Belgique en guerre / Personnalités

Herbert Tony

Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)

Au sein du mouvement flamand, Tony Herbert est une personnalité au croisement de l’économie et de la politique. En politique, il privilégie l’idéologie plutôt que la politique de parti. Herbert poursuit dans cette voie au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ceux que l’on appelle les « groupes Herbert » vont en effet préparer une réforme autoritaire du système politique. Bien qu’il se tienne loin de la collaboration politique, une continuité est perceptible par rapport à la période de l’entre-deux-guerres. Herbert avait alors contribué à la radicalisation du Vlaams Nationaal Verbond (VNV), un parti avec lequel il a pris peu à peu ses distances. Cette évolution s’inscrit dans sa vision voulant que le but ultime ne soit plus la fin de la Belgique, mais bien l’affirmation d’une domination flamande au sein de l’État belge.

Une orientation anti-belge et nationaliste flamande

Tony Herbert naît à Lokeren dans un milieu d’entrepreneurs flamingants et catholiques. Son père, négociant en textiles et député catholique, de 1925 à 1929, a un profil nettement flamingant. Herbert fait des études d’ingénieur civil à l’Université de Louvain. Membre actif de l’Algemeen Vlaams Katholiek Hoogstudentenverbond, il défend une orientation anti-belge et nationaliste flamande au sein de cette association d’étudiants catholiques flamands, ce qui, ajouté à ses actions en faveur de la néerlandisation de l’université, le met en conflit avec les autorités ecclésiastiques et universitaires et débouche sur son expulsion de l’université. Il obtient néanmoins son diplôme via le jury central.

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Institution : KBR
Légende d'origine : De Standaard, 21 novembre 1924, p. 2

Un entrepreneur en politique

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Tony Herbert, s.d.

Herbert fait carrière en tant qu’entrepreneur et devient directeur de la filature de coton courtraisienne Delbaere-Mulier, une famille flamingante dans la sphère d’influence financière de la Middenkredietkas du Boerenbond et de la Banque de Commerce et d’Industrie de Courtrai. Il évolue au sein du Vlaams Economisch Verbond et ses organisations satellites, telle la Vlaamse Ingenieursvereniging.

Installé dans cette ville industrielle de Flandre occidentale, Herbert s’engage sur le plan politique au sein du Katholiek Vlaams Nationaal Verbond (KVNV), de tendance autoritaire, dont est également membre Joris Van Severen, jusqu’à ce dernier fasse dissidence en 1931 et fonde le Verdinaso. Face à Van Severen, Herbert se profile comme nationaliste flamand et participe à la fondation du VNV, qui lui doit en partie son programme autoritariste. Cependant, il se brouille avec Staf

De Clercq, le leader du VNV, et rompt avec cette formation. Herbert est davantage intéressé par une stratégie politique visant à renforcer le pouvoir flamand en Belgique, permettant à la Flandre de dominer le pays, ce qui présente des similitudes avec la « nouvelle orientation » du Verdinaso, bien qu’il n’ait jamais rejoint ce mouvement. Herbert soutient la politique d’indépendance de Léopold III et la personne du souverain. Il continuera à le faire pendant et après la guerre lors de la Question royale. 

Presse et idéologie

Herbert fonde la Vlaams Nationale Centrale voor Sociale Actie, un syndicat corporatiste qui doit rivaliser avec un syndicat de type Verdinaso. Outre ses activités politiques au sein du syndicat et des organisations sociales qui y sont liées, Herbert se focalise sur le débat politique. Il propage son idéologie par ses écrits et se veut également un entrepreneur dans le monde de la presse, créant ainsi un cadre matériel pour la diffusion de ses opinions. Dans les années 1920, Herbert joue un rôle dans Het Leieland, un hebdomadaire régional nationaliste flamand. Il souhaite également publier un journal nationaliste flamand à Courtrai pour faire contrepoids à De Schelde mais le projet n’aboutit pas. De même, dès lors qu’il joue un rôle au sein du VNV, sa tentative de prise de contrôle de ce même journal échoue.

Dans les années 1930, Herbert s’oriente vers la presse destinée à un public ciblé plutôt que la presse quotidienne. Il publie Weerkracht en Volk, maandschrift voor Nationale Opvoeding en Bevordering der Weerbaarheidsidee (mensuel pour l’éducation nationale et la promotion de l’idée de résilience), qui prolonge sa participation à l’association flamande des officiers de réserve (Herbert est lieutenant de réserve). Ce périodique doit inciter les Flamands à s’intéresser à l’armée afin de s’assurer, à terme, une position majoritaire au sein de cette institution belge.

