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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : A. Tourovets
Légende d'origine : La gare d'Etterbeek bombardée, 7 septembre 1943
Belgique en guerre / Articles

7 septembre 1943. Tragique bombardement de Bruxelles

Thème - Occupation

Auteur : Kesteloot Chantal (Institution : CegeSoma)

Un parfum d’été finissant flotte sur Bruxelles, le temps est beau bien qu’un peu nuageux. Peu avant 10 h, les sirènes d’alerte retentissent, une fois de plus, une fois encore… Un son strident fait désormais partie du quotidien, ne provoquant plus de panique. Certains ne prennent même plus la peine de descendre dans les abris. Dans les classes, les cours continuent… Dans le ciel pourtant, d’étranges oiseaux menacent. Cette fois, l’alerte est sérieuse. Des explosions retentissent. Plusieurs communes bruxelloises sont touchées.

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : A. Tourovets
Légende d'origine : La gare d'Etterbeek bombardée, 7 septembre 1943

Le bombardement le plus meurtrier sur la capitale

Au petit matin, peu avant 8 h, 251 bombardiers de l’United States Army Air Forces (USAAF) ont quitté leur base en territoire britannique. Leurs cibles du jour sont au nombre de trois : l’aérodrome de Leeuwarden aux Pays-Bas, la base secrète de lancement de fusées à Watten dans le Nord de la France et les ateliers de réparation des chasseurs et bombardiers allemands de la SABCA à Haren, à proximité de l’aérodrome militaire d’Evere, sous contrôle de l’occupant. A 9 h 51, à quelque 7000 m d’altitude, 130 bombes de 250 kilos sont larguées en un seul passage, provoquant une immense explosion. Deux minutes plus tard, c’est au tour d’une deuxième vague. Trois communes bruxelloises sont touchées : Ixelles, Etterbeek et Evere.

C’est à Ixelles que se situe le cœur de l’impact, à proximité immédiate de la plaine des manœuvres et de la gare d’Etterbeek. Des blocs entiers des avenues de la Couronne et des Saisons, des rues Emile de Béco, Henri Marichal et Juliette Wytsman et du boulevard Général Jacques sont éventrés. Deux trams ont également été lourdement touchés. Le trafic routier mais aussi ferroviaire est interrompu. Des dizaines de maisons sont en ruines ; des centaines d’autres plus légèrement touchées.

Rapidement, les secours tentent d’arriver sur place mais les accès sont parfois rendus difficiles par les véritables cratères qui se sont formés dans la chaussée. Ce qui les attend est effroyable : maisons éventrées, victimes lourdement touchées, blessés amputés, corps calcinés et méconnaissables, personnes hébétées... Les blessés légers sont soignés sur place, les autres emmenées dans les hôpitaux des environs. Des habitants errent sur place à la recherche de leurs proches, des parents se ruent vers les écoles pour retrouver leurs enfants.

Le bilan humain est particulièrement lourd : 282 civils sont tués sur place et 216 blessés graves. Mais le décompte réel reste difficile. A ces victimes s’ajoutent des prisonniers et des résistants incarcérés dans les caves de la gendarmerie de l’avenue de la Couronne, sous contrôle allemand. Ils sont au nombre de 27. Parmi eux se trouve Jean Greindl, un des responsables du réseau Comète. Des militaires allemands sont également tués. On ignore leur nombre.

A Evere, le nombre de victimes est moindre : 19 ouvriers travaillant dans les ateliers de réparation de la SABCA, le véritable objectif de l’opération.

