Belgique en guerre / Personnalités

Vanderpoorten Arthur

Thème - Occupation

Auteur : Anthoons Johnny

Arthur Vanderpoorten impressionne par son amabilité et son talent oratoire. Il prône le libéralisme moderne et la modération. Durant la Seconde Guerre mondiale, il choisit de rester en France, en zone non occupée, un choix qui aura des conséquences tragiques.

Un homme du « juste milieu »

Arthur Vanderpoorten est né à Puurs le 17 février 1884. Il n'a que six mois lorsque son père meurt. La situation financière de sa mère n’est pas facile. Elle élève ses trois enfants avec les revenus d'une épicerie. Sur le plan scolaire, Arthur est un cas à part. Il est incontestablement doué pour les études universitaires mais il n’a malheureusement pas les moyens d’en entreprendre. Il entre dans une entreprise textile qu'il dirigera lui-même plus tard. Dans un premier temps, il consacre l’essentiel de son temps libre à la gymnastique.

On ne sait que peu de choses quant à son expérience de la Première Guerre mondiale. Vanderpoorten s’oppose certes à l’activisme et ses mauvaises relations avec l’occupant allemand lui auraient valu une peine de prison.

Après la Première Guerre mondiale, il s'engage pleinement dans la vie économique et politique. Il fonde la Chambre de commerce et d'industrie de Lierre, devient conseiller du Vlaams Economisch Verbond et milite au sein du Parti libéral. Il prend ses distances avec la direction francophone et conservatrice du parti et se profile comme un libéral flamand socialement engagé. En 1936, Vanderpoorten devient sénateur et, trois ans plus tard, ministre.

C’est un orateur né. Il déploie inlassablement ce talent pour inspirer ses pairs, en particulier durant les difficiles années trente, lorsque la démocratie parlementaire libérale est attaquée de toutes parts. Bien que ce système se prête, selon lui, à des réformes ciblées, il ne veut pas entendre parler d'un bouleversement complet. Il rejette tant le fascisme que le bolchevisme.

En même temps, il se rend compte que le libéralisme classique a fait son temps. La liberté ne doit pas servir d'alibi à l'exploitation et l'État se doit de protéger les faibles. Vanderpoorten préconise donc un juste milieu entre le laisser-faire, d'une part, et le collectivisme d'État, d'autre part. Selon lui, l'État doit certes travailler à une législation sociale saine, mais il doit intervenir le moins possible dans la vie économique réelle. Vanderpoorten n'envisage donc ni économie planifiée ni nationalisations. Il en va de même pour la lutte des classes. Il attend davantage de résultats d’une coopération entre capital et travail.


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Institution : Liberas Gand
Collection : Archives Herman Vanderpoorten, 1940-1984, 9,48 m (archive n° 39)
Légende d'origine : La famille Vanderpoorten avec les plus jeunes enfants. De gauche à droite : Marleen, Herman, Lea Bonné et Arthur Vanderpoorten (h : 179 mm, l : 237 mm)
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Auteur : Jos Kennis
Institution : Liberas (Gent)
Collection : Archives Arthur Vanderpoorten, 1906-1942, 1,5m (archive no 5)
Légende d'origine : Arthur Vanderpoorten honoré par la Chambre de Commerce et d'Industrie (h : 88/82 mm, l : 120/114 mm) (1939)

En ce qui concerne la question flamande, Vanderpoorten adopte la même position modérée. Il souhaite l'égalité entre Flamands et francophones, non seulement en droit, mais aussi dans les faits. Néanmoins, il ne veut en aucun cas renoncer à l'Etat unitaire : "Une Flandre plus belle, meilleure, plus riche et totalement irréprochable dans une Belgique plus forte".

Pour Vanderpoorten, la Belgique est par excellence le pays du compromis et du juste milieu. La mentalité libérale a des adeptes en dehors du parti libéral, surtout parmi les démocrates-chrétiens et les socialistes réformateurs. Concernant l’idée de liberté, Vanderpoorten lui voit un avenir même en dehors de la Belgique, contre toute forme d’expériences dictatoriales.

