Au coeur de la Belgique occupée

Les prisonniers de guerre, une communauté oubliée?

Thème - Histoire militaire

Durant la campagne des 18 jours, quelque 50.000 soldats belges sont capturés par la Wehrmacht. Du fait de la « capitulation sans conditions » de l’armée belge, ce sont – en théorie – tous les membres du corps militaire national qui sont considérés comme « prisonniers de guerre », nonobstant les termes parfois ambigus de l’acte de capitulation. Cette disposition concerne dès lors aussi la garnison encerclée du fort de Tancrémont – qui ne hissera le drapeau blanc que le 29 mai – voire même les éléments de l’armée repliés dans le Midi, une fois la France vaincue. En d’autres termes, il s’agit d’une masse théorique d’environ 700.000 hommes – soldats et officiers – qui risque d’échouer outre-Rhin, dans les Stalags (« Mannschaft StammLager ») et les Oflags (« OffizierLager »), termes rendus familiers depuis belle lurette par le cinéma et la littérature.

Auteurs : Colignon Alain (Institution : CegeSoma) - Kesteloot Chantal (Institution : CegeSoma)

Au lendemain de la capitulation

Si tous devaient être internés, la situation serait extrêmement problématique pour les familles, mais aussi pour l’économie et le fonctionnement général du pays occupé. Cette perspective est rapidement balayée. Au lendemain de la capitulation, 175.000 soldats belges rentrent chez eux dans une ambiance chaotique. L’armée conserve vaille que vaille sa cohésion. Les postes de commandement fonctionnent à tous les niveaux de la hiérarchie, et l’intendance suit, ce qui explique que la troupe ne s’éparpille pas totalement dans la nature. Début juin, cette armée aux reins brisés reçoit des Allemands l’ordre de se porter vers la zone comprise entre le canal Gand-Terneuzen et le canal de dérivation de la Lys. Le 6 juin, continuant sur sa lancée, l’occupant émet avec son Ordre 8855 les premières directives de « démobilisation », entérinant une décision de principe d’Hitler énoncée le 28 mai précédent : tous les ressortissants d’Eupen-Malmédy-Saint-Vith (un territoire récupéré par le Reich trois semaines auparavant) doivent être libérés immédiatement tandis que les réservistes des provinces flamandes, Bruxelles excepté, peuvent être rendus à leurs familles. Les francophones (Wallons et Bruxellois) doivent être emmenés dans le Reich comme prisonniers de guerre, certaines catégories socioprofessionnelles étant toutefois épargnées pour sauvegarder l’économie du pays occupé.

Dans une note complémentaire, Alexander von Falkenhausen, Gouverneur militaire pour la Belgique et le Nord de la France, va en effet interpréter de manière large et très pragmatique la directive du Führer dans le but d’assurer le « Ruhe und Ordnung » indispensable à son administration. De nombreux francophones vont ainsi échapper à la captivité : les gendarmes, les médecins, les vétérinaires, les ingénieurs et techniciens, les employés des sociétés distributrices de gaz, d’électricité et d’eau, ainsi que les agents de la fonction publique, les membres des services de transport et jusqu’aux ouvriers agricoles et aux mineurs.

 

822-pg-belges-mai-1940.jpg
Institution : CegeSoma
Collection : Prisonniers de guerre britanniques, belges et français, 5/1940.
Légende d'origine : Prisonniers de guerre belges, mai 1940
807-pg-belges-et-franAais-mai-1940.jpg
Institution : CegeSoma
Légende d'origine : Prisonniers de guerre belges et français, juin 1940.

En route vers les Stalags et les Oflags

1940_0260a-stalags-et-oflags-1940-1945.jpg
Institution : Institut Jules Destrée
Droits d'auteur : Portail Wallonie.be (d.r.)
Légende d'origine : Carte des stalags et des oflags 1940-1945
2870-dessin-de-pg.jpg
Institution : CegeSoma
Légende d'origine : Dessin de prisonnier de guerre belge, s.d.

Entre le 7 et le 12 juin, le personnel d’active de l’armée belge est regroupé au camp de Maria-ter-Heide (Brasschaat) puis dirigé peu à peu vers l’Allemagne par chemin de fer – dans des wagons à bestiaux – mais aussi à pied, voire en péniches via les canaux néerlandais. Si la surveillance est, au départ, assez relâchée, le voyage n’est cependant pas de tout repos, virant même parfois à la tragédie. C’est ainsi qu’une de ces péniches – le Rhenus 127 – heurte le 30 mai 1940, à hauteur de Willemstad, une mine allemande et chavire. On compte plusieurs dizaines de morts parmi les « P.G. ». Finalement, 225.000 soldats se retrouvent outre-Rhin après avoir parfois connu différents « camps de transit » (Dortmund, Trèves…). Ils sont internés soit dans des Stalags (la troupe et les sous-officiers), soit dans des Offlags (pour les officiers). Il s’agit en fait de vastes camps de base et de transit constitués de baraquements de bois, abritant l’administration, l’infirmerie et l’une ou l’autre salle de police. Ils jouent également le rôle de « maisons-mères » pour les multiples « commandos de travail » (Arbeitskommandos) progressivement affectés à l’agriculture, à l’industrie, à l’artisanat ou, plus tard, au dégagement des ruines provoquées par les incessants bombardements alliés.

