Belgique en guerre / Personnes

Gommers Adrienne

Thème - Résistance - Occupation

Auteur : Ferooz Sophie (Institution : Administration communale de Woluwe-Saint-Lambert)

Pour citer cette page

Née à Anderlecht le 19 mars 1920, Adrienne Gommers a un frère aîné, René. Ensemble, ils grandissent paisiblement entre des parents aimants et attentifs à leur éducation, tant morale qu’intellectuelle. Plus tard, elle racontera que sa famille ne se mêlait pas de politique même si son père avait pour habitude d’acheter quotidiennement des journaux d’obédiences diverses, faisant prendre conscience à ses enfants du concept de la diversité des opinions. Le Peuple, La Nation belge, La Libre Belgique, tous les grands journaux francophones sont lus par la famille. Si la montée du fascisme ne les a pas particulièrement inquiétés, elle explique que le racisme leur a par contre toujours paru aberrant et innommable.

Dotée d’un intellect hors du commun, elle se satisfait difficilement de la scolarité très domestique traditionnellement proposée aux jeunes filles. La jeune rebelle est alors présentée à l’abbé Édouard Froidure, aumônier de l’Institut de l’Arbre Bénit où elle étudie. Il lui conseille de se réorienter vers les gréco-latines et de passer le jury central, ce qu’elle fait avec succès. Les portes des études supérieures s’ouvrent dorénavant à elle.

Un engagement évident

Lorsque la guerre éclate, Adrienne a 20 ans, elle est étudiante en philosophie et lettres aux Facultés universitaires Saint-Louis. Dès l’abord, le refus total d’accepter la situation pousse les Gommers à diffuser des tracts hostiles à l’occupant. Toute la famille cherche à se rendre utile, chacun usant de ses propres contacts. Quand Adrienne Gommers relatera plus tard les événements, elle utilisera toujours le « nous ».

Recrutée en novembre 1940 par Christine De Schrijver, une amie d’Adrienne Gommers, la famille rejoint le petit réseau ABC, lié plus tard au Mouvement national belge (MNB). Toute la famille participe à l’effort et aide au ravitaillement du groupe en tickets de rationnement. Adrienne Gommers interrompt ses études pour se consacrer à la résistance contre l’occupant. Ils sont en relation régulière avec Édouard Cleeren jusqu’à son départ pour Londres et avec Roger Maerschalck. Les deux hommes leur amènent plusieurs soldats britanniques entre Noël 1940 et Pâques 1941.

Grâce à l’abbé Froidure, Adrienne Gommers rejoint également en février 1941 un autre groupe – les Amis de Charles – créé par le notaire Charles Woeste et lié au service Zéro. Elle y entre comme chef du « département Usines ». À ce titre, elle recrute elle-même ses effectifs, notamment dans la région de Liège. Elle transmet dès lors des renseignements militaires et économiques (plans d’usines et présence humaine, centrales électriques, plans d’aérodrome).

Malheureusement, Prosper De Zitter et sa compagne Flora Dings, parmi les plus vils traîtres que la Belgique ait connus, réussissent à infiltrer le réseau ABC et causent l’arrestation de 24 personnes, dont les Gommers. La famille est arrêtée par la Geheime Feldpolizei installée rue Traversière le 16 juillet 1941.

adrienne-gommers_red.jpg
Collection : Famille Declercq
Légende d'origine : Adrienne Gommers, 15 mai 1940
28084-Ametteur.jpg
Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Emetteur clandestin

L’incarcération

260px-prison_de_saint-gilles_-_20080325.jpg
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Prison de Saint-Gilles

Adrienne Gommers est enfermée avec sa mère à la prison de Saint-Gilles, au secret durant six mois durant lesquels elle subit vraisemblablement plusieurs interrogatoires de la Gestapo. Ceci ne l’empêche pas de continuer de travailler la philologie grecque. Elles sont ensuite déportées vers Hambourg, où elles attendent leur procès pendant un an. Adrienne apprend l’allemand grâce à une bible trouvée dans sa cellule et en écoutant ses geôliers.

