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Auteur : Otto Kropf
Institution : CegeSoma
Collection : Spronk
Droits d'auteur : Spronk
Légende d'origine : Non légendée
Au coeur de la Belgique occupée

Guerre et images

Thème - Collaboration

La Seconde Guerre mondiale a été largement photographié. La photographie, construction du réel, est un vecteur important de propagande. Apprendre à en décoder le sens caché des photographies est donc primordial.

Auteur : Brulard Margot (Institution : Ville de Bruxelles)

Mortsel, avril 1943, la ville est touchée en plein cœur par un bombardement allié. Destiné à détruire l’usine ERLA, les dégâts civils, matériels et humains, sont importants. 

Sur la photo, un jeune homme, membre du VAVV (Vrijwillige Arbeidsdienst voor Vlaanderen), un organisme proche des partis de collaboration, vient en aide à la population en déblayant les ruines. La photographie met en exergue, à la fois, le caractère dramatique du bombardement et le comportement héroïque du jeune homme. Trait de caractère renforcé par le choix de la contre-plongée. Diffusée dans la presse, cette photographie est accompagnée d’une légende : « Les volontaires flamands du travail sur les lieux du sinistre du bombardement terroriste anglo-saxon le 5 avril 1943. Les volontaires flamands du travail occupés au déblaiement et à la démolition des ruine. [Sipho] ». Réalisée par l’agence de presse Sipho, autorisée par la censure allemande, cette photographie a clairement un objectif de propagande.  

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Institution : CegeSoma
Collection : Sipho
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : "Les volontaires du travail flamands sur les lieux de sinistre du bombardement terroriste anglo-saxon le 5 avril 1943.Les volontaires du travail flamands occupés au déblaiement et à la démolisation des ruines. De Vlaamse arbeidsvrijwilligers op de plaats van het onheil, aangericht door de angel-saksische luchtbestoking : 5 april 1943. De Vlaamse arbeidsvrijwilligers aan het opruimen en verwijderen van de puinen."

La subjectivité de la photographie

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Auteur : Otto Kropf
Institution : CegeSoma
Collection : Spronk
Droits d'auteur : Spronk
Légende d'origine : Non légendée

Photographier, c’est faire des choix : choix du sujet, de la prise de vue, du cadrage, etc.

Ces décisions sont prises par le photographe en fonction du matériel  et selon des critères esthétiques, culturels ou personnels ou encore propagandistes. Dans un contexte de guerre et d’occupation, censure et autocensure dictent également le geste du photographe. À travers divers organismes, l’Occupant contrôle le travail du photographe. Un certain nombre d’entre eux, par crainte de représailles, répriment leur travail.  

Comprendre une photographie nécessite de s’intéresser au contexte de réalisation et de diffusion. Qui a pris cette image ? S’agit-il d’un cliché isolé ? Pourquoi ? Comment ? De quelle manière ? Dans quel contexte ? 

Photographier pendant la guerre

La guerre est-elle propice à la photographie ? Les vastes collections photographiques datant de cette période semblent le prouver.

De manière générale, la photographie n’est pas interdite durant l’Occupation et son utilisation privée continue. L’activité n’est pas encore généralisée mais certains privilégiés disposent d’un appareil photo. Mariage, baptême, anniversaire, … les albums privés regorgent de clichés immortalisant les évènements  familiaux importants. Autocensure et état d’esprit jugé peu propice, la guerre et l’Occupant sont largement absents de ces clichés.  

Toutefois, l’arrivée des Allemands est synonyme de changement et de nouvelles règles pour le photographe professionnel et la presse. 

Les différents rouages d’un appareil de censure 

L’Occupation impacte profondément le travail des photographes professionnels. Le système de contrôle et de censure à plusieurs niveaux établi par l’occupant est difficile à contourner.

Association de presse illustrée

Premier niveau de contrôle : les photographes.

Novembre 1940, une ordonnance allemande oblige tous les photographes professionnels à s’inscrire à l’Association de presse Illustrée. Créé en 1929 sous le nom d’Association générale des reporters photographes de la presse Belge, ce groupement s’était donné comme objectif de « défendre les libertés et les droits de reporters photographes de presse » et de « sauvegarder et de protéger, par tous les moyens dont elle dispose, les intérêts et la dignité professionnelle des membres ».

Ces intentions semblent disparaître avec le changement de nom : l’Association devient principalement un centre de contrôle des illustrateurs de presse (dessinateurs, photographes, etc.) au service de l’occupant. 

Quatre agences de presse

Deuxième niveau de contrôle : les agences de presse.

Au début de l’Occupation, seules trois agences de presse sont autorisées par les autorités allemandes : Sado, Graphopresse et Sipho. Quelques mois plus tard (janvier 1941), l’agence Belgapress est également accréditée.  Ces agences ont le monopole de la distribution des images d’actualité. Cette centralisation facilite le contrôle de l’image par l’occupant.