 

Dans un premier temps, les nouveaux-venus sont soumis à un certain rituel. Les Flamands et les francophones sont affectés dans des baraquements différents après avoir été douchés, désinfectés, tondus, photographiés et vaccinés contre le typhus et la variole. En outre, ils reçoivent une plaque d’immatriculation métallique, doublée à l’administration du camp d’une fiche-papier individuelle. Y figurent un numéro d’immatriculation, une lettre indiquant la nationalité et l’indicatif du camp. Chacun d’entre eux relève d’une région militaire spécifique, ou Wehrkreis. Celles-ci sont ventilées à travers le Reich depuis la proche Rhénanie jusqu’à la lointaine Prusse-Orientale (qui abrite les Stalags IA et IB). Pourvus d’un « homme de confiance » par baraquement et quoique protégés par les Conventions de Genève, les prisonniers sont tenus au respect d’un règlement strict. À leur arrivée, ils doivent signer un document stipulant qu’ils s’abstiendront d’avoir des contacts avec les femmes allemandes. Pour ceux qui se montreraient trop rebelles ou tenteraient l’évasion sont prévus les camps disciplinaires de Colditz et de Lübeck ou – pire – les camps de représailles de Rawa-Ruska ou de Kobierzyn, dans le Gouvernement général de Pologne. Les fortes têtes sont expédiées dans les forteresses de Lemberg (Lviv) ou de Graudenz (Grudziądz).

 

« Favoriser les Flamands »

Mais tous ne sont déjà plus détenus. D’août 1940 à mars 1941, les prisonniers de guerre flamands ont été libérés après leur passage devant des « commissions linguistiques » où siègent souvent d’anciens activistes flamingants de 14-18. Leur niveau de tolérance diffère. Certains examinateurs se montrent plus exigeants que d’autres. Mais la sélection ne concerne pas les militaires néerlandophones de l’armée d’active. Ces derniers, au nombre de 2.500, resteront derrière les barbelés. Au total, en avril 1941, tandis que s’achève le travail des « commissions linguistiques », 105.000 militaires flamands sont rentrés en Belgique, leurs homologues francophones et wallons restent, eux, détenus. Un certain nombre d’entre eux pourront néanmoins rentrer. En effet, de mars 1941 au début 1945, 12.960 malades sont rapatriés par trains sanitaires et, sur les 2.574 tentatives d’évasion officiellement recensées, 768 ont bel et bien réussi. Par contre 1.679 prisonniers de guerre belges décèdent en captivité, victimes de maladies, de mauvais traitements ou des suites de bombardements alliés.

2914-retour-pg-1940.jpg
Institution : CegeSoma
Collection : Sipho [Frei gegeben durch zensur]
Légende d'origine : Le retour de prisonniers de Suisse. Ce matin à la gare du Nord sont arrivés 500 internés belges du camp d'Aadorf. Groupe de prisonniers traversant la place Rogier à Bruxelles.

Libérer les prisonniers wallons et francophones ?

En Belgique occupée, la question de la non-libération des prisonniers de guerre wallons a également suscité diverses prises de position. Lors de son entrevue avec Hitler le 19 novembre 1940, Léopold III soulève sans succès la question. À plusieurs reprises, des femmes se mobilisent et en appellent à leur libération. Au printemps 1942, un Comité d’Initiative pour la Libération des Prisonniers wallons lance un vaste pétitionnement dans l’ensemble des communes wallonnes. Diverses initiatives caritatives – Secours d’Hiver, Croix-Rouge de Belgique - voient également le jour. Les mouvements de collaboration – Rex en tête – s’intéressent également à ces hommes. Ne pourraient-ils pas venir gonfler les rangs de la Légion wallonne ? Mais les tentatives en ce sens n’auront guère de succès. 

Au 1er septembre 1942, on compte 70.907 prisonniers de guerre belges, témoignant ainsi du fait, par leur seule présence derrière les barbelés, que la Belgique se situe bel et bien parmi les ennemis du Reich. À la fin du conflit, ils sont encore 64.608 prisonniers de guerre francophones, soit 0,78 % de la population du pays et 2.392 prisonniers de guerre flamands (0,02 % de la population belge et 0,05 % de la communauté néerlandophone).