Durant cette période, elles rencontrent deux gardiennes de prison particulièrement clémentes. Engagées d’office, elles sont peu à leur place dans ce rôle et tentent d’aider comme elles le peuvent leurs prisonnières. L’une d’elles écoute Radio Londres afin de les tenir informées. Des années plus tard, Adrienne Gommers insistera sur cet épisode, pour que l’on sache que « ça aussi, ça a existé ».

Elles sont ensuite transférées à la prison judiciaire d’Essen en janvier 1943 en vue de leur procès. Celui-ci débute plusieurs semaines plus tard. C’est l’occasion de voir une dernière fois Adrien Gommers (1886–1943), leur mari et père. Le 25 mai 1943, elles apprennent que le procès est annulé, « l’accusé étant décédé pendant la nuit ». Elles repartent en prison sans connaître leur peine. Adrienne Gommers apprendra bien plus tard que sa mère a été condamnée pour aide à l’ennemi et elle-même pour espionnage et aide à l’ennemi. Elle est condamnée à deux ans et demi de travaux forcés. Elles restent plusieurs mois à la prison d’Essen avant d’être déportées à nouveau.

Ravensbrück

Toujours ensemble, elles arrivent à Ravensbrück le 9 mars 1944 et sont immédiatement confrontées à la déshumanisation. En prison, elles restaient des personnes, elles avaient l’occasion de se plaindre de leurs conditions de détention. Elles osaient bâcler leur travail – remplir des boîtes d’aiguilles – sans craindre de punition. À Ravensbrück, il en va tout autrement. Elles ne sont « plus que des choses aux mains de l’ennemi », relatera-t-elle plus tard. Dès leur arrivée, elles connaissent la violence, la cruauté et l’arbitraire.

Leur statut NN leur interdisant des contacts avec l’extérieur, elles se retrouvent dans le bloc des « lapines », des prisonnières ayant subi des expériences médicales. Elles subissent ensemble les travaux forcés. Affectées « au sable », elles doivent assécher des étangs en déplaçant des tonnes de sable avec des outils rudimentaires.

Adrienne Gommers n’est séparée de sa mère qu’à partir du moment où elle contracte la fièvre typhoïde et est envoyée au Revier, le semblant d’infirmerie du camp. Celles qui entrent au Revier n’en ressortent généralement pas vivantes. Dans ses témoignages, Adrienne Gommers a systématiquement insisté sur l’importance de la solidarité. Des petits groupes se forment et s’entraident. Selon elle, la générosité, l’intelligence et la bonté sont universelles. C’est la solidarité qui lui a permis de survivre à Ravensbrück.

169149-ravensbruck.jpg
Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Camp de Ravensbrück, s.d.

Angèle Gommers, née Lowart (1887–1945), disparaît au cours des transferts massifs organisés par les nazis en mars 1945 à l’approche des Alliés. D’après les documents disponibles aux Archives Arolsen, elle aurait fait partie des convois de déportées vers Mauthausen le 7 mars 1945 et peut-être ensuite vers Bergen-Belsen.

Adrienne ne survit au Revier que grâce à l’aide d’amies communistes qui l'aident à donner l'illusion d'être vivante. Quand la Croix-Rouge suédoise évacue 1500 personnes du camp le 27 avril 1945, seules les détenues capables de marcher peuvent partir. Ses amies forment alors un cercle autour d’elle et la transportent dans le camion.

carte-de-prisonniere-politique.jpg
Collection : Famille Declercq
Légende d'origine : Carte de prisonnier politique, Adrienne Gommers

Une nouvelle mission

À son retour à Bruxelles, elle retrouve son frère René, dont elle restera très proche. Elle reprend ses études de philologie à l’Université catholique de Louvain. Elle les termine avec la plus grande distinction en 1947. Elle obtient ensuite un diplôme d’agrégation qui lui permet d’enseigner le français et la littérature chez les Sœurs annonciades d’Heverlee.

