est l’incertitude par rapport à la durée de captivité. Cette incertitude grandissante va pousser les prisonniers à des actes de rébellion, notamment des grèves. Le nombre de tentatives d’évasion ira également crescendo jusqu’aux premières libérations massives qui ont lieu en mai 1947.

 

En septembre 1945, mis à part dans les cantons de l’Est, les relations entre Belges et prisonniers de guerre allemands sont teintées d’hostilité. Cinq années de guerre avec leur cortège de malheurs sont passées par là. La mise au travail des prisonniers ne pose pas problème aux civils, dans la mesure où il s’agit pour eux d’une forme de justice.

Les choses vont changer avec l’entrée des prisonniers dans la sphère privée de certaines familles belges, notamment à l’occasion de travaux agricoles. Leur travail et leur présence dans le cercle familial permettent d’atténuer peu à peu les rancœurs et laissent place à de la pitié pour ces hommes vivant depuis des années loin de chez eux et dont le pays est dévasté. Des amitiés, voire des relations amoureuses, naissent entre prisonniers et autochtones. A leur libération, en 1947-1948, près de 2.000 Allemands vont rester en Belgique pour continuer à travailler, parfois aux côtés des mineurs italiens venus pour les remplacer. Beaucoup de ces ex-prisonniers, devenus « travailleurs libres », vont fonder des familles en Belgique. Si certains enfants issus de ces mariages mixtes souffriront de leur ascendance « boche » dans les cours recréation, l’intégration des ex-prisonniers allemands dans la société belge se fera globalement rapidement.     

 

Bibliographie

Muller P. et Descamps D., Les Barbelés de la Vengeance ? Prisonniers de guerre allemands en Belgique (1945-1948), Neufchâteau, Weyrich, 2019.

Sunou P., Les prisonniers de guerre allemands en Belgique et la bataille du charbon, 1945-1947, Bruxelles, Musée Royal de l’Armée, 1980 (Centre d’Histoire militaire. Travaux, 15).

Verwaest R., Van Den Haag tot Genève: België en het internationale oorlogsrecht (1874-1950), Bruges, die Keure, 2011. 


Pour citer cette page
Prisonniers de guerre allemands en Belgique 1945-1948
Auteur : Muller Pierre
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