Belgique en guerre / Personnalités

Jaspar Marcel-Henri

Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)

Fils d’un architecte réputé, petit-fils d’un entrepreneur en grand travaux s’étant taillé sa réputation sous le règne de Léopold II, Marcel-Henri Jaspar (1901-1982) appartient incontestablement au monde de la haute bourgeoisie bruxelloise. Sa famille, d’obédience libérale, s’appliquera à lui donner la solide éducation classique propre à ces milieux, au Caire d’abord et au lycée Lakanal à Paris, durant la Première Guerre mondiale puis ensuite à l’Université Libre de Bruxelles. Mais juriste en cours de formation sur les bancs de l’  « Alma Mater », il va rapidement être saisi par le démon de la politique.

Un brillant espoir de la famille libérale

Membre du Parti Libéral dès 1921 et propulsé  peu après, grâce au très-influent Albert Devèze, au secrétariat d’une "Commission pour la Rénovation du Parti", il va gravir assez rapidement  les échelons de la vie publique tout en menant une vie sociale (et nocturne !) bien remplie, devenant même, par sa vitalité et par son esprit, la coqueluche du « Tout-Bruxelles » mondain. Dès 1923, il occupe la présidence de la Fédération des Jeunesses libérales de l’arrondissement de Bruxelles. Il devient conseiller communal à Uccle en 1926 avant d’être élu député-suppléant en mai 1929. Il entre véritablement à la Chambre suite aux législatives du 27 novembre 1932, à peine âgé de 31 ans. Il assume de surcroît depuis plus de trois ans le secrétariat-général de la fédération bruxelloise du Parti libéral, en plus de son métier d’avocat. Enfin, élément important, il épouse en seconde noces,  à la charnière des années ’20 et ’30, une jeune femme russe issue de la bourgeoisie juive émigrée en Allemagne, Betty Halpern de Becker : c’est elle qui lui permettra de prendre  précocement conscience des dangers liées à la montée du nazisme.




Mais au cœur des années ’30, le danger semble encore lointain. S’il bataille volontiers dans la presse, du Flambeau à la Dernière Heure, il se satisfait pleinement , dans un premier temps, de succéder à Paul-Henri Spaak à la tête du ministère des Transports et des Communications dans le gouvernement Van Zeeland II (du 13 juin 1936 au 24 novembre 1937). Si la fonction peut sembler relativement secondaire dans la hiérarchie gouvernementale, elle le place pourtant directement sous le feu des projecteurs…et des attaques de Rex, le mouvement d’extrême droite impulsé par Léon Degrelle. Mais Jaspar passe rapidement pour un des adversaires les plus coriaces du rexisme. Après un temps d’interruption dans sa carrière politique, il se retrouve ministre de la Santé publique dans le gouvernement Pierlot,  constitué au lendemain des législatives d’avril 1939. Il reste à la tête de ce département jusqu’au 24 juin 1940. 

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Institution : KBR
Légende d'origine : La Dernière Heure, 22 décembre 1932
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Institution : CegeSoma
Collection : Actualit
Légende d'origine : Le nouveau ministère belge. Assis de gauche à droite : Van Isacker, Aff. Economiques; Pierlot, agriculture; Van Zeeland, Premier Ministre; Bovesse, Justice; De Man, Finances; Spaak, Aff. Etrangères. Debout : Rubbens, Colonies; De Schryver, Intérieur; Delattre, Travail; Hoste, Instruc. Publique; Merlot, Travaux Publics; Denis Gal., Défense Nationale; Jaspar, Transports; Bouchery, Poste Téléph. Tel. Bruxelles. 14.VI.1936. [Actualit]

Un ministre dépassé ?

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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Vlucht mei 40.

Le contexte devient difficile. Après l’attaque allemande du 10 mai 1940, le gouvernement belge ordonne l’évacuation de la « Réserve de Recrutement », les « 16 à 35 ans » n’ayant pas encore accomplis pour diverses raisons leurs obligations militaires. Cela concerne plus de 300.000 personnes. La ministère de la Santé publique, quelque peu renforcé par le renfort de bénévoles, est vite dépassé. Dans la nuit du 13 au 14 mai, Jaspar déclare forfait et tandis que son équipe ministérielle se prépare à évacuer Bruxelles pour Ostende, il transmet à la Défense nationale la charge de s’occuper des « jeunes » de la « Réserve de Recrutement ». L’équipe de Jaspar passe en France et se retrouve à Cahors, dans le Sud-Ouest. Dans l’intervalle, Jaspar a eu le temps de créer une antenne d’accueil à Paris. A partir du 13 mai, les trains déversent dans la « Ville-lumière »  des flots de réfugiés. Les jeunes gens formant la « Réserve de Recrutement », très mal encadrés par l’armée belge, connaissent un fort sentiment d’abandon. Quantité de réfugiés belges errent un peu à l’aventure dans la France profonde, ignorant les ordres de regroupement et les prescriptions d’un ministère de la Santé publique qui peine à se faire entendre… Jaspar semble bel et bien dépassé … 

Un « De Gaulle » belge ?