Sa longue détention a toutefois fait naître en elle une nouvelle mission. Sa charge d’enseignante lui permet de financer des études de médecine qu’elle entame en 1949, de front avec un doctorat en lettres à la Sorbonne, à Paris, qu’elle obtient en 1950. Elle obtient son diplôme de médecine en 1956 et choisit de se spécialiser en endocrinologie. Elle devient chargée de cours à l’UCL en 1967 puis s’oriente vers la gérontologie-gériatrie et les soins hospitaliers. Elle rejoint l’École de Santé publique de l’UCL récemment créée. Peu à peu, elle devient pionnière dans la formation des soignants, particulièrement des infirmiers, un métier qu’elle a toujours considéré comme essentiel, se battant pour leur permettre d’accéder à une formation universitaire.

À l’heure de se retirer, elle entreprend de créer une structure permettant d’assurer l’autonomie et la qualité de vie aux aînés malgré les difficultés physiques et financières liées à l’âge.

Après son décès, ses fonds personnels permettent de créer la bourse « Fonds Professeur Adrienne Gommers » gérée par la Fondation Saint-Luc, qui vise à financer des projets liés à la facilitation du retour à domicile des personnes âgées après une hospitalisation. Le CPAS de Woluwe-Saint-Pierre s’est quant à lui vu doter d’un budget visant à créer une unité pilote de courts séjours au sein de la maison de repos et de soins Résidence Roi Baudouin. Enfin, sa maison de la drève du Bonheur a été mise à la disposition d’un centre de jour pour personnes atteintes de troubles graves.

Un engagement permanent

inauguration-memorial.jpg
Légende d'origine : Feuillet d'inauguration du mémorial dédié aux prisonnières politiques belges et à leurs enfants, 2000

Outre ses nombreuses activités professionnelles et académiques, Adrienne Gommers s’est fortement investie dans plusieurs associations liées aux droits des Prisonniers Politiques et Invalides de Guerre. Elle a aussi été la présidente de l’Amicale des Prisonnières et Ayants droit de Ravensbrück ; elle a d’ailleurs partiellement financé l’érection du Monument Ravensbrück dédié aux femmes résistantes et à leurs enfants morts dans les bagnes allemands érigé en 2000 dans le parc Georges Henri à Woluwe-Saint-Lambert.

Adrienne Gommers est décédée le 17 août 2007, porteuse du grade d’adjudant des Services de Renseignement et d’Action, du statut de Prisonnière Politique, du titre de Chevalier de l’Ordre de la Couronne avec palme, de la Croix de Guerre 1940–1945 avec palme et de la Médaille de la Résistance pour son action durant la guerre. Elle est également Officier de l’Ordre de Léopold II pour sa carrière professorale.

En mai 2023 a été créée à Woluwe-Saint-Lambert l’allée Adrienne Gommers & Anne-Marie van Oost-de Gerlache, à l’entrée de laquelle ont été placés des panneaux didactiques en hommage aux deux résistantes rescapées de Ravensbrück.

allee.jpg
Légende d'origine : Allée Adrienne Gommers & Anne-Marie van OOst-de Gerlache, inaugurée le 8 mai 2023.

Bibliographie

Interview vidéo d’Adrienne Gommers, collection Famille Declercq.

Service des Victimes de Guerre, dossier Prisonnière politique, Archives générales du Royaume.

Crochet Marcel, 2016. Gommers, Adrienne, notice biographique in : Nouvelle Biographie nationale, volume 13. Académie royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles : pp. 164-166, ARB_NBN13_GommersAdrienne28424.pdf.

De Meyer-Doyen Lucie, 2008. Brève biographie d’Adrienne Gommers.

Loriaux Michel, 2015. Adrienne Gommers, dame de cœur et apôtre de l’autonomie, n.p.

Pahaut Claire, Ces Dames de Ravensbrück. Contribution au mémorial belge des femmes déportées à Ravensbrück, 1939-1945, Bruxelles, Archives de l’Etat, 2024.

En savoir plus?

27948.jpg Articles Résistance Maerten Fabrice
28027 Articles Femmes dans la résistance Maerten Fabrice
 
Pour citer cette page
Gommers Adrienne
Auteur : Ferooz Sophie (Institution : Administration communale de Woluwe-Saint-Lambert)
/belgique-en-guerre/personnes/gommers-adrienne.html