En tant que chef de la légation belge à Lisbonne, le comte Baudouin de Lichtervelde est le principal représentant diplomatique de la Belgique au Portugal, pays neutre durant la Seconde Guerre mondiale. Du moins jusqu'à ce qu'il soit démis de ses fonctions à la fin de l'année 1942. S'agit-il d'un diplomate de haut rang qui s'est avéré incapable de relever les défis de la diplomatie en temps de guerre, ou son départ est-il lié à d’autres choses ?
Baudouin de Lichtervelde (1877-1960) est né à Vienne où son père Gontran, alors jeune diplomate, défendait les intérêts de la Belgique. Vingt et un ans plus tard à peine, il suit ses traces. L'influence de son père se fait fortement sentir au début de sa carrière, tant sur le plan professionnel que politique. Ainsi, Gontran de Lichtervelde fait à plusieurs reprises pression sur les fonctionnaires bruxellois pour obtenir les meilleurs postes pour son fils Baudouin. Comme son père, il soutient publiquement la politique expansionniste de Léopold II dans le débat public par des publications dans les médias belges, chose tout à fait inhabituelle pour les diplomates.
Peu après la Première Guerre mondiale, de Lichtervelde obtient son premier poste de ministre plénipotentiaire à la tête de la légation belge à Lisbonne. Il a épousé Lucia Ippoliti, une ressortissante Italienne qu'il a rencontrée alors qu'il représentait la Belgique à Rome. Elle aura un impact important sur sa vie professionnelle. Au Portugal, un pays "voisin" de la Belgique pour ce qui est des possessions coloniales, de Lichtervelde peut à nouveau s'engager dans son domaine de prédilection. En 1930, il rejoint également, depuis Lisbonne, l'Institut royal colonial belge, ancêtre de l'Académie royale des sciences d'outre-mer.
Dans son dossier personnel au ministère des Affaires étrangères, il est considéré comme quelqu'un de très attaché aux "traditions d'antan". Contrairement à certains de ses collègues, il se tient à l'écart des journalistes belges et se plaint des obligations accrues envers les touristes et ressortissants belges présents au Portugal.
Pour ses opposants au sein du corps diplomatique, il n’est pas difficile de le dépeindre comme un vieil homme pour qui la charge de travail est devenue un peu trop lourde à cause de la guerre. Son successeur, André Motte, le présente comme un homme incapable de gérer le flux de réfugiés en provenance de Belgique et qui n'est plus en mesure de faire régner l'ordre à la légation belge. De plus, le diplomate aurait été complètement à la merci de son épouse, qui aurait entretenu des contacts étroits avec des notables portugais pro-allemands et leur aurait même transmis le contenu de documents diplomatiques belges sensibles. La plupart des historiens suivent cette vision de Motte.
Cependant, ses partisans au sein de la communauté des expatriés belges au Portugal contredisent cette image. C'est notamment le cas du docteur René Reding, dont l'organisation l'Aide médicale à la Belgique joue un rôle crucial dans l'approvisionnement du pays occupé. Dans le rapport sur les activités de l'AMB qu'il publie en 1962, Reding déclare même sans équivoque que l'organisation n'aurait jamais vu le jour sans le patronage et la coopération de de Lichtervelde, qui n'hésite d'ailleurs pas à utiliser le crédit dont il jouit dans les hautes sphères de la capitale portugaise. Le soutien de la comtesse de Lichtervelde est également déterminant, selon M. Reding. Grâce à son travail dans diverses organisations caritatives, une activité à laquelle s'adonnent traditionnellement les épouses de diplomates, elle aurait eu de très bons rapports avec un grand nombre de ministres portugais. Elle se serait immédiatement servie de ces contacts pour l'approvisionnement. Lors du remplacement du comte de Lichtervelde par Motte, Reding peut compter sur le comte André de Kerchove de Denterghem. Ce diplomate coordonne diverses initiatives de ravitaillement à partir de Lisbonne et aurait surtout voulu prendre la direction de l'ensemble de la communauté belge expatriée. Il aurait été moins à même d'influencer De Lichtervelde que Motte dont il est proche.
La représentation négative de de Lichtervelde peut aussi être en partie une conséquence des tensions créées par la discorde entre Léopold III et le gouvernement. En effet, après la capitulation belge au début de la Seconde Guerre mondiale, la communauté belge du Portugal, comme celle de la plupart des autres pays neutres, se divise entre ceux qui veulent continuer le combat aux côtés des Alliés et ceux qui estiment que la Belgique n'est plus en guerre contre l'Allemagne. Des positions plus nuancées, comme celle des Lichtervelde qui reconnaissent l'impossibilité de régner du roi mais qui, en même temps, ne veulent pas accepter que le Roi et/ou son entourage se soient rendus coupables trahison, se trouvent souvent rejetés par les deux camps antagonistes.
Dans l’ensemble, à l'été 1942, les relations entre de Lichtervelde et ses collègues belges à Lisbonne se sont tellement dégradées que le diplomate demande lui-même sa mise à la retraite. Celle-ci ne lui est accordée que fin 1942, quelques jours avant son soixante-cinquième anniversaire. Lichtervelde reste cependant à Lisbonne jusqu'à sa mort en 1960. Il occupe ses journées à étudier notamment les débuts de la colonisation belge, qu'il a en grande partie vécu lui-même en tant que fervent partisan de Léopold II et qui est à l’origine de sa carrière diplomatique.
CegeSoma, AA2268/504, Interviews d'André Motte par Henri Fassbender, 27 novembre 1972.
CegeSoma, AA2268/555, Interview de Dr. René Reding par Henri Fassbender, 12 octobre 1972.
Willequet, Jacques, « Lichtervelde (Baudouin-Camille-Marie-Charles-Joseph-Ghilain, comte de) », Biographie Belge d'Outre-Mer VI, 1968, col. 657-658.
Archives du SPF Affaires étrangères (Bruxelles), dossier personnel Baudouin de Lichtervelde (1531).
