
Nico Wouters
Docteur en histoire et chef de la Direction opérationnelle 4 (CegeSoma), spécialiste de l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, de la justice transitionnelle et des politiques de mémoire.
Le 8 mai a-t-il été un jour férié en Belgique ?
Aux Pays-Bas, la Journée nationale de la Libération (Bevrijdingsdag), une institution à elle seule, a lieu le 5 mai – elle commémore la signature de la capitulation allemande aux Pays-Bas. En Belgique, à l’exception de la Fête de l’Iris qui est le jour de fête de la Région de Bruxelles-Capitale et qui tombe aussi le 8 mai, il n’existe pas de journée nationale de commémoration à cette date. Comment cela s’explique-t-il?
Il est facile d’invoquer les différences dans les cultures mémorielles nationales. L’État néerlandais a utilisé la Seconde Guerre mondiale après 1945 pour renforcer l’unité nationale. En Belgique, c’est l’inverse qui s’est produit. L’État belge a décidé après 1945 de déléguer les commémorations à des acteurs privés et aux autorités locales. À l’échelle nationale, c’est surtout la mémoire de la Première Guerre mondiale qui est restée centrale. Cela n’était évidemment pas possible aux Pays-Bas, restés neutres pendant la Première Guerre mondiale.
S’en tenir à l’« ancienne » culture mémorielle de 1914–1918 a été une solution de facilité, mais cela n’a pas produisit de culture du souvenir particulièrement forte. En effet, le patriotisme commémoratif lié à la Première Guerre mondiale avait déjà perdu beaucoup de sa vigueur, surtout en Flandre, où une commémoration alternative, le pèlerinage de l’Yser, avait émergé.
Le nouveau site national de mémoire, l’ancien camp de concentration de Breendonk, s’inscrit lui aussi dans une culture commémorative à tonalité essentiellement militaire. Contrairement aux Pays-Bas, l’héritage de la Résistance belge n’a pas non plus pu former la base d’un nouvel ordre moral.
Mais dans le même temps, il ne faut pas non plus chercher les causes trop loin. Une raison bien plus importante est tout simplement le fait que la plus grande partie de la Belgique a été libérée les 3 et 4 septembre 1944. Et les autorités locales, devenues après 1945 les principaux organisateurs des commémorations, ont surtout voulu célébrer leur propre libération. Les jours de libération en septembre (voire en octobre) ont donc d’emblée bénéficié d’un bien plus large soutien.
Le fait que le 8 mai soit malgré tout devenu un jour férié en Belgique après 1945 tient surtout à l’intégration du pays dans une culture mémorielle atlantique. Mais cela a toujours été un jour férié de second rang. Dans les années 1950 et 1960, les écoles et certains services publics étaient fermé le 8 mai. Mais il n’y eut jamais de festivités de grande ampleur.
Lorsqu’en 1974, le gouvernement Tindemans a décidé de supprimer le 8 mai comme jour férié pour des raisons budgétaires, il n’y a quasiment pas eu de réaction. En 1983, le gouvernement Martens a aboli le jour férié en toute discrétion.

Collection : La Nation belge, 10 5 1945
Légende d'origine : Bruxelles, 8 5 1945

Légende d'origine : La Cité nouvelle, 9 5 1945

Droits d'auteur : Wouter Hagens
Légende d'origine : Deelname van de slagers aan de optocht ter gelegenheid van bevrijdingsdag op 5 mei over de Croeselaan in Utrechtht 5 mei 1960. Participation des bouchers au défilé organisé à l'occasion de la journée de la libération, 5 mai 1960.
Pourquoi cette revendication d’un jour de commémoration refait-elle surface aujourd’hui ?