Sur place, dans les camps, la vie s’organise tant bien que mal. Des cercles informels voient le jour. Les questions qui traversent la Belgique occupée y sont également présentes : attitude du roi, critique de la démocratie parlementaire, avenir de la Belgique…Des cours et autres activités culturelles et sportives s’organisent. Des réseaux de sociabilité se mettent en place. Des colis sont envoyés et des lettres échangées. A Bruxelles, une exposition de propagande est même organisée en mars 1942 ; il y en a d’autres dans plusieurs villes wallonnes. On y présente des œuvres réalisées par des prisonniers de guerre belges.

Printemps 1945, le retour

Le 26 mars 1945, le premier contingent de prisonniers de guerre rentre à Bruxelles. En principe, cette mission a été confiée au Commissariat belge au Rapatriement. L’organisme a vu le jour en juin 1944 à l’initiative du gouvernement belge de Londres. Les prisonniers de guerre ne sont qu’une des catégories dont il a la charge. En l’occurrence, il coopère avec le Service des Prisonniers de Guerre dans le cadre du ministère de la Défense nationale. Sur place, en Allemagne, ce sont les Alliés qui opèrent. Selon les cas, le contexte peut dès lors être très différent. Certains sont astreints à de très longues marches, d’autres se dispersent. Les retours s’effectuent peu à peu par tous les moyens disponibles. Mais pour les Alliés, une chose est certaine, ils ne peuvent entraver l’avancée des troupes. Certains seront d’ailleurs repris comme main-d’œuvre au sein des armées alliées.

Fin décembre 1945, la grande majorité des prisonniers de guerre belge – 64.615 – est rentrée au pays même si la situation demeure plus problématique dans la zone occupée par l’Union soviétique.

À leur retour, les prisonniers de guerre retrouvent une famille, une épouse, des enfants qui ont grandi. Parfois, des proches ont disparu. Reprendre cette vie n’est pas toujours chose aisée. Il en va de même de la vie en société dans un environnement qui a forcément été bouleversé.

Si les anciens prisonniers bénéficient de divers avantages matériels, ils sont considérés comme insuffisants pour compenser cinq longues années de détention. En février 1947, quelque 60.000 ex-prisonniers de guerre défilent ainsi dans les rues de Bruxelles pour réclamer un statut. Ce sera chose faite, quelques mois plus tard, par la loi du 18 août 1947.

 

81169-retour-stalag-1-a.jpg
Institution : CegeSoma
Légende d'origine : Stalag 1A, - le train du retour, fin juin, début juillet 1945

Bibliographie

Les Combattants de 40. Hommage de la Wallonie aux Prisonniers de Guerre, Charleroi, Institut Jules Destrée, 1995.

Alain COLIGNON, « Une libération différée : ‘Nos prisonniers’, un enjeu politique », dans Jours de Guerre, n° 22-24, 2001, pp. 232-255.

Luc De VOS en Jean-Pierre DESCAN, "De taalverhoudingen bij de Belgische Krijgsgevangenen tijdens de Tweede Wereldoorlog", Wetenschappelijke Tijdingen 1989; nr. 4, p. 239-251.

Éric SIMON, « Les prisonniers de guerre belges en Allemagne », dans Bulletin du C.L.H.A.M., juillet-septembre 2009, pp. 25-38.

Françoise SOTTIAU, « La libération des prisonniers de guerre et le retour au pays », Jours de Guerre, n° 22-24, 2001, pp. 257-279.

Filip STRUBBE, Inventaris van het archief van het Hoger Commando der Krijgsgevangenenkampen afkomstig van het Ministerie van Economische
Zaken 1945-1950 (vnl. 1945-1948)
, Brussel, Algemeen Rijksarchief, 2010. - 37 p.

Robert WIELS, Ontsnappingspogingen van Belgische krijgsgevangenen 1940-1945, Brussel : Koninklijke Militaire School, 1967


Voir aussi

33997-chars-camouflAs.jpg Articles “Drôle de paix” à l’ombre de la neutralité Colignon Alain
285390.jpg Articles Flamenpolitik De Wever Bruno
soma_bg603_1941-05_01_001-00001.jpg Articles Femmes contre la faim et… contre l’occupant Kesteloot Chantal
Pour citer cette page
Les prisonniers de guerre, une communauté oubliée?
Auteurs : Colignon Alain (Institution : CegeSoma) - Kesteloot Chantal (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/au-coeur-de-la-belgique-occupee/les-prisonniers-de-guerre-une-communaute-oubliee.html