Dans la nuit du 26 au 27 avril 1942, une opération spectaculaire est réalisée au charbonnage du Bois du Cazier, à Marcinelle, par les Partisans armés du groupe d’action de Charleroi.
Pourquoi cette opération?
A la suite d’une série ininterrompue de sabotages, ce groupe de partisans voit s’épuiser sa réserve d’explosifs. Au début, il a recours à la complicité des mineurs de fond qui soustraient une ou deux cartouches à chaque fourneau, mais ces livraisons sont irrégulières. Avertis par le chef boutefeu du Cazier, membre du Parti Communiste de Belgique, que ce charbonnage vient d’être pourvu d’une réserve d’explosifs, les partisans décident de tenter un tour de force. Les lieux sont favorables : la situation isolée de la mine et la taille modeste des installations offrent le plus de chance de réussite pour un coup de main audacieux. Les explosifs sont entreposés en sous-sol sur ordre de l’occupant dans la crainte d’action de résistants.
Pendant deux semaines, les deux chefs du groupe, Raoul Baligand et Victor Thonet, anciens des Brigades internationales, se rendent au charbonnage sous prétexte de chercher du travail. L’organisation des services, les habitudes des gardes, la topographie des lieux n’ont bientôt plus de secrets pour eux. Un plan minutieux est établi et les membres du groupe, alertés pour une mission spéciale, se tiennent prêts mais la plupart ignorent le but de l’opération et, pour certains jeunes gens, c’est leur premier coup de main.
Le déroulement de l’opération
Les 12 partisans se donnent rendez-vous un dimanche, avant 22h30, heure du couvre-feu, au cimetière de Marcinelle, séparé du Cazier par une ligne de tramways. Deux caveaux, près du mur côté charbonnage, sont vidés de leurs cercueils en vue d’y stocker les explosifs. A 23h45, les hommes gravissent ce mur et se dirigent vers l’entrée du charbonnage. Baligand et Thonet s’y infiltrent en escaladant la grille d’enceinte et prennent à revers la loge où le concierge n’oppose aucune résistance. Rapidement les membres du groupe, masqués et revolvers au poing, neutralisent huit ouvriers de surface. Baligand et Thonet partent à la recherche du garde et, dans un face à face court mais brutal, ce dernier cède.
L’étape suivante est la prise de contrôle de la machinerie d’extraction du puits de retour d’air. Le machiniste va accepter de participer aux manœuvres de translation pour faire descendre des hommes du commando à - 170 mètres pour vider la salle des explosifs. Il s’agit de Victor Thonet,
sans doute d'un autre brigadiste le Polonais Wojcieh Gramatyka, et de Franz Michiels ou Roger Istasse, deux militants communistes carolorégiens.
. À 3 heures du matin, aidés au fond par 5 ou 6 mineurs d’entretien, ils ont remonté 300 kg de dynamite et 2.000 détonateurs. Les autres membres du groupe procèdent à l’évacuation des caisses d’explosifs à pied. Besogne harassante car il faut traverser le vicinal, franchir le mur du cimetière, se passer les charges et les dissimuler dans les caveaux.
Pour détourner les soupçons, Baligand et Thonet donnent ostensiblement l’ordre au commando de charger le butin dans deux camions. Les mineurs enfermés dans la chaufferie entendent mais ne voient pas ce qui se passe. Toute la journée du 27 avril, les Allemands parcourent le pays de Charleroi à la recherche de ces deux camions. Une semaine plus tard, les partisans enlèvent tranquillement les caisses des deux caveaux pour les transporter ailleurs. Comme pour couronner l’action, Baligand utilise immédiatement une charge pour saboter la machinerie du puits de retour d’air. Une première explosion a lieu à 5h22. Les flammes se voient de loin signant ainsi l’action des partisans, digne d’une opération militaire.
Les partisans armés
Le PCB, un moment désorienté par le pacte de non-agression germano-soviétique de 1939 et affaibli par les arrestations belges après le 10 mai 1940, soutient d’emblée les revendications sociales, notamment lors de la grève des « 100.000 » en mai 1941. Les Partisans armés sont mis sur pied au lendemain de l’agression nazie contre l’Union Soviétique. Leurs objectifs sont de s’attaquer, d’une part, à la production industrielle au service du Reich et, d’autre part, aux collaborateurs qui participent au régime de terreur imposé par l’occupant. Ils réunissent dans une organisation structurée et disciplinée de petits groupes de sabotage parfois préexistants.
Le PCB fait appel à l’expérience d’anciens des Brigades internationales d’Espagne capables d’assumer ce type de missions. Ce sont des hommes aguerris pour qui le fascisme a des contours bien réels. Ils sont rejoints par des militants décidés, principalement à Bruxelles et dans les régions industrielles comme celle de Charleroi. Le PCB y est relativement bien implanté. Dans certaines communes, il existe un syndicalisme communiste héritier du localisme de la Chevalerie du travail. S’ajoutent à ces noyaux, par le biais du Front de l’Indépendance, des jeunes gens prêts à s’engager dans la lutte contre l’occupant. Mais ceci n’évacue pas chez les auteurs du « raid » au Bois du Cazier le brin de folie indispensable en 1942 pour procéder à ce coup d’éclat alors que les armées nazies semblent dominer définitivement l’Europe. Sur les 12 hommes, la moitié avait entre 18 et 24 ans.
Neuf d’entre eux trouveront la mort
Le coup de main du 27 avril est une réussite totale sur le plan opérationnel mais la plupart des auteurs trouvent la mort dans les mois qui suivent. L’arrestation de Victor Thonet sur dénonciation d’un indicateur le 23 décembre 1942 sonne le glas du groupe de Charleroi pour de longs mois.
Joseph Boulanger (20 ans), Gustave Derard (21 ans), Roger Istasse (42 ans) et François Lambert (30 ans) sont fusillés le 27 novembre 1942 à Breendonk, comme otages sur l’ordre du gouverneur militaire von Falkenhausen, en représailles de l’assassinat par la résistance (en fait Victor Thonet) du bourgmestre rexiste du Grand Charleroi Jean Teughels.
Yvon Malevez (18 ans) est fusillé le 12 décembre 1942 à Breendonk, en représailles de l’assassinat du SS flamand August Schollen à Bruxelles.
Franz Michiels (26 ans), Emile Maufort (21 ans) et Victor Thonet (28 ans) sont fusillés le 20 avril 1943 au Tir national à Schaerbeek, après une ultime tentative d’évasion de la prison de Saint-Gilles, condamnés pour acte de violence contre l’armée allemande.
Marcel Verstichel (21 ans) est mort en déportation à Dortmund le 26 mai 1944. Wojcieh Gramatyka (1908-1981), Jean-Marie Schwaenen (1922-2003) et Raoul Baligand (1913-1981), futur commandant national de l’Armée belge des partisans et député de Charleroi, sont les seuls survivants du commando.
Bibliographie
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