Quelques photographes indépendants, une cinquantaine en Flandre et Wallonie en février 1941, conservent leur travail. Leur statut d’indépendant n’est certainement pas synonyme de liberté et ils doivent eux-aussi se plier à la nouvelle réglementation. Les photographes juifs ne peuvent plus exercer. 

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Collection : Archives Sadocolor
Légende d'origine : Extrait d'un registre de l'agence Sado, juillet 1944.
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Institution : Archives privées
Collection : Archives privées
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Non légendée

Frei gegehen durch zensur  

Troisième niveau : l’occupant

« Frei gegeben durch zensur  ». Placée à côté des images publiées, cette annotation est loin d’être anodine : elle signifie que l’image a été validée par le service presse illustrée de la Propaganda-Abteilung (PA). La PA réglemente la vie culturelle et journalistique en Belgique occupée. Passage obligé pour tous clichés avant publication, son objectif de propagande, en faveur du régime national socialiste, ne fait aucun doute. Autocensure, contrôle à travers l’Association de Presse illustrée, via les agences de presse et le secteur presse illustrée de la PA : le parcours d’une photographie jusqu’à sa diffusion est long. Le résultat ? Des photographies vantant le mérite de l’occupant, du national-socialisme et où, les côtés sombres de l’Occupation (violence, privations, répression allemande, etc.) sont absents.

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Légende d'origine : Verso d'une photo passée par les services de la censure allemande

Décoder le(s) message(s)

Chaleur, soleil, glace détente, … Ces Allemands semblent savourer les plaisirs de l’été bruxellois.  Ce cliché montre une réalité de l’Occupation très éloignée de celle de nos représentations. La violence de la guerre cède la place à une image douce et simple, du noir et blanc à la couleur, l’occupant à un homme profitant des joies simples de la vie.

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Auteur : Kropf
Institution : CegeSoma
Collection : Spronk
Droits d'auteur : Spronk
Légende d'origine : Non légendée

L’auteur de cette photographie est Otto Kropf. Photographe professionnel près de Stuttgart avant-guerre, Kropf est mobilisé en 1939 et séjourne en Belgique entre 1940 et 1943. Il travaille pour le service de propagande de l’armée allemande.  L’origine, le professionnalisme et le statut de Kropf sont autant d’informations nécessaires pour analyser son œuvre. Toutefois, entre reportage sur le quotidien, tourisme de guerre et photographie privée, donner un contexte précis à son travail est parfois difficile. L’absence systématique de légendes et de dates complique encore plus la tâche. 

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Auteur : Otto Kropf
Institution : CegeSoma
Collection : Spronk
Droits d'auteur : Spronk
Légende d'origine : Non légendée

Au début de l’Occupation, de nombreuses photographies tentent de donner une image positive des Allemands. L’Occupation semble douce, sans violence. 

Pas de trace de privation ou de violence sur ces photographies de Kropf immortalisant les patineurs du bois de la cambre. Ces clichés dévoilent le regard professionnel et esthétique du photographe. Difficile de dire que l’image date de la période d’Occupation. La difficulté du quotidien est largement absente pour laisser place à une vie insouciante.  La couleur renforce la dimension positive de l’image. 

Construction du réel, la photographie n’en reste pas moins un témoignage du passé. Elle nous offre un « troublant face à face » avec un passé  lointain. À travers l’image, on se sent parfois plus proche de cette époque révolue. 

La photographie permet d’aborder des questions, des thématiques absentes des sources écrites. 

Ce cliché montre des soldats allemands se baladant dans la ville. Au premier plan, un étalage de fruits et de légumes. L’image souhaite montrer la normalité de l’Occupation, mais au contraire, au passage des troupes, la vie semble s’arrêter ; les regards sont fixés sur l’occupant. Le prix élevé des fruits témoigne également d’une réalité difficile de la guerre : celle du ravitaillement et de l’alimentation. 

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Auteur : Otto Kropf
Institution : CegeSoma
Collection : Spronk
Droits d'auteur : Spronk
Légende d'origine : Non légendée

La photographie et la collaboration

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Institution : CegeSoma
Collection : Sipho
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Une vue générale de la Grand'Place.Een algemeen zicht op de Grote Markt. [Frei gegeben durch zensur]

Face visible

Bruxelles, Grand-Place. Aout 1942, départ des volontaires flamands pour le front de l’Est. Le lion des Flandres et la croix gammée sont bien visibles.

Cette photographie reflète la volonté des mouvements de collaboration de s’imposer dans l’espace public. Défilés et cérémonies empreintes de symboliques s’y succèdent. Ici, le lion des Flandre souligne la volonté de flamandisation de la capitale par le mouvement flamand. Cette photographie est prise lors du départ des volontaires flamands sur le front de l’Est. Ces départs, tant pour la Flandre que pour la Wallonie, donnent lieu à de cérémonies très ritualisées, mises en scène et largement relayées dans la presse. On y vante le caractère héroïque de ces jeunes soldats partant combattre le « danger communiste ». 

