Jeanne de Schoutheete de Tervarent est l'épouse de Guy de Schoutheete de Tervarent, diplomate belge et chef de la légation belge du Caire pendant la Seconde Guerre mondiale. Son histoire nous rappelle que les carrières diplomatiques sont de facto des doubles emplois et que le profil cosmopolite des couples dans les milieux diplomatiques crée à la fois des tensions et des opportunités, en particulier en temps de guerre, c'est-à-dire en période d’intense nationalisme.
Jeanne Darcy (1906-1977) est née dans une famille appartenant à la haute société parisienne de la Belle Epoque. Parmi ses ancêtres, elle compte plusieurs industriels et surtout de hauts fonctionnaires. Fin 1926, elle épouse le chevalier Guy de Schoutheete de Tervarent, qui travaille depuis une dizaine d'années dans la diplomatie belge. Dans les années qui suivent, elle accompagne son mari successivement à Rome, Bucarest et Berlin. C'est dans cette dernière ville qu'elle fait débuter ses mémoires Jeannette of Cairo, publiées en 1975.
Elle y reste en effet près de cinq ans et vit de près la chute de la République de Weimar et la montée du nazisme. Française d'origine alsacienne, ayant en outre perdu deux frères lors de la Première Guerre mondiale, elle se souvient notamment de l'aversion que lui inspiraient les nouveaux dirigeants allemands, tels que "l'affreux spécimen humain, le Dr Goebbels". Elle s'étonne également de la facilité avec laquelle certains membres de l'élite traditionnelle se convertissent au nazisme.
L'essentiel de ses mémoires couvre cependant son séjour au Caire juste avant et pendant la Seconde Guerre mondiale. Au début des hostilités, elle relate la manière dont elle utilise son accès facile à l'ambassade britannique pour transmettre des informations cruciales à Bruxelles. Après la capitulation belge, elle a fort à faire pour servir de médiatrice entre les factions rivales au sein de la communauté des Belges d'Égypte : ceux qui suivent la ligne de Léopold III et ceux qui, comme le gouvernement belge de Londres, veulent poursuivre la lutte du côté des Alliés. Jeanne de Schoutheete aurait même réussi à faire travailler ensemble des membres des deux groupes à l'élaboration de colis à destination des prisonniers de guerre.
Après la capitulation du gouvernement français fin juin 1940, l'épouse du diplomate belge prend une part active à la résistance gaulliste du Caire. Selon les historiens ... et ses contemporains comme l'ambassadeur britannique, cela provoque de vives tensions avec son mari, non seulement en raison de sa position (et de son autoreprésentation) en tant que représentant du roi des Belges, mais aussi et surtout parce qu'à l'époque, seul le régime de Vichy est reconnu par le gouvernement Pierlot.
Néanmoins, dès le début de l'année 1941, Guy de Schoutheete autorise son épouse à mettre à la disposition des Français libres, partisans du général Charles de Gaulle, l’un des salons de l'ambassade de Belgique. Cela est dû en partie à l'influence que Jeanne de Schoutheete a acquise entretemps dans ces milieux. Elle réussit notamment à obtenir des rédacteurs de la presse gaulliste d'Egypte qu'ils cessent de fulminer contre ce qu'ils appellent la trahison du roi Léopold III.
Entretemps, elle entre en contact avec de Gaulle, pour lequel elle exprime une admiration à la fois critique et profonde dans ses mémoires. Elle a apparemment gagné la confiance du général et est enrôlée comme messagère entre différents groupes de Français libres au Moyen-Orient. Sa qualité d'épouse de diplomate belge lui sert de couverture, mais elle se retrouve inévitablement dans le collimateur des services secrets français du régime de Vichy. Lors d’interrogatoires, ces derniers la soupçonne d'être le contact de De Gaulle et la meilleure amie de l'ambassadrice britannique. Elle aurait expliqué qu'elle est l'épouse d'un diplomate belge et que le général français est donc un allié dans la lutte contre les puissances de l'Axe.
Elle explique son amitié avec l'ambassadrice britannique par son appartenance au corps diplomatique transnational. Ce qui est certain, c'est qu'elle est appréciée par l'élite britannique en Égypte. Un diplomate britannique par exemple, suggère au Foreign Office, que Jeanne de Schoutheete a réussi à vaincre la résistance de son mari vis-à-vis de son engagement pour la cause des Alliés, tandis qu'un autre la présente dès février 1942 comme une "grande dame qui impose le respect à tout le monde". Ce sont également les Britanniques qui lui ont attribué le surnom de "Jeannette of Cairo" même si ce qualificatif a apparemment beaucoup à voir avec leur incapacité à prononcer son nom de famille flamand.
Après la Seconde Guerre mondiale, elle suit son mari d'abord à Copenhague, puis à l'ambassade de Belgique à Tokyo. Elle entretient cependant de bonnes relations avec les Français Libres, devenant même présidente d'honneur de l'Association des Français Libres de Belgique. C'est d'ailleurs à eux qu'elle dédie la première version de ses mémoires, en se qualifiant d'"ambassadrice scandaleuse de Belgique". Ce dernier terme est peut-être un clin d'œil à son refus de se conformer au rôle modeste que l'on attend souvent d'une épouse de diplomate (belge).
De Schoutheete de Tervarent, Jeanne, “Jeannette of Caïro”, Paris, 1975.
De Schoutheete de Tervarent, Jeanne, Souvenirs 1939-1941, Cabriès en Provence, 1987.
Pierret, Thomas, « Les Belges d’Égypte pendant la Seconde Guerre Mondiale. Une communauté isolée face aux ‘deux politiques belges de 1940’ », Cahiers d'Histoire du Temps présent 11, 2003, p. 119-160, Les Belges d'Égypte pendant la Seconde Guerre mondiale. Une communauté isolée face aux “deux politiques belges de 1940”. | JBH - BTNG - RBHC (journalbelgianhistory.be).
