30 avril 1943, Roger, un jeune Gantois de quatre ans, assiste au départ de son père, Marcel. Ce dernier monte dans un train, en direction de l’Allemagne et ses usines. Il fait partie des 200.000 Belges forcés de partir suite à l’instauration du travail obligatoire en octobre 1942. Marcel est envoyé à Dessau en Allemagne.
Institution : Historische huizen Gent
Collection : Exposition Gekleurd verleden, Familie in oorlog
Droits d'auteur : Historische huizen Gent
Légende Web : le maitre a dit que je dois être plus appliqué en classe. C’est parfois très très dur car je pense tout le temps à papa. Je voudrais qu’il soit déjà rentré. Maman dit qu’il doit bientôt revenir mais elle ne sait pas dans combien de temps. J’avais quatre ans quand mon papa a dû partir pour aller travailler en Allemagne. Je me rappelle quand il a pris le train mais je ne savais pas qu’il serait parti si longtemps
Le petit Roger doit désormais apprendre à vivre loin de son père.
Roger reçoit parfois des nouvelles de son papa. Même censurés, ces courriers apportent quelques nouvelles. Marcel vit dans un camp pour les travailleurs de l’Europe de l’Ouest à Dessau. En tant que menuisier, il aide à la construction de baraquements en bois. Les journées de travail sont longues mais les hommes sont payés, peuvent recevoir de soins médicaux et sont correctement nourris . Ils ont également droit à certains divertissements : des excursions le dimanche, le cinéma ou encore le sport
Institution : Historische Huizen Gent
Collection : Exposition Gekleurd verleden, familie in oorlog
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Légende Web : Elle reçoit des lettres de lui. Elles sont drôles ces lettres, elles sont pleines de trous. Maman dit c’est parce que papa n’a pas le droit d’écrire tout ce qu’il veut. Elle dit aussi que ce qu’on voit sur les photos qu’il envoie n’est pas vrai ; qu’il ne s’amuse pas autant que sur ces photos mais moi je crois qu’il s’amuse quand même de temps en temps car ils ont le droit de se battre entre eux ; pas pour de vrai mais pour faire du sport. Sinon il s’ennuie dit maman. Il y a quelqu’un qui joue du piano ou ils peuvent aller voir un film ; moi je n’ai encore jamais vu de film
Roger et sa maman reçoivent une partie du salaire de Marcel. Cette aide leur permet de survivre.
Lors du congé de Marcel, la situation bascule. En théorie, les travailleurs obligatoires peuvent obtenir quelques jours de congés. Cette règle n’est pas souvent respectée par les Allemands. Les travailleurs belges ayant reçu la permission de rentrer au pays sont peu nombreux. Marcel fait partie des chanceux : il obtient quelques jours de congé pour assister au mariage de sa sœur.
Pourtant, Marcel ne souhaite pas retourner à Dessau et décide de tenter sa chance.
Comme beaucoup d’autres jeunes, il plonge dans la clandestinité. Il rejoint les rangs des nombreux réfractaires qui refusent de partir travailler pour le Troisième Reich. Ces derniers ne se sont soit jamais présentés le jour du départ (environ 17 000 ouvriers), soit ils ont, comme Marcel, profité de leur congé pour prendre la fuite.
Malheureusement, le papa de Roger est rapidement repris par les Allemands. Il est renvoyé dans son camp d’origine. Son traitement ne devient pas plus sévère mais désormais, la famille n’a plus le droit de recevoir une partie de son salaire. Roger et sa mère doivent se débrouiller seuls. Heureusement, ils reçoivent un peu d’aide de la grand-mère de Roger.
Institution : Historische Huizen Gent
Collection : Exposition Gekleurd verleden, familie in oorlog
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Légende Web : « J’ai surtout eu trop peur quand les soldats allemands sont partis et que les soldats polonais sont arrivés. On tirait depuis de partout ; on a encore dû se cacher à la cave. On y est resté très longtemps,8 jours et les soldats allemands nous ont trouvés dans la cave. Nous avons dû sortir et j’ai dû lever les mains en l’air. J’avais très très peur, et j’ai pleuré aussi mais maman a dit que ce n’était pas grave, que j’avais le droit de pleurer. Alors nous sommes allés dans une autre cave et là j’ai reçu une tartine avec du vrai beurre ».
Roger et sa mère survivent difficilement à la fin de la guerre. Ils manquent de tout et les bombardements alliés sont de plus en plus dangereux. Heureusement, la Libération est proche. Septembre 1944, entre soldats allemands et polonais, les combats font rage à Gand et Roger et sa maman trouvent refuge à la cave. Les fusils, les coups de feu, le noir, … Roger a très peur.
Après la Libération, Roger et sa maman attendent avec impatience le retour de Marcel. Ils ne savent pas du tout où il se trouve. Va-t-il rentrer ? Si oui, quand ?
En fait, Marcel a été libéré à la fin de l’année 1944 par les Allemands. Devant l’avancée soviétique, ceux-ci permettent aux travailleurs de rentrer chez eux. Marcel prend la route, d’abord à vélo puis à pied. Arrivé à Coblence (à l’ouest de Francfort), il est forcé de s’arrêter. En effet, il est trop malade pour continuer. Marcel est soigné par une infirmière, la fille du bourgmestre. Après trois mois, il peut enfin reprendre le chemin de la maison. Soulagé, Roger voit son père rentrer. Il ne l’avait plus vu depuis son départ en 1943.
Archives de la série Inédits, 19/11/2003, RTBF
Après-guerre, Marcel n’a jamais parlé avec son fils de son expérience à Dessau. Reconnu comme travailleur obligatoire en 1951, il n’a jamais voulu retourner en Allemagne.
De Wever, Bruno, Martine Van Asch, and Rudi Van Doorslaer, eds. “Getuigenis Roger Rombaut.” In Gekleurd Verleden: Familie in Oorlog, 63–67. Tielt: Lannoo, 2010