Belgique en guerre / Personnalités

Goris René

Thème - Occupation

Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)

A l’été 1940, l'industriel et leader patronal catholique anversois René Goris (1895-1989) a été invité à devenir "commissaire des corporations" afin de contribuer à une réforme politique dans une optique autoritaire et catholique. Le projet n'a finalement pas abouti. Ultérieurement, Goris jouera un rôle de premier plan dans la Corporation nationale d'Agriculture et d'Alimentation (CNAA), créée à l’initiative de l'occupant.

Né à Anvers, René Goris (son frère, Jan A. Goris, est connu sous son nom de plume Marnix Gijsen) a terminé sa licencie en sciences commerciales et financières peu avant la Première Guerre mondiale. Il a enseigné à l’école supérieure de commerce Saint-Ignace et à l’école supérieure catholique flamande pour filles. Ce n'est cependant pas son activité principale. Après avoir travaillé dans une étude de notaire et dans une caisse d'épargne, Goris a été directeur de la biscuiterie et chocolaterie De Beukelaer de 1928 à 1965, dont il a également été administrateur à partir de 1929.

Idéologue du corporatisme

René Goris est également actif au sein de l'organisation patronale catholique flamande, la (L)ACVW-(Landelijk) Algemeen Verbond van Christelijke Werkgevers, où il a exercé des fonctions dirigeantes à partir de 1933. Mais Goris est avant tout l'idéologue du corporatisme. En 1933, il présente un plan visant à traduire, dans la réalité belge, le corporatisme, présenté comme une solution à la crise économique dans l'encyclique Quadragesimo Anno (1931). Goris défend un corporatisme autoritaire inspiré du modèle fasciste italien. Il prévoit notamment l’interdiction pénale de la grève et du lock-out, ainsi qu'un syndicat unitaire pour mettre fin au pluralisme syndical qui, selon Goris, conduit à la surenchère syndicale. L’homme a également diffusé ses idées sur le corporatisme par l'entremise du quotidien catholique De Courant.

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Commissaire des corporations

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Archives René Goris
Légende d'origine : Manifeste corporatif, 1940.
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Institution : CegeSoma/Archives de l'État
Légende d'origine : Karel Verwilghen, s.d.

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Goris est un idéologue reconnu du corporatisme. Par ailleurs, il connaît bien l'organisation du patronat catholique. C'est ce qui explique qu’il soit chargé, en août 1940, de rédiger un manifeste corporatiste qui devrait servir de base pour orienter les relations sociales dans une optique autoritaire et corporatiste, dans la ligne du corporatisme qu’il a défendu au début des années 1930. Ce manifeste corporatiste doit constituer la base d'une réorganisation corporatiste et catholique sur le plan politique et sociétal. Il doit être considéré comme la réponse du monde catholique aux divers projets politiques de l'été 1940. L'objectif est que tant la LACVW que la CSC/ACV se rallient à ce manifeste. Karel Verwilghen (1883-1979), secrétaire général du Travail et de la Prévoyance sociale et, depuis juin 1940, commissaire à la Reconstruction, désigne dès lors Goris comme "commissaire des corporations", une nouvelle fonction à créer. À ce poste, Goris pourrait concrètement mettre en œuvre les principes énoncés dans le manifeste. De cette manière, les relations sociales seraient non seulement basées sur une doctrine corporatiste catholique mais les catholiques pourraient également faire front pour être plus forts dans la lutte en cours pour le pouvoir, lutte centrée autour d'une éventuelle réforme politique d'envergure et où Henri De Man joue un rôle central.

En termes de contenu, le manifeste corporatiste est très proche du modèle corporatiste que Goris a défendu au début des années 1930 dans le giron du monde patronal catholique flamand.  Des syndicats unitaires de travailleurs et d'employeurs en constitueraient la base. Au sein de conseils sectoriels, ces instances syndicales fixeraient les salaires et les conditions de travail dans des règlements professionnels. Les grèves et les lock-out seraient interdits et les conflits sociaux soumis à une magistrature du travail, un système qui existe également dans l'Italie fasciste. Les conseils sectoriels auraient des pouvoirs non définis sur le plan économique et constitueraient le point de départ d'une sorte de corporatisme politique : les conseils nommeraient des délégués à un conseil économique national, une sorte de parlement économique. Ce projet devrait être la base d'une réforme politique plus ambitieuse, qui remplacerait "l'ancien régime parlementaire" et donnerait à la famille et à l'entreprise une place dans "l'organisme de la société" et devrait "préserver l'économie des entreprises du monde de la haute finance". En bref, le manifeste devait devenir le fondement d'une réforme chrétienne organique de la politique et de la société, désormais envisageable dès lors que la démocratie semble condamnée.

Le fait que le manifeste ait été conçu comme une tentative de réforme politique d'inspiration catholique ressort non seulement du contenu du document, mais aussi du lien avec le cardinal Van Roey, à qui il a été demandé conseil. Celui-ci n'a pas d'objection de principe, mais a appelé à la prudence et en a déconseillé la publication. Il s’est également montré disposé à demander à Mme De Beukelaer, l'employeur de Goris, de renoncer à son opposition à la nomination de Goris au poste de commissaire des corporations. Elle est finalement restée sur ses positions : le 23 septembre 1940, il est clair que Goris ne deviendra pas Commissaire aux Corporations. La réforme politique de grande envergure souhaitée par beaucoup ne s’est finalement pas concrétisée et la réorganisation syndicale prend la forme de l’Union syndicale puis de l'Union des Travailleurs manuels et intellectuels (UTMI) où se retrouvent les trois syndicats d'avant-guerre et l'Arbeidsorde, d’inspiration nationaliste flamande.

Chef de la CNAA

Goris joue finalement un rôle dans le développement du corporatisme, mais à une échelle plus limitée. Il devient en 1942, à la demande du secrétaire général Emiel De Winter, chef du secteur de l'industrie alimentaire au sein de la CNAA. Cette dernière organise l'ensemble de la production, de la transformation et du commerce agricoles sur un mode corporatiste, selon le modèle nazi. Cette nomination n'est pas seulement un prolongement du travail idéologique préliminaire de Goris dans les années 1930, mais s'inscrit également dans la continuité de ses activités professionnelles dans l'industrie alimentaire.

Après la Seconde Guerre mondiale, Goris prend ses distances avec le corporatisme autoritaire et œuvre en faveur de l’économie de concertation. À partir de la fin des années 1950, il s'engage également dans la politique locale à Brasschaat pour le compte du CVP.

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Institution : CegeSoma/Archives de l'État
Légende d'origine : Emiel De Winter, secrétaire général de l'agriculture et de l'alimentation, 1941-1943. 3ème anniversaire de la CNAA, fêté dans la grande salle des Beaux-Arts le 3/9/31943. Monsieur Le Secrétaire Général De Winter visite l'Exposition organisée à cette occasion.
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Institution : KBR
Légende d'origine : Het Laatste Nieuws, 6 juillet 1948, p. 5.

Bibliographie

Dirk Luyten ,’Goris, Renatus, René, Cornelis, Leopoldus’ in, G. Kurgan-van Hentenrijk, S. Jaumain, V. Montens, m.m.v. J. Puissant, J.J. Heirwegh (eds), Dictionnaire des patrons en Belgique. Les hommes, les entreprises, les réseaux, Bruxelles, De Boeck & Larcier, 1996, p. 328-329.

Dirk Luyten, Ideologie en praktijk van het corporatisme tijdens de Tweede Wereldoorlog in België, Bruxelles, VUBRESS, 1997, p. 43-54.

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Pour citer cette page
Goris René
Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/goris-rene.html