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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Non légendée
Belgique en guerre / Articles

Convention de La Haye

Auteur : Wouters Nico (Institution : CegeSoma)

La Convention de La Haye est le plus important des traités internationaux de portée générale en matière de droit de la guerre à être en vigueur durant la Seconde Guerre mondiale. Elle réglemente les droits et les devoirs d'une puissance occupante ennemie. La Convention se concentre principalement sur la protection des droits de propriété et reste vague sur les droits civils essentiels. 

Origines et contexte

Le 18 octobre 1907, 44 pays - dont la Belgique et l'Allemagne - signent la "Convention IV concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et son Annexe: Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre", plus connue sous le nom de " Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre " ou " Convention de La Haye ". Il s'agit d'une version révisée de la Convention de 1899. 

La Belgique intègre la Convention dans les lois des 25 mai et 8 août 1910. Lors de son élaboration en 1899 et en 1907, une différence de vue fondamentale est apparue à chaque fois entre les pays qui souhaitent une protection humanitaire étendue (comme la Belgique) et ceux qui veulent être restrictifs (comme l'Allemagne). 

Le texte final est un compromis et est donc formulé de manière vague sur certains points. La langue officielle de la Convention est le français et il y a parfois des différences subtiles dans la traduction anglaise. Néanmoins, la Convention est essentielle car c'est le seul traité international adopté de manière large qui définit les droits et les devoirs des belligérants pendant la Première et la Seconde Guerre mondiale. 

Analyse approfondie du contenu : les pouvoirs d'une puissance occupante

Les articles 42 à 56 sont au cœur de la Convention. Ces articles définissent les compétences et les restrictions de pouvoir d'une puissance occupante. Ces articles stipulent notamment que les citoyens ne peuvent être tenus de fournir des renseignements militaires concernant leur propre pays (art. 44), qu'ils ne peuvent prêter serment d'allégeance à la puissance ennemie (art. 45), que le pillage est formellement interdit (art. 47), que l’occupant ne peut pas lever d’impôts excessifs qui ne bénéficient pas à l'administration du pays occupé (art. 48-49, art. 51) et qu'il ne peut imposer de peines collectives (art. 50). 

Les articles 43, 46, 52 et 53 méritent une attention particulière. 

L'article 43, court mais essentiel, définit en termes généraux la compétence de la puissance occupante. Il s'agit en fait d'une version fusionnée d'anciens articles de la Convention de Bruxelles de 1874. Cela explique pourquoi la formulation de l'article est quelque peu ambiguë. Il est composé de deux parties, chacune ayant leur propre limitation. La première section dit qu'une puissance occupante peut prendre toutes les mesures "autant qu'il est possible" pour rétablir et assurer "l'ordre et la vie publics". La deuxième section dit que la puissance occupante doit le faire "sauf empêchement absolu, dans le respect des lois en vigueur dans le pays". L'esprit de cet article est qu'une puissance occupante doit prendre des mesures conformément aux lois et règlements en vigueur pour protéger la population civile. 

La "vie publique" est beaucoup plus large que la simple sécurité et inclut, en principe, l'approvisionnement alimentaire, par exemple. Le problème réside dans les deux restrictions générales : "dans la mesure du possible" et "sauf empêchement absolu". Pendant les occupations de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, il s'avérera que l'interprétation de ces deux termes n'est pas soumise à un arbitrage indépendant. En d'autres termes, l'interprétation penchera toujours en faveur de l'occupant : il a trait au pouvoir effectif. Yoram Dinstein soutient que l'expression "sauf empêchement absolu" est de facto souvent interprétée par un occupant comme une "nécessité" (les versions originales de cet article utilisaient d’ailleurs le terme de "nécessité"). 

En d'autres termes, lorsqu'une puissance occupante juge elle-même qu'il y a une "nécessité" de remplacer une loi existante, elle peut invoquer la Convention de La Haye. Néanmoins, selon l'article 43, cette "nécessité" doit également être fondée sur l'intérêt de la population. En principe, la puissance occupante n'a pas le droit d'apporter des changements institutionnels aux structures étatiques d'un pays occupé (le meilleur exemple est la séparation administrative de la Belgique en 1917). Cet article donnera lieu à une jurisprudence importante pendant et après l'occupation de la Belgique pendant la Première Guerre mondiale (voir ci-dessous).

Convention de la Haye
Institution : CegeSoma
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Légende d'origine : Convention de la Haye (18 octobre 1907).

L'article 46 impose le respect de "l'honneur et les droits de la famille, la vie des individus et la propriété privée ainsi que les convictions religieuses et l'exercice du culte (...). La propriété privée ne peut pas être confisquée". Outre la Constitution belge, cet article aurait notamment pu être utilisé pour protester plus vigoureusement contre la persécution des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. La question est de savoir dans quelle mesure cela aurait été efficace car, de par leur idéologie raciale, les nazis eux-mêmes ne considéraient pas la persécution des Juifs comme une "persécution religieuse". 

L'article 52 stipule que les "réquisitions en nature et des services" ne peuvent être réclamés que s’"ils répondent aux besoins de l'armée d'occupation" et sont proportionnels aux capacités du pays. L'armée d'occupation doit également verser une compensation pour les biens saisis. En outre, une réquisition ne peut impliquer que les populations prennent part "à une guerre contre leur propre pays" (en clair : ne pas être enrôlés dans l'économie de guerre du pays ennemi).