Rapidement, les départs s’alterneront avec d’autres évènements : les cérémonie ou marches commémoratives en l’honneur des soldats tombés sur le front de l’Est.  Le mort devient un martyr, un héros dont la mémoire doit être honorée. En 1942, le VNV organise à Bruxelles une marche en l’honneur de Reimond Tollenaere, un homme politique flamand tué au combat.

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Institution : CegeSoma
Collection : Belgapress
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Le bras tendu, les jeunes filles de la DMS saluent par centaines les soldats défilant dans les rues

Les volontaires flamands défilent sur les boulevards du centre de Bruxelles. À l’image des Meisjesscharen (DMS), un mouvement de jeunesse de  collaboration, qui ponctuent d’un salut hitlérien, les spectateurs, en nombre, semblent tous adhérer à la cause. Un cortège sans fin, une foule immense, voici l’impression donnée par l’angle de vue horizontal.

Voici le même évènement photographié en hauteur. La foule parait ici moins compacte.  A travers le choix d’un angle de vue, le photographe influence notre perception.  Les composantes techniques et stylistiques d’une image sont également porteuses d’informations à ne pas négliger. 

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Institution : CegeSoma
Collection : Belgapress
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Défilé lors des funérailles de Reimond Tollenaere

À travers ces images, la collaboration est représentée comme un phénomène de masse recevant l’adhésion d’un grand nombre de Belges. Toutefois, cette interprétation diffère largement de la réalité où la collaboration est avant tout un choix minoritaire. Dans un but de propagande, l’image nous donne une représentation faussée de la réalité. 

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Institution : AGR-CegeSoma
Collection : Photos des archives de la police judiciaire de Bruxelles en rapport avec les attentats, les sabotages et les vols ("Attentats Occipation"), 1940-1944
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Non légendée

Face cachée

Woluwe Saint Lambert, 28 juillet 1943. Un homme git au sol de sa pharmacie. Sympathisant rexiste, il a été tué par un résistant.

Cette photographie témoigne d’une réalité de l’Occupation et de la collaboration bien différente des clichés des cérémonies et rassemblements;  cette réalité est faite de violence, de meurtres, d’attentats contre des collaborateurs ou des résistants, etc.

Ce visage de l’Occupation n’a pas sa place au sein des photographie de propagande mais nous parvient grâce à une institution judiciaire : la Police judiciaire qui, dans le cadre d’enquêtes officielles, immortalise les scènes de crimes. Ces photographies ne prennent  complètement sens que dans leur environnement judiciaire. Le contexte et l’environnement photographique d’une image sont également à considérer pour analyser un cliché. 

 En 1943 et 1944, la violence contre les collaborateurs explose. Ces photographies non destinées au grand public n’ont pas subi les affres de la censure. Elles nous dévoilent une autre facette de la collaboration; une facette cachée témoignant de l’impopularité des mouvements de collaboration et contraste nettement avec l’engouement de la foule visible dans les photos diffusées dans la presse et par l’occupant. 

Conclusion

Identité du photographe, caractéristiques techniques, environnement photographique, contexte de diffusion, règles et organismes de censure, … Analyser correctement une image implique de considérer de nombreux éléments.  Seule une recherche rigoureuse et minutieuse permette à l’historien de percer le mystère de certaines images. Toutefois,  parfois, l’absence d’informations rend cette contextualisation impossible. L’image doit être alors être utilisée avec précaution.

La majorité des photographies présentées sur le site Belgium WWII proviennent de la photothèque du CegeSoma, qui, grâce aux clichés de l’agence de presse Sipho et d’autres fonds, possède un patrimoine photographique riche de plus de 300.000 pièces.

Bibliographie

DELPORTE Christian, GERVEREAU Laurent & MARECHAL Denis (éd.), Quelle est la place des images en histoire?, Paris, Nouveau monde éditions, 2008 (coll. Histoire culturelle).

KESTELOOT Chantal, Bruxelles sous l’Occupation 1940-1944, Bruxelles, Luc Pire, 2009 (coll. Villes en Guerre).

RENCHON Céline, Sipho 1940-1944, une agence de photographie au service de la propagande nazie en Belgique, mémoire ULB, 2000.

Pour en savoir plus

27948.jpg Articles Résistance Maerten Fabrice
165211 Articles Collaboration militaire De Wever Bruno
276143.jpg Articles Attentats commis par la résistance Maerten Fabrice
Pour citer cette page
Guerre et images
Auteur : Brulard Margot (Institution : Ville de Bruxelles)
https://www.belgiumwwii.be/au-coeur-de-la-belgique-occupee/guerre-et-images.html