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Limoges, mai ’40 : la colère impuissante d’un parlement dans la débâcle

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Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)

Ils semblent bien oubliés aujourd’hui les cris de colère et les débats tourmentés qui ont secoué bon nombre de parlementaires belges réunis en catastrophe à Limoges au lendemain de la capitulation de notre armée. En mai 1940, ils ont pourtant été le révélateur d’une rupture de confiance entre la personne du monarque et une partie importante du « pays légal ». A leur retour en Belgique après la capitulation française, bon nombre de députés et de sénateurs, s’efforceront, de faire amende honorable devant le souverain avec plus ou moins de dignité. Mais les arguments remués et les prises de position adoptées un certain jour de mai ’40 dans la capitale française de la porcelaine et de la chaussure ne sombreront pas complètement dans l’oubli. Ils ressurgiront lors du grand règlement de comptes de la « Question royale » de 1945 à 1950. 

Un régime parlementaire à la dérive…

Face à la progression rapide des forces ennemies et suivant en cela le modèle de la Première Guerre mondiale, plusieurs départements ministériels belges ont commencé à s’implanter en France, plus précisément à Poitiers, en attendant l’arrivée prévue du gouvernement. C’est dans ce contexte que survient ce que l’on a appelé la « rupture de Wijnendaele » (25 mai) entre les principaux ministres du gouvernement et Léopold III.Trois jours plus tard, l’armée belge capitule. En France, ce geste suscite la colère. Dès le matin du 28 mai, Paul Reynaud, président du Conseil français, s’exprime sur les ondes radiophoniques. Il y exprime avec force sa colère contre le roi Léopold et les partisans de la « politique d’indépendance ». Ces propos peuvent également être interprétés comme une façon de désigner un bouc émissaire pour faire «avaler » à l’opinion française la défaite qui se profile. Désireux de marquer le coup, d’afficher sa solidarité totale avec les Alliés…et de désamorcer l’irritation (pour ne pas dire davantage) qui risquait de déferler en France à l’encontre des Belges, le gouvernement Pierlot décide le 29 mai de convoquer le maximum de parlementaires à Limoges, en une réunion publique solennelle…mais officieuse : rien ne dit que le quorum des parlementaires sera atteint dans la pagaille ambiante. Dans l’intervalle, Hubert Pierlot s’efforce de redresser la barre. Quelques heures après Paul Reynaud, il s’exprime à son tour sur les ondes et déclare que la capitulation de l’armée n’engage pas le pays, tout en soulignant que « La faute d’un homme ne peut être imputée à la nation entière ». Dans la foulée, il délie « les officiers et les fonctionnaires » du devoir d’obéissance qu’implique leur serment de fidélité envers le Roi. Peu après, le conseil des ministres constate officiellement l’ « impossibilité de régner » de Léopold III, puisque celui-ci s’est placé volontairement sous le pouvoir de l’ennemi. Ce même conseil décide  d’exercer désormais collectivement les prérogatives royales, sous la formule exécutoire : « Au nom du Peuple belge, nous, Ministres réunis en Conseil… » ( art. 79 et 82). Ces dispositions réglées, la séance de Limoges peut s’ouvrir. Elle est fixée au 31 mai.

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Légende d'origine : Paul Reynaud, Premier Ministre français, s.d.(1940)
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Légende d'origine : Limoges, arrivée de Spaak, 31 mai 1940

Le Parlement dans les transes…

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Légende d'origine : Salle du Parlement belge, s.d. (1940)
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Légende d'origine : Limoges, réunion du Parlement belge, 31 mai 1940.

A Limoges même, le Grand Casino a été réquisitionné pour accueillir la foule des députés et des sénateurs, tandis que le café « Le Cyrano », un des mieux fréquentés de la cité, devient un substitut de la buvette parlementaire. Les Représentants du peuple s’y bousculent bientôt : sur 202 députés au total, 89 auraient répondu à l’appel, ainsi que 54 sénateurs sur 167-mais le quorum était respectivement de 102 et de 84… Le gouvernement Pierlot, qui se sait contesté dans la mesure où il s’est accroché très longtemps (en dépit du bon sens ?) à la neutralité s’empresse de couper l’herbe sous le pied des contestataires ( plutôt socialistes et libéraux de gauche) en appuyant la continuation de la lutte aux côtés des Alliés franco-britanniques. Afin de clore la bouche aux opposants éventuels, il  réclame le soutien unanime « des sénateurs et représentants qui se trouvent en France », quitte à flétrir publiquement « la capitulation dont Léopold III a pris l’initiative et dont il porte l’exclusive responsabilité devant l’Histoire ». Ce faisant, il gomme à bon compte les prises de position neutralistes entérinées fidèlement, de 1936 à 1940, par plusieurs de ses membres (Paul-Henri Spaak en tête) et se refait une virginité politique au regard des Alliés. Mais il ne parvient pas à faire taire tous les opposants. Tandis que les socialistes Arthur Gailly, Louis Piérard et Max Buset s’appliquent à exiger « quelque chose de plus viril que la simple résolution qui nous est soumise », le catholique-indépendant René De Dorlodot, monarchiste à tous crins et partisan de longue date d’une entente discrète avec les Alliés, quitte avec fracas l’assemblée déclarant qu’il ne veut pas, par sa présence, s’associer à « une odieuse et ridicule comédie » où tout est joué d’avance et où le Roi est condamné sans avoir pu se défendre. Sans le crier sur tous les toits, d’autres représentants catholiques partagent son opinion. Au bout du compte, Pierlot emporte la mise en se réclamant de l’unité nationale et de la poursuite de la guerre contre l’Allemagne. Mieux, en bon légaliste, s’accrochant à la Constitution, il évite que l’on aborde l’idée d’abolir la monarchie (nourrie par certains) et se satisfait que l’on entérine « l’impossibilité juridique et morale de régner » pour Léopold III (qui ne le lui pardonnera jamais). 

Au bout du compte…

Le gouvernement Pierlot est sorti provisoirement consolidé suite à la « résolution de Limoges ». L’écroulement de la IIIème République quelques semaines plus tard va encore le tirer d’un mauvais pas ultérieur. Plus question désormais, pour la France, de demander des comptes à la diplomatie belge sur son attitude entre 1936-1940. Quant aux parlementaires si unanimes, à Limoges, pour flétrir l’attitude de Léopold III, 74  d’entre eux se rétractent dès le 15 septembre, alignant leurs noms et leurs regrets dans un Mémorandum d’excuses transmis au monarque « prisonnier à Laeken ». La presse collaborationniste répercutera, on le devine, leurs regrets avec délectation…

Bibliographie

Christine DENUIT-SOMERHAUSEN, Jean-Jacques JESPERS, Francis BALACE, Limoges, 31 mai 1940, dans Jours de guerre n°4, Bruxelles, 1991, pp. 65-103. 

René DE DORLODOT, Limoges après la capitulation, Bruxelles, Goemaere, 1945.

André TESTIBUS, Le parlement dans la tempête, Bruxelles, Ignis, 1941. 

Voir aussi

33997-chars-camouflAs.jpg Articles “Drôle de paix” à l’ombre de la neutralité Colignon Alain
33878-manoeuvres-cyclistes.jpg Articles Plans militaires : défendre tout ou partie du territoire? Sterkendries Jean-Michel
Pour citer cette page
Limoges, mai ’40 : la colère impuissante d’un parlement dans la débâcle
Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)
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