Le Docteur René Reding est le fondateur de l'Aide médicale à la Belgique, une organisation visant à assurer le ravitaillement de la Belgique occupée à partir de Lisbonne. L'AMB n'a pas survécu à la fin de la guerre, Selon Reding, cette disparition est la conséquence de machinations de politiques et de diplomates avides.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, René Reding, alors âgé de 50 ans, est depuis longtemps une autorité internationale en matière de recherche sur le cancer. En tant que directeur de la Fondation Yvonne Boël-Solvay, il se met en mai 1940 au service de la Croix-Rouge de Belgique, une instance qui lui demande de quitter la Belgique au plus vite. En effet, ses contacts scientifiques internationaux devraient lui permettre de mieux servir la patrie depuis l'étranger. Il part en direction de l'Amérique latine, mais se retrouve finalement à Lisbonne, où il devient conseiller technique auprès du ministère portugais de la santé et collaborateur d'un centre de recherche sur la lutte contre le cancer.
Il convainc également l'ambassadeur belge, le comte Baudouin de Lichtervelde, de la nécessité de créer une organisation humanitaire qui pourrait acheminer des vitamines et des denrées alimentaires vers le pays occupé. Avec le soutien du comte et de son épouse, de plusieurs personnalités portugaises et des représentants belges de la Sofina et de Solvay notamment, Reding réussit à créer l'Aide médicale à la Belgique à l'automne. D'avril 1941 à septembre 1942, l'organisation réussit acheter dix-sept mille tonnes de nourriture, qui sont acheminées en quarante convois en direction de la Belgique occupée. Après septembre 1942 et contre la volonté de Reding, c'est une entreprise portugaise qui est désormais chargée de l'achat et du transport des marchandises. C'est le résultat d'une décision du gouvernement belge de Londres.
Lors d'un entretien avec membre de l’équipe du CegeSoma fin de 1972, Reding donne sa version des faits. Selon lui, un certain nombre de ministres du gouvernement belge de Londres et un certain nombre de diplomates et d'expatriés à Lisbonne n'ont pas digéré le fait qu'un particulier soit arrivé à Lisbonne depuis la Belgique et ait créé, presque à partir de rien, une initiative réussie et cruciale pour la réputation du gouvernement. Le responsable est le comte André de Kerchove de Denterghem, qui, depuis le début de l'année 1941, coordonne l'AMB et un certain nombre d'initiatives plus modestes chargées d'approvisionnement à la demande du gouvernement. De Kerchove a apparemment une telle influence sur le ministre des Affaires étrangères, Paul-Henri Spaak, qu'il réussit d'abord à faire remplacer le chef de poste diplomatique de Lichtervelde par André Motte, un collègue et un proche, et finalement à confier l'AMB à une entreprise qui n'a aucune expérience en matière d'approvisionnement en denrées alimentaires.
Reding explique que l'ambition politique est à l'origine de l'hostilité à son égard et à l'égard de son organisation. De Kerchove qui, outre sa carrière diplomatique, s’est forgé une carrière politique en tant que gouverneur de province et sénateur, aurait voulu utiliser sa position en tant coordinateur des approvisionnements comme tremplin politique pour l’après-guerre. Selon Reding, de Kerchove aurait donc voulu l'éliminer. En tant que politicien habile, il aurait réussi à convaincre Spaak que l'ambition de Reding était justement de tirer un profit électoral de son image d'homme qui a fourni de la nourriture à la Belgique affamée. Spaak n'allait pas se laisser faire.
Cependant, le conflit entre Reding et de Kerchove porte également sur le désaccord entre Léopold III et ses ministres. Reding présente de Kerchove (et Motte) comme radicalement opposés au roi, alors que lui-même (et le comte de Lichtervelde) adopte une position beaucoup plus nuancée. Ils reconnaissent que le monarque est dans l'impossibilité de gouverner, mais précisent que tout en restant fidèle au Roi,ils ne peuvent absolument pas accepter que Léopold et son entourage aient trahi la cause belge. Selon Reding, qui porte invariablement à Lisbonne une épingle avec les armoiries royales sur sa cravate, ses adversaires commettent une trahison en imputant ces faits au Roi.
Pendant les dernières années de la guerre, Reding se consacre d'abord à ses recherches en tant que conseiller technique auprès du gouvernement portugais. Il tente ensuite de rejoindre l'armée belge via Londres. Motte aurait refusé d'approuver son visa à la demande de de Kerchove. Les choses ne se sont pas non plus arrangées avec Spaak. Lorsqu'à la fin de la guerre, Reding demande une indemnisation pour les dommages subis, Spaak ne la lui accorde que s'il s'engage à ne pas compromettre le gouvernement en matière de ravitaillement. Reding refuse et entame même une procédure judiciaire contre Spaak.
En 1962, il publie son rapport sur l'approvisionnement effectué par l'AMB. Le message essentiel de ce document est de montrer que des initiatives privées comme celle de son organisation ont permis aux Belges d'échapper à la famine pendant la Seconde Guerre mondiale. Les particuliers (comme lui) ont été capables de surmonter les obstacles politiques et d'agir de manière beaucoup plus décisive que les gouvernements concernés, qui seraient restés bloqués dans une psychose de guerre. À côté de la préface du rapport se trouve une grande photographie d'une affiche de l'AMB. On y voit des enfants, des femmes et des personnes âgées affamés avec, au-dessus d'eux, dans le ciel, le visage de la reine Astrid, l'épouse défunte de Léopold III, et les mots "En souvenir de moi, sauvez-les !".
De retour en Belgique après la guerre, Reding reprend son travail de médecin et fonde la Ligue pour la Prévention du Cancer, à laquelle il ajouta plus tard la Défense de la Santé publique contre la pollution de l'air et des aliments. Reding a déjà quatre-vingt-quatre ans lorsqu'il publie Sauvez notre planète, une synthèse vulgarisatrice des recherches scientifiques connues jusqu'alors sur les effets de la pollution environnementale sur la qualité de la vie humaine à l'ère atomique. En informant l'opinion publique, il souhaite que ce livre mette les hommes politiques face à leurs responsabilités.
Bernardo y Garcia, Luis Angel, Le Ventre des Belges. Une histoire alimentaire des temps d’occupation et de sortie de guerre (1914-1921 & 1939-1948), Bruxelles, 2017.
CegeSoma AA2268/555, Interview du Dr. René Reding par Henri Fassbender, 12 octobre 1972.
Reding, René, Le ravitaillement de la Belgique à partir du Portugal au cours de la guerre 1940-1945 : rapport sur l'activité de l'aide médicale à la Belgique, Brussel, 1962.
Reding, René, Sauver notre planète, Paris, 1974.
