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Elections communales de 1938

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Auteur : Wouters Nico (Institution : CegeSoma)

Les dernières élections communales d'avant-guerre ont eu lieu le 16 octobre 1938. Elles se sont traduites par une forte fragmentation et la participation de partis d'extrême droite. Bien que, dans l'ensemble, les partis traditionnels aient conservé leurs positions, les différences de résultats électoraux entre la Flandre et la Belgique francophone ont eu un impact durant l'occupation et dans le contexte de l'épuration d'après-guerre.

Sur un plan général

Les élections communales de 1938 se sont caractérisées par une forte fragmentation. En moyenne, cinq listes se sont présentées par commune, un nombre qui ne sera pas égalé avant 1970. En 1938, il s’agit sans doute de la conséquence des années de crise. Avant 1938, les trois partis traditionnels obtenaient toujours environ 90 % des voix aux élections locales. Ce chiffre tombe à 69% en 1938 en raison de la montée de plusieurs partis extrémistes. Si l'on ajoute aux listes catholiques les listes dites de concentration flamande en Flandre, on arrive toutefois à 92%, ce qui nuance fortement le recul des partis traditionnels en 1938.  

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Institution : KBR
Légende d'origine : La Gazette de Charleroi, 17 octobre 1938, p. 1

La concentration flamande en 1938

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Institution : KBR
Légende d'origine : De Standaard, 16 octobre 1938, p. 1.
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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Collection : Actualit
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Kamiel Huysmans, s.d.

Après avoir échoué au niveau national, l'idée de concentration flamande (la formation d'un front entre les nationalistes flamands et le parti catholique) trouve une application concrète au niveau provincial et local. En 1936, des accords de gouvernement sont conclus dans trois conseils provinciaux entre le VNV et le Parti catholique (KVV) (à Anvers depuis 1932, en Flandre orientale et occidentale depuis 1936).


Lors des élections communales du 16 octobre 1938, des listes électorales locales, associant catholiques et nationalistes flamands se présentent. Le phénomène est difficile à quantifier de manière précise : la couleur politique des candidats locaux est souvent ambiguë. Le Vlaams Nationaal Verbond (VNV) ne se présente pas non plus toujours sous son propre nom à l’échelon local. L'initiative est laissée aux dirigeants locaux et les différences régionales et locales sont donc grandes. Selon Bruno De Wever, les listes sous la dénomination "concentration" apparaissent dans un peu moins de 100 communes de Flandre. La majorité d'entre elles (74) sont des listes associant le VNV et le KVV. Au moins 23 autres listes impliquent également Rex (dont les listes KVV/VNV/Rex à Malines et à Berchem). Malgré cette diversité, il est intéressant de noter que les communes autour de la ville d'Anvers forment une "ceinture de concentration" (bien que la formation d’une liste de concentration ait échoué dans la ville elle-même). Dans la région de Bruxelles, il n'y a qu'à Vilvorde qu'un accord de concentration est conclu entre VNV et KVV. Globalement, en dehors des listes de concentration, des candidats nationalistes flamands sont présents dans une commune sur quatre environ.




Les listes de concentration ont obtenu 23% des voix. Lorsqu’elles se sont présentées seules, les listes catholiques ont obtenu 26% des voix (il faut également prendre en compte les quelques pourcentages obtenus par des listes nationalistes flamandes séparées, des rexistes ou autres listes d'extrême droite). Pour le VNV, ces résultats ne constituent qu'un succès modéré. On constate certes un progrès sensible, de 337 conseillers communaux en 1932 à 619 en 1938, mais ce progrès ne se traduit pas par un pouvoir réel. Les gains se réalisent principalement là où le VNV était faible ou absent en 1932 ; dans les grandes villes, les résultats stagnent voire même diminuent. La stratégie de concentration profite principalement au Parti catholique en lui permettant de conserver la majorité dans des collèges. Dans certaines grandes villes flamandes, la liste de concentration n'obtient pas la majorité absolue et une majorité libérale-socialiste se dégage souvent. C'est le cas à Anvers et à Boom (province d'Anvers), à Louvain et Tirlemont (Brabant), dans la région de Gand en Flandre orientale, à Ostende en Flandre occidentale et dans certaines communes de la frontière linguistique comme Renaix et Menin. Les libéraux en ont souvent profité pour obtenir le poste de bourgmestre. La Flandre compte peu de bourgmestres socialistes après les élections communales de 1938. L'exception la plus connue est Anvers, où Camille Huysmans conserve la maïorat après 1938. Les bourgmestres nationalistes flamands sont rares (une poignée au total, en Flandre occidentale, il y en a deux par exemple : à Zuienkerke et Handzame). 

Le résultat global

En Flandre, le Parti catholique obtient 26% des voix et les listes de concentration 23%. Les socialistes obtiennent 29% et les libéraux 12%. En Flandre, le Parti communiste demeure quantité négligeable : il n'est présent que dans 23 communes.