Direction la France

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Institution : Liberas Gand
Collection : Archives du Willemsfonds administration générale (archive n° 10)
Légende d'origine : Lettre de Vanderpoorten, Arthur. (Lier) au Willemsfonds
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Institution : Liberas (Gent)
Légende d'origine : Arthur Vanderpoorten avec August de Schrijver et Léon Matagne à Grenoble, à la maison de campagne du Grand Gallet. Photos prises par Habersaat pendant la semaine de Pâques 1941.

Le 10 mai 1940, jour de l'invasion allemande de la Belgique, Vanderpoorten est ministre de l'Intérieur depuis plusieurs mois. Il fait partie du gouvernement d'union nationale dirigé par Hubert Pierlot. Il est l'un des "quatre de Wijnendaele", les ministres qui ont eu la dernière et dramatique conversation avec le roi Léopold III, le 25 mai 1940, dans le château du même nom. Ce dernier veut capituler et rester en Belgique, mais selon les quatre, le roi et le gouvernement doivent se rendre en France pour y poursuivre le combat. Le roi maintient sa position, même lorsque Vanderpoorten lui fait remarquer que deux millions de Belges ont fui vers la France. Il craint le pire dès lors que la France apprendra la capitulation belge.

Lorsque l'armée belge capitule le 28 mai 1940, Vanderpoorten et les autres ministres se retrouvent en France. Pour éviter des représailles contre les réfugiés belges, Pierlot prononce un discours radiodiffusé dans lequel il désapprouve vivement l'attitude de Léopold III. C’est Vanderpoorten qui prononce le discours en néerlandais à la radio.

La capitulation française et l'armistice du 22 juin 1940 bouleversent le gouvernement Pierlot. Les ministres semblent "avoir perdu la raison, l’espoir et le salut" Ils considèrent en effet que désormais la bataille est également terminée pour la Belgique. Ils veulent négocier avec l'Allemagne et présenter leur démission au roi. Cependant, un retour en Belgique est hors de question. La population se range résolument du côté de Léopold III et s'offusque des discours radiophoniques virulents à son encontre. Des vitres sont brisées au domicile de Vanderpoorten à Lierre et il craint d'être lapidé s'il rentre. Par ailleurs, un ordre de l’occupant interdit de toute façon aux ministres de rentrer en Belgique.

La seule tâche concrète que se fixe le gouvernement est de permettre aux ressortissants belges de rentrer. Vanderpoorten est, quant à lui, confronté à des problèmes de santé suite à une récente opération chirurgicale. Il tente néanmoins de gérer la question du rapatriement. Il se préoccupe plus encore du sort des réfugiés dès lors qu’il se voit également attribuer le département de la santé publique – retiré à Marcel-Henri Jaspar, le ministre dissident qui a rejoint la Grande-Bretagne.

Le régime de Vichy bloque les fonds du gouvernement Pierlot, l'empêchant de mener une véritable politique. Exercer une quelconque activité ne semble possible qu'à partir d'un pays libre. Deux ministres (Albert de Vleeschauwer et Camille Gutt) parviennent à rejoindre la Grande-Bretagne. Ils insistent pour que leurs collègues fassent de même, mais seuls Pierlot et Spaak franchissent le pas.

Vanderpoorten fait partie des huit ministres qui restent dans la zone non occupée de la France. Le fait qu'il ne puisse pas rentrer en Belgique avec sa femme et ses enfants l'attriste. En novembre 1940, il s'installe avec trois collègues au Grand Gallet, un château situé dans la commune du Pont-de-Claix, près de Grenoble.