Le 18 juin, il apprend de la bouche du Premier ministre que le gouvernement belge ne passera pas en Grande-Bretagne, contrairement à ce qui avait été convenu 48 heures auparavant, et qu’il va même entrer en contact avec les (nouvelles) autorités de Bruxelles pour rentrer au pays, la guerre étant décidément perdue. Jaspar  sait qu’il n’a rien à attendre d’une Belgique nazifiée dans une Europe dominée par le Reich. Au soir du 18 juin, sans prévenir ses collègues, il s’embarque pour Londres avec sa femme, rompant ainsi la solidarité gouvernementale. Parvenu à Londres le 21, il lance sur les ondes de la B.B.C., à l’instar d’un certain général De Gaulle, un appel à tous les Belges pour qu’ils ne désespèrent pas et poursuivent la lutte au côté de l’Empire britannique (« La guerre pour la libération de notre patrie continue et continuera jusqu’à la victoire… »). Furieux à l’annonce de cet appel clair et net, le gouvernement belge le sanctionne  pour « abandon de poste ». Certes, ses collègues ne l’excluent pas vraiment de leur équipe mais le considèrent comme s’étant exclu lui-même.

Pendant ce temps, Jaspar se démène. Il est rejoint par une série de personnalités de gauche parmi lesquelles Camille Huysmans, bourgmestre d’Anvers et président de la IIème internationale, puis par Max Buset, Isabelle Blume,.... Le 5 juillet, un Comité national belge voit le jour ; Huysmans le préside, et Jaspar y joue le rôle de secrétaire. Mais cette initiative est contrecarrée par l’ambassadeur de Belgique à Londres et par l’arrivée opportune, sur les bords de la Tamise, du ministre des Colonies, Albert De Vleeschauwer, rejoint, en août, par Camille Gutt. Ce n’est qu’en octobre que Pierlot et Spaak rallient la capitale britannique. C’est la fin du « Comité Huysmans-Jaspar »… Le « gouvernement Pierlot », réduit désormais à quatre ministres, est remis en selle par la grâce de Churchill…

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Institution : Cegesoma
Légende d'origine : Le gouvernement belge, Londres, décembre 1942

Un placard doré…

Le Premier ministre Hubert Pierlot n’a jamais voulu rendre un quelconque portefeuille ministériel à Marcel-Henri Jaspar, peut-être parce que celui-ci, avec son équipée précoce outre-Manche, lui avait donné, par contraste, une sorte de mauvaise conscience. Il a accepté toutefois de « passer l’éponge » et de lui concéder la charge de représenter les autorités belges auprès du Conseil national tchèque en exil… Maigre consolation ! Bien plus tard, Jaspar deviendra ambassadeur extraordinaire à Paris, du 23 avril 1959 au 23 août 1968, ayant ainsi l’occasion de côtoyer plus d’une fois le général De Gaulle,

Il meublera sa retraite en rédigeant ses Mémoires, Souvenirs sans retouches (1968), ironiquement débaptisé par ses ennemis en « Retouches sans souvenirs », puis Changement de décor (1972)…

Bibliographie


Alain Colignon, Ordre de rejoindre ; les « 16-35 ans », dans Jours de Guerre, n°4 de 1991, pp.103-114.

Jacques Franck, Marcel-Henri Jaspar, dans Nouvelle Biographie Nationale, Tome VI, pp302-305, https://www.academieroyale.be/....

Marcel-Henri Jaspar, Souvenirs sans retouches, Paris, Fayard, 1968.

Karel Strobbe, Pieter Serrien & Hans Boers, Van onze jongens geen nieuws : de dwaaltocht van 300.000 Belgische rekruten aan het begin van de Tweede Wereldoorlog, Antwerpen : Manteau, 2015.

Wellens René, Inventaire des papiers de Marcel-Henri Jaspar, député, ministre et ambassadeur de Belgique, Archives de l'Etat en Belgique, 1982,  https://search.arch.be/en/?opt...


Voir aussi

1523-rAfugiAs-belges-en-france.jpg Articles Exode de 1940 (L'): la débâcle d’un Etat ? Colignon Alain
Pour citer cette page
Jaspar Marcel-Henri
Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)
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