Belgique en guerre / Personnalités

de Kerchove de Denterghem André

Thème - Diplomatie

Auteur : Auwers Michaël (Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat)

Le comte André de Kerchove de Denterghem (1885-1945), est un diplomate de carrière. Il coordonne les livraisons de vivres à la Belgique occupée depuis Lisbonne à partir de la fin de l'année 1940. C’est le dernier poste mouvementé d'une carrière qui l’a été tout autant. 

Une carrière entre diplomatie et politique

Issu d'une famille aristocratique gantoise, De Kerchove est le fils d'un responsable politique d’avant-plan du Parti libéral. En 1908, il entame sa carrière diplomatique à Tokyo. Via Londres et Berlin, il se retrouve à Bucarest juste avant la Première Guerre mondiale. Un conflit avec son supérieur le conduit à La Haye un an plus tard. Il y est notamment chargé de l'accueil des Belges qui ont cherché refuge aux Pays-Bas demeurés neutres, ou qui veulent rejoindre le gouvernement belge à Sainte-Adresse via les Pays-Bas et l'Angleterre. En 1920, le gouvernement l'envoie comme chargé d'affaires à Berlin, où il doit gérer les relations difficiles avec l'Allemagne vaincue.

Après un intermède de plus de dix ans en tant que gouverneur de Flandre orientale et sénateur libéral, De Kerchove utilise son influence politique pour reprendre sa carrière diplomatique à la tête d'un poste important. Il se retrouve à nouveau à Berlin, mais cette fois en tant que ministre plénipotentiaire. Dans la capitale allemande, il assiste à la succession des crises politiques qui scellent le sort de la République de Weimar et facilitent l'ascension et la montée en puissance d'Adolf Hitler. Dès septembre 1933, il met en garde contre une nouvelle guerre européenne. Elle n'est peut-être pas imminente, mais le militarisme allemand la rend inévitable.

KerchoveLe Soir 09 10 1935 p. 4
Institution : KBR
Légende d'origine : Le Soir 09 10 1935 p. 4

Un conflit avec le roi

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Institution : KBR
Légende d'origine : L'indépendance belge 15 08 1935 p. 1

Peu avant son cinquantième anniversaire, en octobre 1935, De Kerchove atteint l’apogée de sa carrière diplomatique (atypique) lorsqu'il est nommé ambassadeur à Paris. Cet aboutissement est cependant suivi d'une sévère déception lorsque, sous l'influence de la politique d’indépendance, il est mis fin à l'accord militaire franco-belge de 1920. De Kerchove n'est pas d'accord et déclare même à ses interlocuteurs français que, pour l'essentiel, rien ne changera. Léopold III lui en veut particulièrement suite à ces propos.

Le roi manœuvre alors pour éloigner de Kerchove de Paris. Spaak lui obtient le poste d'ambassadeur à Rome, ce qui constitue de facto une rétrogradation. De Kerchove résiste et menace de provoquer un scandale, mais finit par accepter. Toujours dans la capitale italienne après la capitulation belge de fin mai 1940, il est contraint par les autorités de ce pays de choisir explicitement entre le roi des Belges et le gouvernement. Selon son ami et collègue André Motte, de Kerchove répondit qu'il ne peut qu'obéir aux ordres de son gouvernement. Il est alors prié de quitter le pays.

Durant l'été 1940, de Kerchove se trouve en Suisse, où son collègue, le très léopoldiste comte Louis d'Ursel, envoie en septembre ce qu'on appelle les "Instructions de Berne". Pour éviter tout conflit avec d'Ursel, il se retire à Lausanne. Là, il insiste auprès du gouvernement belge à Londres pour qu'un nouveau poste soit créé. De Kerchove n'est que trop heureux de pouvoir quitter la Suisse pour coordonner le ravitaillement de la Belgique à Lisbonne.

Ravitailler la Belgique dans un contexte difficile

Lorsque de Kerchove rejoint les Belges au Portugal, certains d'entre eux ont déjà pris l’initiative de mettre sur pied une organisation, l’Aide médicale à la Belgique (AMB), pour envoyer des médicaments et des vivres au pays occupé. À son arrivée, l'AMB est intégrée au Comité de coordination du ravitaillement de la Belgique par l'Europe (CCRB), mais cela ne se fait pas sans controverse. De Kerchove se heurte surtout au Docteur René Reding, le directeur de l'AMB.

Selon le diplomate, le CCRB commande mais laisse l'AMB briller autant que possible car il s'agit d'une initiative privée belgo-portugaise. Toutefois, M. de Kerchove s'offusque que M. Reding et ses semblables ne semblent pas reconnaître que l'AMB est "totalement et complètement dépendante du CCRB et de moi-même". Reding, quant à lui, suggère que cette situation aurait pour conséquence de pousser les notables portugais à se retirer de l'AMB : après tout, la relation de subordination à la CCRB signifierait qu'ils travaillent pour un gouvernement étranger qui, de surcroît, est en guerre.

Kerchove, cependant, estime que la résistance de Reding est principalement à de la mauvaise volonté et à des ambitions personnelles. Lui-même ne veut qu'accroître l'efficacité des envois, que Reding aurait chargé en produits coûteux et à faible valeur nutritive. Le gouvernement se range finalement à l’avis du diplomate et remplace l’AMB par l'entreprise portugaise Vasconcelos. La mise à l'écart de Reding pousse toutefois certains expatriés qui lui sont fidèles à se retirer du CCRB. La manœuvre suscite également l'incompréhension des notables portugais qui se sont investis dans le ravitaillement à destination de la Belgique. Cependant, deux dons substantiels du gouvernement belge à la Croix-Rouge portugaise permettent d'atténuer la chose.

La coordination du ravitaillement de la Belgique prend fin en mars 1945. Un mois plus tard, de Kerchove rentre en Belgique. Il meurt le même jour à son domicile bruxellois. "Mission accomplie" auraient été ses dernières paroles.

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Cérémonies belges au Portugal Cte de Kerchove
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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Envoi de vivres, par l'Aide médicale belge de Lisbonne, à Bruxelles, chargement, départ, arrivée et entreposage à Bruxelles, [1940-1942]

Bibliographie

Auwers, Michael, The Island and the Storm. A Social-Cultural History of the Belgian Diplomatic Corps in Times of Democratization, 1885-1935, thèse de doctorat, Université d'Anvers, 2014.

CegeSoma, AA2268/503-504, Interviews de André Motte par Jean Vanwelkenhuyzen, 5 octobre et 22 novembre 1972.

Vandaele, Jasmien, “André de Kerchove de Denterghem”, in Tony VALCKE (ed.), De fonteinen van de Oranjeberg. Politiek-institutionele geschiedenis van de provincie Oost-Vlaanderen van 1830 tot nu, deel 4: Biografieën van twintigste-eeuwse beleidsmakers, Gand, 2003, 21-42.

Bernardo y Garcia, Luis Angel, Le Ventre des Belges. Une histoire alimentaire des temps d’occupation et de sortie de guerre (1914-1921 & 1939-1948), Bruxelles, 2017.

Pour citer cette page
de Kerchove de Denterghem André
Auteur : Auwers Michaël (Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/de-kerchove-de-denterghem-andre.html