Depuis 2022, on observe un renouveau marqué de la mobilisation sociale autour du 8 mai. Des organisations de la société civile telles que les syndicats socialiste (FGTB) et chrétien (CSC), ainsi que des ONG comme 11.11.11 et la Ligue des Droits humains, se sont regroupées cette année-là au sein de la Coalition du 8 Mai, réclamant que le 8 mai devienne en Belgique également un jour férié officiel.
Elles ont reçu des soutiens du monde culturel et académique. Par exemple, le 8 mai 2023, l’historien et alors recteur de l’Université d’Anvers, Herman Van Goethem, a plaidé publiquement pour ce jour férié.
Ce mouvement sociétal ne peut être dissocié de l’attention croissante que reçoit la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale ces dernières années, incarnée notamment par l’organisation flamande « Helden van het verzet » (Héros de la Résistance), fondée en 2023.
Pourquoi cela se passe-t-il maintenant ? Et ce plaidoyer a-t-il des chances de réussir ?
Pour comprendre le calendrier de cette attention renouvelée, il faut avoir à l’esprit le plus large contexte mémoriel relatif à la Seconde Guerre mondiale. Nous nous trouvons actuellement dans une phase de transition dans la mémoire collective en Belgique et, en particulier, en Flandre. Entre 1995 et 2015, le récit dominant qui tendait à banaliser la collaboration en Flandre s’est complètement effondré. Le tournant capital a eu lieu en 2015, lorsque Bart De Wever, an tant que président du principal parti nationaliste flamand, a pris ses distances avec la collaboration nationaliste flamande.
Mais aucun nouveau récit dominant n’a émergé pour le remplacer.
Parallèlement, nous sommes désormais entrés dans une époque sans témoins vivants. La mémoire vivante a disparu. Cela crée un vide dans notre mémoire collective, qui permet une quête sociétale de nouvelles significations. C’est précisément dans ce vide que la Résistance – et, en conséquence, le 8 mai comme jour férié – peuvent soudainement émerger avec force.
La résolution adoptée par le Parlement le 10 avril 2025 sur l’éducation à la mémoire autour de la Résistance belge pendant la Seconde Guerre mondiale plaide explicitement pour l’instauration d’une « cérémonie commémorative officielle » le 8 mai.
Le 8 mai doit-il devenir un jour férié ou un jour de commémoration en Belgique ?
Qu’un jour férié officiel soit instauré le 8 mai dépendra en fin de compte de décisions politiques. Il serait évidemment bénéfique de renforcer la mémoire de la Seconde Guerre mondiale. Mais cela nécessite aussi une réflexion critique, que l’on entend peu.
Deux questions importantes se posent : Quel impact ce jour férié aurait-il ? Et quelles significations concrètes voulons-nous lui attribuer ?
L’impact de ce jour de fête dépendra du soutien sociétal. Et là, il y a un problème. Il n’y a jamais eu en Belgique ou en Flandre de réelle tradition autour du 8 mai. Ce jour serait donc une tradition inventée. Le soutien actuel est aussi assez unilatéral : il vient surtout de la Flandre et des milieux progressistes de gauche, ce qui peut poser problème pour une journée dite nationale.
D’un point de vue politique aussi, des oppositions existent. Lors de diverses discussions parlementaires, la N-VA s’est toujours opposée à l’idée. En commission du parlement flamand, le 16 mars 2023, le ministre-président flamand Jan Jambon a déclaré préférer les fêtes locales de libération en septembre. Lors du débat fédéral d’octobre 2024, Theo Francken, alors chef de groupe N-VA, s’y est également opposé, arguant que le 8 mai pourrait être récupéré par le communisme.

Légende d'origine : Bannière de la coalition 8 mai

Légende d'origine : Bannière de l’événement commémoratif ‘Voici les noms/Dit zijn de namen’, qui se déroulera du 6 mai 2025 à 14h00 au 8 mai 2025 à 14h00 au Fort de Breendonk
Risque d'un nouveau clivage?
Je ne reprends pas ces arguments à mon compte, mais je veux souligner qu’il existe aujourd’hui un clivage gauche-droite autour de ce jour férié éventuel. Ainsi, le plaidoyer pour une nouvelle fête nationale s’inscrit dans une vieille tradition belge : la politisation de l’héritage de la Seconde Guerre mondiale.
Il y a un risque qu’une future journée de commémoration le 8 mai soit portée par une partie de la population, mais explicitement rejetée par une autre. Cela risquerait d’aboutir à l’effet inverse de celui recherché : davantage de polarisation et moins de dialogue et de compréhension mutuelle.
Une autre question cruciale concerne le contenu d’un tel jour. Il est évidemment important de continuer à rendre hommage aux victimes. Mais quel message concret voulons-nous transmettre en plus ? Le message le plus souvent entendu est celui des droits humains et de la lutte contre l’extrême droite. C’est noble, mais que signifie-t-il concrètement pour les nombreux groupes différents de notre société ? Et comment veut-on transmettre ce message de manière tangible ?
La résolution adoptée est pleine de bonnes intentions, mais reste très vague sur le sens concret à donner à cette journée. Rien ne garantit qu’un tel jour férié contribuera réellement à une meilleure connaissance ou compréhension de la Seconde Guerre mondiale.
Dans un pays fragmenté comme la Belgique, il n’est pas clair non plus qui devra s’en charger. Par exemple, un dialogue entre les deux communautés linguistiques sur le sens à donner à une telle journée nationale semble absent.
Dans tout ce plaidoyer pour le 8 mai, j’ai souvent l’impression que l’on met la charrue avant les bœufs. Comme dit : se souvenir des victimes reste essentiel, mais il reste encore beaucoup de travail avant d’aboutir à une véritable journée nationale de commémoration, capable de donner un sens actuel et pertinent à ce passé.
Bibliographie
Cette contribution est un résumé actualisé de la contribution ‘Waarom we de bevrijding (niet) vieren’ uit De Lage Landen, februari 2025, p. 42-48.
Koen Aerts, Waarom 8 mei ooit een feestdag in België was (maar intussen al halve eeuw niet meer), Waarom 8 mei ooit een feestdag in België was (maar intussen al halve eeuw niet meer) | VRT NWS: nieuws
Résolution relative à l'éducation à la mémoire et à la citoyenneté en ce qui concerne la résistance belge durant la Seconde Guerre mondiale, Voorstel
Maerten Fabrice (dir.), Papy était-il un héros ? Sur les traces des hommes et des femmes dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, Bruxelles, Racine, 2020.
Wouters Nico, "The Second World War in Belgium : 75 years of history (1944-2019)" in RBHC/BTNG/JBH, XLIX, 2019, 2/3. - p. 12-81, https://www.journalbelgianhist...
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