 

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Sipho
Légende d'origine : Bombardement terroriste de Bruxelles le 7/9/ par l'aviation anglo-américaine [8/9/1943] [Frei gegeben durch zensur] [Sipho]
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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Sipho
Légende d'origine : Bombardement terroriste de Bruxelles le 7/9/ par l'aviation anglo-américaine [8/9/1943] [Frei gegeben durch zensur] [Sipho]

Une arme de propagande dans la presse

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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Pays réel, 8 9 1943, p. 1

Rapidement la presse s’empare de l’événement. Tous les quotidiens soumis à la censure de l’occupant publient de longs reportages. Consigne oblige, les lieux précis ne sont jamais mentionnés. Il y est question de Bruxelles mais sans autre précision. Seul Le Nouveau Journal y glisse une discrète information : la tombe d’un de ses fondateurs, Paul Colin, a été bombardée. Le lieu n’est pas mentionné à cette date mais il l’a été, lors de ses funérailles, en avril 1943 : il s’agit du cimetière de Bruxelles à Evere.

Outre la dénonciation des « terroristes », ou « soi-disant libérateurs », la presse évoque longuement la barbarie du bombardement, invitant ses lecteurs à réfléchir sur les véritables « ennemis ». Il s’agit aussi de mettre en exergue la rapidité de l’aide. Les services de police sont arrivés presqu’immédiatement sur les lieux et ont bouclé le quartier. Il en va de même des secours : brancardiers de la Croix-Rouge et agents de la Défense anti-aérienne. L’action des autorités publiques est également saluée et on souligne la visite de Jan Grauls, bourgmestre de Bruxelles et de Gerard Romsée, secrétaire général du ministère de l’Intérieur.

Il s’agit également de montrer que non seulement l’organisation des secours a été exemplaire mais aussi que tous les habitants ont été pris en charge. Le Secours d’Hiver a été sollicité et a répondu présent. Repas, lait et soupe ainsi que des timbres de ravitaillement ont été distribués aux sinistrés qui se sont en outre vus remettre la somme de 100 francs. Un million de francs a d’ailleurs été libéré par la Ville dès le 7 septembre. Plus de 600 familles sont aidées. Une collecte est en outre organisée dans les rues de la capitale les 11 et 12 septembre. Bref, un ennemi impitoyable et une prise en charge exemplaire, tels sont les deux fils rouges de la presse censurée au lendemain du dramatique événement. En fonction de la situation, de nouvelles aides seront octroyées par la suite.

Des funérailles savamment mises en scène

Le 10 septembre ont lieu les funérailles de 120 des victimes. D’autres cérémonies ont déjà eu lieu, d’autres suivront jusqu’au 21 septembre. Avant d’être rassemblés devant l’église Sainte-Croix à Ixelles, les cercueils ont été réunis dans l’école de la rue Fétis à Etterbeek où les familles ont été invitées à reconnaître leurs proches. Pour les funérailles, 30 camions ont été réquisitionnés. A leur bord, à chaque fois quatre cercueils. Vu l’exiguïté de l’église, seul un cercueil – celui d’une victime non identifiée – a été transporté dans l’enceinte de l’édifice. Sur place, la foule est particulièrement dense et se masse jusque dans les étages du bâtiment voisin de l’INR. La scène est immortalisée par Otto Kropf, au service de la Propaganda Abteilung. Il photographie l’événement depuis l’intérieur de l’église.

Sur le parvis, plusieurs groupes se distinguent : des dignitaires religieux, des responsables belges (des représentants de la Cour, les secrétaires généraux Romsée et Leemans, le bourgmestre de la Ville et le collège du Grand-Bruxelles) et les familles. Les Allemands sont également présents. Il s’agit pour l’occupant de montrer qu’il participe au deuil de la population locale et donc de dénoncer les agissements des « terroristes ». Ils espèrent ainsi convaincre la population qu’ils ne sont en rien responsables des bombardements. Pour les habitants, les bombardements sont en effet vécus de manière douloureuse : comment concilier chagrin et douleur et espoir de victoire alliée ?