Herbert est également impliqué dans Nieuw Vlaanderen, un périodique plus intellectuel qui défend l’idée d’une concentration de droite. Il y publie lui-même, principalement sur l’économie, le colonialisme et l’(anti-)communisme. Ses vues économiques peuvent être qualifiées d’autoritaires, en rupture avec la démocratisation sociale qui a pris forme après la Première Guerre mondiale. Herbert n’attribue aucun rôle à un mouvement ouvrier autonome et organisé qui, selon lui, ne sert qu’à attiser la lutte des classes et mine les intérêts du peuple. Herbert reste favorable à des « syndicats mixtes », réunissant employeurs et employés, ce qui s’inscrit dans sa vision élitiste. Les élites économiques locales doivent diriger le peuple. C’est en contexte rural ou dans les petites villes que ce schéma peut se réaliser au mieux, ce qui explique son rejet des longues navettes domicile-travail ou des migrations des travailleurs. Les élites économiques locales doivent fournir du travail à l’échelon local afin que la population puisse rester dans sa région d’origine, y fonder une famille et l’entretenir, permettant ainsi de maintenir la démographie, ce qui est indispensable pour établir une prépondérance flamande en Belgique. Sous la direction des élites, il est possible d’empêcher les processus de prolétarisation et de promouvoir l’accès à la propriété, considérée comme une forme de protection sociale en accord avec les conceptions catholiques de la fin du XIXe siècle.

 

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Weerkracht en Volk, 13 décembre 1938
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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Nieuw Vlaanderen, 26 juin 1937, p. 1.

Demain

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Herbert poursuit cette ligne élitiste et autoritaire au sein des groupes d’études qui portent son nom, actifs d’abord en Flandre puis en Wallonie. Ils sont dirigés par des catholiques de droite et des partisans du Verdinaso. Ces groupes d’études constituent sa principale activité pendant l’occupation. Il ne participe qu’indirectement à la résistance, même s’il ne croit pas à une victoire allemande.

Dès l’été 1941, les groupes d’études publient la brochure Demain qui reprend les contours d’une réforme autoritaire, chrétienne et corporatiste de l’État pour l’après-guerre, avec un rôle central dévolu au roi. Cette réforme se veut une alternative au régime parlementaire fondé sur le suffrage universel instauré après la Première Guerre mondiale. Ces idées s’inscrivent pleinement dans la lignée des opinions anti-démocratiques et élitistes d’Herbert depuis l’entre-deux-guerres. Les groupes d’études poursuivent leurs travaux et certaines de leurs idées circulent dans les cénacles qui préparent une réforme d’après-guerre du parti catholique.

Les vues de Tony Herbert s’écartent sur un certain nombre de points des idées de Demain, notamment en ce qui concerne la réorganisation sociale proposée. Alors que Demain prévoit une possibilité de coopération avec les syndicats (mais sans droit de grève) et se montre même favorable à l’idée de leur octroyer une forme de cogestion économique par le biais des corporations estimant que les syndicats peuvent être utiles pour faire barrière au communisme, Herbert interprète la cogestion économique de manière beaucoup plus restrictive et uniquement pour ce qui touche aux salaires et aux conditions de travail. En effet, les mécanismes du marché et des prix ne peuvent faire l’objet d’un trop grand nombre d’obstacles. Demain plaide pour des « conseils de coopération » au sein des entreprises alors qu’Herbert veut limiter ces conseils aux grandes entreprises. Enfin, alors que Demain est en contact avec certains dirigeants syndicaux d’avant-guerre, Herbert refuse toute coopération avec les syndicats.

Après la guerre, Herbert joue un rôle politique actif au sein du nouveau CVP, dont ses groupes ont indirectement contribué à établir les fondements idéologiques. Comme avant-guerre, Herbert considère que la presse est un instrument supplémentaire pour exercer une influence politique. Avec le fabricant de fils d’acier courtraisien Léon Bekaert, Herbert fait paraître le (Nieuwe) Standaard à partir d’octobre 1944, et devient administrateur délégué de la société qui publie le journal. Il ne parviendra cependant pas à réaliser son ambition de devenir sénateur coopté du CVP.

 

Bibliographie

Tony Herbert (1902-1959), "een veelzijdig leven : referaten van het colloquium Kortrijk/KULAK 22 november 2013" (publié par l’association De Leiegouw dans sa série Verhandelingen, volume 15), Courtrai, De Leiegouw, 2015. 

Pour citer cette page
Herbert Tony
Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/herbert-tony.html