Le 4 janvier 1943, tout bascule

L'option de partir en Grande-Bretagne et de renforcer le gouvernement belge en exil ne séduit pas immédiatement Vanderpoorten. Il prône une forme de Realpolitik qui s'intéresse surtout aux rapports de force du moment, sans toutefois perdre de vue les besoins humanitaires des ressortissants belges. Au cours des premières années de la guerre, tout le monde est loin d'être convaincu que la capitulation inconditionnelle de l'Allemagne soit le seul objectif final envisageable. Vanderpoorten espère que des Allemands corrects détrôneront les nazis et qu'une paix de compromis permettra un nouvel équilibre des forces. Dans cette optique, la Belgique a intérêt à rester neutre plutôt que de se ranger du côté des Alliés.

Vanderpoorten n’envisage un départ à Londres que si une perspective concrète quant à son futur ministère lui est offerte. Tant que ce n’est pas le cas, il craint de donner l'impression, en partant, de n’agir que par pur opportunisme En revanche, il pense pouvoir jouer un rôle durable et utile en France non occupée, ne serait-ce que pour y protéger les Belges contre les aléas du régime de Vichy.

Rétrospectivement, cette attitude s'avère extrêmement dommageable pour lui. À partir de l'automne 1940, seul un départ dans la clandestinité reste possible, par les dangereuses routes d’évasion des Pyrénées. En outre, au cours de l'année 1941, il devient évident que Vanderpoorten n'est plus le bienvenu à Londres en tant que membre du gouvernement. La crédibilité des ministres restés en France pose question. Ils sont traités de "zievereers" et sont même accusés de mener une politique de collaboration. Sous la pression des Alliés, Pierlot et ses collègues de Londres ne trouvent plus opportun de réintégrer les membres du gouvernement restés en France.

D'autre part, le régime de Vichy fait tout pour empêcher le départ de Vanderpoorten. En effet, des ministres belges en France pourraient encore être utiles dans le cadre d'un traité avec l'Allemagne. Comme ses collègues, Vanderpoorten est suivi et assigné à résidence. Il doit quotidiennement se présenter à la police locale.

Afin de ne pas sombrer dans la passivité, Vanderpoorten répond positivement, fin 1941, à la proposition de Pierlot de faire faire aux enfants de Belgique occupée une cure dans les montagnes françaises. Il prend le projet à bras-le-corps et, grâce à lui « l’œuvre des enfants débiles » dont le siège se trouve à Montauban, près de Toulouse, fonctionne bien.

Ce n'est qu'à la fin 1942 que Vanderpoorten envisage de partir. La situation est en effet devenue précaire. En réponse aux succès des Alliés, l'Allemagne et l'Italie occupent la France de Vichy. Désormais, la Gestapo peut y procéder à des arrestations et le contrôle des frontières est entre les mains des autorités allemandes et italiennes. De manière générale, l'Allemagne intensifie la répression dans les territoires occupés.

Les activités de Vanderpoorten l’exposent. Il y a tout d'abord son intense correspondance avec le gouvernement Pierlot au sujet des vacances pour les enfants. Le gouvernement en exil se trouve de plus en plus dans le camp des Alliés. Les réseaux de renseignements avec lesquels il est en contact, sont infiltrés de sorte que certains messages ont pu tomber entre de mauvaises mains. Il a ignoré à plusieurs reprises son assignation à résidence. Par ailleurs, selon deux de ses collègues, Vanderpoorten a encouragé et aidé des réfugiés belges qui voulaient prendre la fuite vers le Portugal ou la Grande-Bretagne. A-t-il toujours été suffisamment discret et méfiant à l'égard d’éventuels délateurs ?

Le 4 janvier 1943, trois agents de la Gestapo arrêtent Vanderpoorten au Grand Gallet. Il est emprisonné à Lyon, puis à Fresnes, près de Paris.

Ceux qui, comme Vanderpoorten, sont déjà un peu plus âgés et/ou ont des problèmes de santé, doivent craindre le pire lors d'une telle arrestation. Compte tenu de la réputation des prisons et des camps allemands, cela s’apparente à une condamnation à mort.