En Wallonie, les socialistes emportent environ 35% (ils sont particulièrement puissants dans les bassins industriels du Hainaut et de Liège), les catholiques environ 25%, les libéraux environ 13% et les rexistes environ 5%. Les communes bruxelloises constituent une particularité, les catholiques y ont fait élire 119 conseillers et les libéraux 126. Ce dernier parti reste globalement le plus important et conserve plus de la moitié des postes de bourgmestres. On compte six bourgmestres socialistes pour les 19 communes. À Bruxelles, les communistes ne remportent que 10 sièges pour l'ensemble des 19 communes. Rex fait légèrement mieux avec un total de 28 sièges (à Bruxelles-Ville, Rex fait élire quatre conseillers sur un total de quarante et un. 

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Institution : KBR
Légende d'origine : La Wallonie, 17 octobre 1938, p.1.

Les résultats de Rex

En Belgique francophone, la stratégie de concentration ne joue que peu ou pas de rôle. Ce sont les seules élections communales auxquelles Rex participe et le parti est en crise. De nombreux mandataires ont démissionné depuis 1936 et le parti, quant à lui, se débat avec une image fasciste et pro-allemande dont il ne parvient pas à se défaire. Rex conclut parfois des alliances avec des partis locaux de la classe moyenne, mais cela n'apporte pas beaucoup de succès au parti lui-même. Dans certaines régions, le Rex ne se présente pratiquement pas, comme dans l'arrondissement de Mons, où seules 6 listes rexistes sont présentes sur 77 communes.



Dans les villes, on estime que le Rex a perdu entre 30 et 50 % de ses voix en 1938 par rapport aux élections législatives de 1936. Au total, Rex obtient encore 7 % des voix en 1938. Dans la circonscription de Bruxelles, le Rex passe de 18,7% à 10,9%, dans la ville de Liège de 28% à 15%, dans l’arrondissement de Bastogne de 34% à 16,6%, à Neufchâteau de 40,8% à 9,9%, et à Virton de 16,5% à 6%. Ce chiffre est à nuancer compte tenu des résultats singuliers comme à Liège, où Rex obtient six conseillers communaux avec 15% des voix. A Charleroi et Tournai, Rex obtient un siège sur les 19 et 23 sièges des conseils communaux respectifs. Dans le canton d'Arlon, le parti n'atteint que 4,2%. En général, le Rex n'a pas du tout pénétré la classe ouvrière industrialisée. Le parti ne rejoint que très rarement une majorité de coalition locale avec les catholiques après 1938. La ville d'Ath est la principale ville wallonne où Rex peut entrer dans une majorité de coalition (avec les catholiques et les libéraux) après 1938.

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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Pays réel, 16 octobre 1938, p. 1.
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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Pays réel, 18 octobre 1938, p. 1.

Conséquences à l’heure de l'occupation et de l’épuration d’après-guerre

Ces dernières élections communales d'avant-guerre confirment les différences de position sur le plan sociétal entre Rex et le VNV à la veille de l'occupation. Les élections de 1938 confirment que le Rex est un parti marginalisé et en crise. Une différence importante entre la Flandre et la Belgique francophone est que le VNV dispose d'un nombre relativement important de mandataires politiques locaux et provinciaux légalement élus. Cette situation influence fortement la prise de pouvoir du VNV suite de la politique collaborationniste menée après 1940. Elle contribue en partie à expliquer pourquoi cette prise de pouvoir a commencé plus rapidement et a été beaucoup plus importante en Flandre. Elle a également des conséquences majeures sur l'épuration administrative du personnel politique local après la libération : Rex n'ayant pratiquement pas de personnel politique local disposant d’un mandat belge légitime, il échappe largement à l'épuration administrative d'après-guerre, ce qui ne signifie nullement que ses membres ne soient pas touchés par des sanctions judiciaires.

Bibliographie

Les élections communales et leur impact sur la politique belge : 1890-1970.  / De gemeenteraadsverkiezingen en hun impact op de Belgische politiek : 1890-1970. 16de internationaal colloquium/16e colloque international : actes: Spa, 2-4 sept. 1992 : handelingen, Bruxelles : Crédit communal, 1994.

Chantal Kesteloot, Ann Mares & Claudine Marissal, Les élections communales 1890)1970 : databestand, Brussel/Bruxelles, 1996.

Bruno De Wever & Petra Gunst, ‘Van Kamerleden en Burgemeesters’, in De democratie heruitgevonden. Oud en nieuw in politiek België: 1944-1950,  Leuven, 1995, p.69-89.

Bruno De Wever, ‘De Vlaams-nationalisten in gemeentebesturen tijdens het interbellum’ in: De gemeenteraadsverkiezingen en hun impact op de Belgische politiek 1890-1970. Brussel, Gemeentekrediet, 1994, pp. 195-230.

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Pour citer cette page
Elections communales de 1938
Auteur : Wouters Nico (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/elections-communales-de-1938.html