Débats

La clé pour apprendre réellement du passé

Thème - Mémoire

Auteur : Weyns Babette (Institution : UGent/VUB)

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Bebette Weyns

Babette Weyns

Babette Weyns (°1991) , historienne de l'Universiteit Gent/VUB.

Chaque année, le 8 mai est célébré un peu plus. Pourtant, une commémoration « nationale » des victimes de guerre est moins évidente qu’il n’y paraît, comme l’a déjà démontré Bruno De Wever.

Une résolution qui pose question

 
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Légende d'origine : Résolution adoptée au Parlement belge le 10 avril 2025.







Cela n’empêche en tout cas pas le parlement fédéral de monter dans le train des commémorations. Début avril, une résolution a été votée sur l’éducation à la mémoire et la formation à la citoyenneté autour de la Résistance belge pendant la Seconde Guerre mondiale. La question essentielle demeure : quelles sont les implications concrètes, et s’agit-il plus que d’une opération de façade, alors que la politique gouvernementale s’oppose sur de nombreux plans au contenu même de la résolution adoptée ?

Ce type d’initiative n’est pas neuf. En 1957, le programme de revendications du « conseil d’action de la Résistance » comprenait : la commémoration officielle du 8 mai, un conseil national pour l’éducation à la citoyenneté, et la création d’une institution chargée d’écrire l’histoire de la guerre et de la résistance.

 

Une institution tardive






Pendant des années, les autorités belges avaient échoué à établir une approche pérenne de l’histoire (et de la signification) de la Seconde Guerre mondiale. Il fallait que cela change. Ce n’est qu’en 1967 qu’un véritable centre de recherche pour l’étude de la Seconde Guerre mondiale a vu le jour : aujourd’hui le CegeSoma. Que de nos jours un gouvernement fédéral – dirigé précisément par un Premier ministre nationaliste flamand – initie une résolution correspondant point par point aux revendications des anciens résistants, voilà ce que ces derniers n’auraient sans doute jamais cru. Un long chemin a été parcouru, et les débats au parlement dépassent désormais les clichés sur la résistance et la collaboration. Pourtant, des questions critiques restent nécessaires, alors que cet appel à « la promotion des valeurs démocratiques, de la paix et du développement du sens civique » doit encore être concrétisé.

Car peut-on commémorer en faisant abstraction de la politique menée à une plus large échelle, à une époque où nous sommes entourés par une rhétorique de guerre ? Le slogan « 80 ans de paix » sonne faux. Comment cette résolution s’accorde-t-elle avec les investissements militaires ? Que signifie la paix lorsqu’un Premier ministre refuse d’arrêter un criminel de guerre recherché au niveau international ?

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Légende d'origine : Le bâtiment qui abrite le Cegesoma.

Quel usage du "devoir de mémoire"?

Au parlement, la commémoration semble surtout être une fin en soi. Un membre parle littéralement du devoir de mémoire. Mais ce slogan est aujourd’hui vidé de son sens. Pour qui commémore-t-on, et à quoi sert toute cette mémoire ? Nous vivons dans une société extrêmement diversifiée, dont le civisme collectif ne peut être nourri que par une attention à la pluralité des voix du passé. Que signifie une commémoration nationale pour ceux qui fuient aujourd’hui la guerre et ne sont guère les bienvenus ici ?

Et appelons un chat un chat : quelles recherches accompagnent cette commémoration, alors que ce même gouvernement étrangle financièrement les institutions compétentes ? Les Archives de l’État souffrent d’un sous-financement chronique. Le manque de moyens et de personnel hypothèque l’accès aux sources. Or, c’est pourtant là que se trouve la clé pour réellement tirer des leçons du passé, et savoir ce que l’on commémore, au juste.

La politique concrète du gouvernement, qui prétend vouloir s’investir dans la commémoration du passé, trahit un mépris pour les institutions qui abritent notre mémoire nationale. Cela mine d’emblée toute tentative d’ancrer durablement une véritable culture du souvenir.

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Cette contribution est également parue dans De Morgen sous forme de contribution en ligne (10/05/2025).

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Auteur : Weyns Babette (Institution : UGent/VUB)
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