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Institution : Liberas Gand
Collection : Archives Willemsfonds Administration Générale (archive n° 10)
Légende d'origine : Carte postale d'Arthur Vanderpoorten (Gand) au Willemsfonds de Gand.
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Institution : CegeSoma/Archives de l'État
Légende d'origine : Athur Vanderpoorten. 17/2/1941

Prisonnier NN

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Institution : Wikipedia
Légende d'origine : Prisonniers du camp de concentration de Sachsenhausen, Allemagne, 19 décembre 1938.
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Institution : Liberas Gand
Légende d'origine : Mémorial d'Arthur Vanderpoorten à l'Athénée Royal de Lier (h : 350 mm, l : 460 mm) 1944-1960

En septembre 1943, Vanderpoorten est transféré au camp de concentration de Sachsenhausen, situé au nord de Berlin. Il y est enregistré sous le matricule 71 963 et est un prisonnier « Nacht und Nebel ». Cela signifie que sa famille et ses amis n’ont plus de nouvelles de lui.

Au cours des premières semaines, il est placé en isolement, suivi d'un séjour à l'infirmerie en raison des épreuves qu'il a subies entretemps. Ensuite, grâce à son expertise dans le domaine du textile, Vanderpoorten peut travailler comme Hilfsarbeiter. En juillet 1944, les autorités du camp l'embarquent pour Natzweiler, probablement parce qu'il a reçu des colis de sa famille. Cependant, ce déplacement est annulé en raison des bombardements alliés. Vanderpoorten se retrouve de nouveau à Sachsenhausen. Là encore, il passe un long moment à l'infirmerie. Il y est humilié par ses supérieurs et est témoin d’expérimentations médicales.

En février 1945, à l’instar des autres prisonniers inaptes au travail, il est transféré de Sachsenhausen par les SS. Il se retrouve à Bergen-Belsen, le dernier lieu pour les malades et les mourants des autres camps. Bien que très affaibli et souffrant de dysenterie, Vanderpoorten tente de remonter le moral de ses codétenus. Il y organise par exemple des exercices de gymnastique.

L'épidémie de typhus qui se déclare à Bergen-Belsen touche également Vanderpoorten. Combinée à sa dysenterie, elle lui est fatale. Il meurt le 3 avril 1945, douze jours avant la libération du camp. Ses dernières paroles s'adressent à la patrie qu'il a servie jusqu'au bout, ainsi qu'à sa femme et à ses enfants.

L'annonce de sa mort plonge dans l'abattement tous ceux qu'il a su inspirer en Belgique. Ils se souviennent du commentaire déchirant d'Horatio devant le cadavre de son ami Hamlet : "Now cracks a noble heart" (aujourd’hui, un cœur noble se brise). Pour de nombreuses années encore, Arthur Vanderpoorten occupera une place emblématique parmi ceux qui, selon les mots de son fils Herman, "aiment la liberté et la démocratie".

Bibliographie

Articles d'Arthur VANDERPOORTEN in De Vlaamse Gids, jaargangen 17-26, 1926-1938, https://www.dbnl.org/auteurs/auteur.php?id=vand321

August DE SCHRYVER, Oorlogsdagboeken 1940-1942. Met een inleiding en commentaar over de Belgische ministers in Frankrijk en Londen door Herman VAN GOETHEM, Tielt, Lannoo, 1998.

Bert GOVAERTS, ‘De familie ‘Zievereer’. Acht Belgische ministers in Vichy-Frankrijk’, in Brood en Rozen, 2019, 3, p. 4-33.

Ten dienste van de Senaat en het vaderland. “En toch wil ik niet morren” – De wilskracht van Arthur Vanderpoorten, https://www.senate.be/www/?MIval=index_senate&MENUID=59000&LANG=nl

Jan VELAERS en Herman VAN GOETHEM, Leopold III, de Koning, het Land, de Oorlog, Tielt, Lannoo, 1994.

Pour citer cette page
Vanderpoorten Arthur
Auteur : Anthoons Johnny
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/vanderpoorten-arthur.html