Au terme de la cérémonie religieuse, le cortège s’ébranle en direction du cimetière. Sur le trajet, tous les lampadaires ont été voilés de crêpe. Au total quelque 200 victimes seront enterrées au cimetière d’Ixelles dans une parcelle qui leur est spécifiquement dédiée. Aucune cérémonie officielle n’est organisée pour les funérailles des 19 victimes d’Evere.

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : [Propaganda-Abteilung Belgien - PK Kropf]
Légende d'origine : Funérailles de victimes d'un bombardement allié à Bruxelles, 10/09/1943
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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Sipho
Légende d'origine : Les funérailles des victimes de l'attentat terroriste anglo-américain sur Bruxelles ont eu lieu le 10/9/1943. . [13/9/1943] [Frei gegeben durch zensur] [Sipho]
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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Sipho
Légende d'origine : Les funérailles des victimes de l'attentat terroriste anglo-américain sur Bruxelles ont eu lieu le 10/9/1943. [11/9/1943] [Frei gegeben durch zensur] [Sipho]

Des dégâts « collatéraux », humains et matériels

Les nombreuses victimes du bombardement du 7 septembre 1943 sont en fait des victimes collatérales (collateral damage) de l’opération, un phénomène alors très fréquent. Le tribut payé par les populations civiles est particulièrement lourd. Dans le cas du 7 septembre, la source de confusion est liée à la ressemblance des lieux, à 7000 m d’altitude. La plaine des manœuvres d’Ixelles entourée d’un réseau de communications par voies ferroviaires, de vastes bâtiments, la proximité d’un cimetière et d’un quartier d’habitations présente un certain nombre de similitudes avec le quartier entourant la plaine d’aviation d’Evere. Les deux lieux se trouvent dans le même axe. Le temps beau mais nuageux ajoute à la perception un peu brouillée des choses.

Au-delà du drame humain, près de 1200 maisons ont été touchées ; 188 sont totalement détruites. La circulation des trams – dont les voies ont été détruites – n’est rétablie qu’un mois plus tard. Après les déblaiements vient l’heure des bilans et des constats. Une première forme d’indemnisation des victimes transite par le ministère de la Reconstruction. A l’issue du conflit, les sinistrés bénéficieront d’aides sous forme de dommages de guerre. Des dossiers sont établis pour la circonstance. Conservés aujourd’hui aux Archives de l’Etat, on y trouve de nombreux clichés qui permettent d’évaluer sommairement l’ampleur des dégâts. Mais le quartier mettra des années à se reconstruire. A Evere, les dégâts sont moindres. Seules 2 maisons sont totalement détruites et des dégâts sont constatés à quelque 200 habitations.

Aujourd’hui, une plaque rend hommage à trois des victimes tuées alors qu’elles étaient incarcérées dans les caves de la gendarmerie. Le quartier a lui été entièrement rebâti et la plaine des manœuvres héberge désormais des locaux de l’ULB et de la VUB. L’aérodrome d’Evere est, quant à lui, devenu le siège de l’OTAN.

Après le mois de septembre 1943, d’autres bombardements ont encore touché Bruxelles. Le dernier en date étant celui du 3 août 1944 au square Ambiorix. Il fera 42 morts dont plusieurs enfants en train de jouer dans le square au moment des faits…

 

Bibliographie

Albert Guyaux, Le bombardement d’Ixelles & d’Evere le 7 septembre 1943, Bruxelles, ASP, 2021

Chantal Kesteloot, Bruxelles sous l’Occupation 1940-1944, Bruxelles, Luc Pire, 2009 (coll. Villes en Guerre).

http://memoiresecolieres.blogs...

Pour en savoir plus

36(2).jpg Articles Guerre aérienne en Belgique (La) Colignon Alain
278-bombardement-mai-1940.jpg Articles Bombardements de Courtrai Trogh Pieter
Pour citer cette page
7 septembre 1943. Tragique bombardement de Bruxelles
Auteur : Kesteloot Chantal (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/7-septembre-1943-tragique-bombardement-de-bruxelles.html