L'article 53 est souvent négligé, mais il est lui aussi essentiel. Il définit plus en détail les sommes d'argent et les biens qu'une puissance occupante est autorisée à saisir (il ne s'agit pas de "réquisitions"). Cela comprend notamment tous les "moyens de transport" de l'État qui peuvent être utilisés pour faits de guerre. De même, "tous les moyens affectés sur terre, sur mer et dans les airs (...) de transport de personnes ou des choses" peuvent être saisis (même s'ils appartiennent à des particuliers) ainsi que les armes et les munitions. Toutefois, une compensation doit être fournie par la suite. 

L'article 56 protège la propriété des communes, des institutions religieuses, des institutions sociales et des institutions éducatives, artistiques et scientifiques. Ces biens sont en principe protégés de la "confiscation". Cet article aurait également pu être invoqué avec plus de force pour protester contre le pillage ou la destruction de synagogues juives. 

La Convention tente donc de définir des accords de base. La notion de résistance légitime de la part de civils à l’encontre d’un occupant ennemi en est absente. Cette question délicate avait été l'un des points fondamentaux de discussion lors des négociations de 1899 et 1907 et avait finalement été écartée de la Convention.

Jurisprudence relative à l'article 43 durant la Première Guerre mondiale

La Convention a été mise à l'épreuve pendant la Première Guerre mondiale, notamment pendant l'occupation de la Belgique. Le 20 mai 1916, la Cour de Cassation publie un arrêt important, affirmant qu'en vertu de l'article 43 de la Convention de La Haye, une puissance occupante a le droit d'émettre des ordonnances modifiant ou contredisant la législation belge. La Cour considère également qu'il n'appartient pas aux juridictions belges de se prononcer sur la légalité de ces ordonnances allemandes. 

Cet arrêt implique que les fonctionnaires belges doivent obéir à ce type de lois et de règlements allemands. Selon cette interprétation de la Convention de La Haye, une puissance occupante peut interpréter l'expression "sauf empêchement absolu" de manière très large, comme tout ce qu'elle considère comme "nécessaire" à la sauvegarde de la sécurité et de la vie publique. En décembre 1918, la Cour de Cassation se corrige elle-même et déclare que les tribunaux peuvent effectivement évaluer la légalité des mesures prises par l'occupant. Cette interprétation large est également limitée par la jurisprudence internationale d'après-guerre. 

Le tribunal belgo-allemand créé par les négociations de paix de 1919-1920, a jugé dans le procès opposant "Milaire à l'Allemagne" (1923) que l'article 43 n'était pas conçu comme un droit mais comme une obligation restrictive. Dans le procès opposant la Ville d'Anvers à l’Allemagne (1925), le même tribunal a jugé que trois mesures spécifiques prises par la puissance occupante allemande en Belgique occupée n'étaient pas "nécessaires" et n'étaient donc pas conformes à l'article 43. En outre, en 1946, le Tribunal militaire international déclare que l'article 43 de la Convention fait partie du "droit international coutumier".

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Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Non légendée

Importance de la Convention en 1940-44

Le texte de la Convention est inclus dans son intégralité dans le livret de mobilisation civile, distribué aux fonctionnaires belges et aux personnes ayant autorité. La Convention sert de cadre d'orientation pour les administrations. Dans le cadre de la politique de moindre mal et de la reprise de la production économique, les autorités belges partent du principe que les forces d'occupation disposent de larges pouvoirs légitimes. Bien que les forces d’occupation militaire allemandes déclarent en mai 1940 qu'elles respecteront la Convention de La Haye, il existe une ambiguïté quant à son application dans des situations concrètes. 

En même temps, il devient rapidement évident que l'occupant allemand ne respecte pas la Convention. A partir de mai-juin 1941, les autorités belges tentent d'utiliser la Convention comme un argument stratégique pour remettre en cause les mesures allemandes. Cependant, les autorités allemandes exercent de facto leur pouvoir de manière répressive. On peut donc affirmer que la Convention de La Haye perd rapidement de sa valeur. Néanmoins, elle demeure un point de référence essentiel tout au long de l'occupation et est invoquée à chaque fois dans les questions de principe et de conflit. Elle devient ainsi un pion dans une partie d'échecs dont l'enjeu est la division et l'exercice du pouvoir. Après-guerre, la Convention de La Haye apparaît comme un facteur important en matière de répression judiciaire tant de la collaboration que de l'évaluation de la politique de moindre mal, 

Bibliographie

Herman Van Goethem, La convention de La Haye, la collaboration administrative en Belgique et la persécution des Juifs à Anvers, 1940-1942, Cahiers d'Histoire du Temps présent - n° 17 - 2006, p. 117-197, https://www.journalbelgianhist....

Yoram Dinstein, The International Law of Belligerent Occupation, Cambridge University Press, 2009.

Yutuka Arai-Takahashi, The Law of Occupation. Continuity and Change of International Humanitarian Law, and its Interaction with International Human Rights Law, Brill, 2009.

Rik Verwaest, Van Den Haag tot Genève : België en het internationale oorlogsrecht (1874-1950), Bruges, 2011.

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Pour citer cette page
Convention de La Haye
Auteur : Wouters Nico (Institution : CegeSoma)
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