"C'est déjà une longue vie, pour un journal clandestin", peut-on lire dans le journal clandestin liégeois Le Coq Victorieux à l’occasion de ses six mois d’existence. "Mais quelle joie, quelle légitime fierté, en voyant les résultats obtenus." Le Coq Victorieux, une référence au coq wallon et à la victoire sur les Allemands, paraît pour la première fois en mars 1941 et se présente comme un journal indépendant et patriotique. Bien que de nombreux clandestins n'aient eu qu’une durée de vie éphémère - la durée de vie moyenne d'un journal clandestin est d'un an – la rédaction du Coq Victorieux, un organe richement illustré, a réussi à le publier jusqu'en février 1944. De plus, l'équipe a été épargnée par les arrestations.
Un journal clandestin indépendant
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des centaines de journaux clandestins ont vu le jour en Belgique. Leurs auteurs ne se sont pas pliés à la censure de la presse en vertu de laquelle les journaux ne peuvent paraître sans l’autorisation des Allemands. Ce faisant, ils expriment de manière ferme leur opposition à l'occupation allemande. Ces journaux de résistance sont très divers, tant au niveau du contenu que de la forme. Outre les grands journaux tels que La Libre Belgique ou De Vrijschutter, dont le tirage dépasse les 10 000 exemplaires par numéro, il existe également de nombreux journaux plus modestes, comme, par exemple, Le Coq Victorieux.
Ce journal clandestin est né de l'initiative du sous-officier belge René Migeotte. C’est un organe indépendant qui n’est formellement pas lié à un quelconque mouvement de résistance ou parti politique. Le journal clandestin aurait compté 81 numéros, dont 52 ont été conservés. Dans l’équipe, on retrouve tout à la fois des anciens combattants, des militaires, des enseignants, des francs-maçons, des intellectuels libéraux et des journalistes. Parmi les rédacteurs, il y avait aussi Louise Rouma, une enseignante qui s'occupe, notamment, de la rubrique "Faits divers - divers faits". Parmi les auteurs qui publient de temps à autre une contribution, citons le journaliste René Pouret, le conservateur de musée Jules Bosman et Laurent Lombard, un enseignant qui rédige également le clandestin liégeois Cœurs Belges.

Légende d'origine : Le Coq victorieux n°28, s.d., p. 2
"On les aura !"

Légende d'origine : Le Coq victorieux n°39, s.d., p. 13
Le Coq Victorieux parait sous forme de stencil et compte en moyenne 10 à 12 pages, ce qui en fait un journal clandestin important. Le premier numéro a eu un tirage limité de 50 exemplaires. Le journal a cependant atteint un tirage moyen d'environ 2 000 exemplaires. Le journal comporte plusieurs rubriques, telles que "Au pilori" - similaire à la liste noire du journal anversois Steeds Vereenigd - "Faits divers - divers faits", "Chronique militaire" et "Rions un peu". Le Coq Victorieux paraît d'abord chaque semaine, puis deux fois par mois à partir de la fin 1941. En raison de "la pénurie de papier", comme le journal l’écrit, il ne paraît plus qu’une fois par mois après octobre 1942. Des pénuries de matériel ont entraîné une augmentation du prix de vente de 1 à 2 francs belges en février 1943 et l'arrêt définitif du journal en février 1944.
Les auteurs sont d’un optimisme remarquable quant à la victoire ("On les aura !" et "Le grand jour viendra !"). Ils font également place à l'humour, à la poésie et aux chansons. De plus, Le Coq Victorieux est richement illustré, avec de grandes caricatures sur les premières pages et dans le journal lui-même. Lorsqu'il met ses lecteurs en garde et les invite à se méfier de journaux clandestins, il le fait parfois au moyen d'une illustration ludique.
"Belges nous sommes, Belges nous devons rester"
Ce journal clandestin patriotique prône le dépassement des différences et l'union dans la lutte pour la liberté et l'indépendance. La devise "L'union fait la force" se retrouve en première page de chaque numéro. "Laissons de côté tout ce qui nous divise pour ne voir qu'un but : recouvrer nos libertés, notre indépendance. TOUS UNIS CONTRE LE BOCHE", écrit le journal. Il n'y a pas de place pour l'opportunisme politique : "BELGES nous sommes : BELGES nous devons rester. Les affaires de la Belgique seule comptent pour l'instant".
La rédaction est en outre très royaliste et a pris fait et cause pour Léopold III. Ainsi, à côté de l'illustration du coq figure à chaque fois le slogan "Vive le roi". Son choix de rester en Belgique était, selon le journal, "un magnifique témoignage de son courage et de son désintéressement personnel". Néanmoins, c’est surtout le roi Albert Ier en tant que figure importante et symbole de la monarchie qui est mis en avant. En janvier 1942, il figure en première page du journal, à l’occasion de l’anniversaire de son décès. En outre, des personnalités internationales, telles que le Premier ministre britannique Churchill ou le président américain Roosevelt, ainsi que les avancées et les actions militaires de la Royal Air Force (RAF), sont fréquemment évoquées.

Légende d'origine : Le Coq victorieux n°43, s.d.
La mystérieuse caserne Dossin
Il est également intéressant d’évoquer la série "La mystérieuse caserne Dossin à Malines - camp de déportation pour les juifs". On y retrouve le témoignage de Jos Hakker, d'origine juive qui a réussi à sauter d'un transport en direction d'Auschwitz-Birkenau en janvier 1943. Il témoigne des conditions de vie à la caserne Dossin. Il évoque longuement les conditions d'hygiène déplorables, la malnutrition et la faim permanente des détenus, la confiscation des effets personnels et de la nourriture et, par-dessus tout, l’attitude sans pitié des gardiens allemands.
Hakker n'a demandé au journal de publier son témoignage que plusieurs mois plus tard, après avoir pu fuir à l'étranger. Il avait également demandé à d'autres journaux clandestins de publier son témoignage. La série est parue entre juillet 1943 et janvier 1944 mais n'a pu être terminée en raison de l'arrêt de la parution du journal. En septembre 1944, Hakker a publié une brochure portant le même titre. Il s’agit là d’un témoignage rare sur le camp de rassemblement.

Légende d'origine : Le Coq victorieux n°76, juillet 1943, p. 5
Bibliographie
Jean Dujardin, “Inventaire des publications périodiques clandestines (1940-1944) de la province de Liège”, in Cahiers d’Histoire de la Deuxième Guerre mondiale, Bruxelles, 1967, p. 49-50.
José Gotovitch. Guide de la presse clandestine de Belgique, Bruxelles, Centre d'Etudes et de Recherches historiques de la Seconde guerre mondiale , 1991, p. 25 en 28.
Le Coq victorieux en ligne: https://warpress.cegesoma.be/f...