Belgique en guerre / Articles

Bourgmestres de guerre

Thème - Collaboration - Occupation

Auteur : Wouters Nico (Institution : CegeSoma)

Le terme de « bourgmestres de guerre » est utilisé pour qualifier les bourgmestres issus de la collaboration et nommés pendant l'occupation. Ils ne forment pas un groupe homogène, allant de modérés à très radicaux. Pendant l'occupation allemande, ils constituent la pierre angulaire de la tentative de prise de pouvoir du Vlaams Nationaal Verbond et de Rex en particulier. Après la libération, ils sont à la base d'une représentation collective influente et durable en Flandre.

Le bourgmestre en 1940

Dans le système belge, le bourgmestre jouit d'une grande autorité et d'une forte légitimité. En tant que membre élu du conseil communal, il représente principalement les intérêts locaux et dispose de compétences en matière de présidence du collège des bourgmestre et échevins, de police communale (maintien préventif de l'ordre), de médiation entre les groupes sociaux, de représentation de la commune et de négociation avec le pouvoir central. De nombreux bourgmestres de 1940 sont également conseillers provinciaux ou parlementaires. En 1940, la génération d’après 1918 est encore au pouvoir et la moyenne d'âge des bourgmestres est élevée. En extrapolant les données connues pour la Flandre, 51,5% des bourgmestres de Flandre ont plus de 55 ans. Les grandes villes en particulier ont des bourgmestres âgés (Jef van de Meulebroeck à Bruxelles : 64 ans, Kamiel Huysmans à Anvers : 69 ans, Joseph Bologne à Liège, 69 ans). 

En partie à cause du souvenir de l'invasion allemande en 1914, environ un tiers des bourgmestres belges prennent la fuite dans la foulée du 10 mai 1940 (Livre de la mobilisation civile) (abandon de poste). En 1940, le secrétaire général de l'Intérieur met dès lors en place une commission d'enquête afin de procéder à des investigations au cas par cas. Dans ce contexte, l'occupant allemand publie également l'ordonnance sur l'activité publique (18 juillet 1940). Conformément au protocole du 12 juin 1940, l'occupant allemand doit respecter l'autonomie de l'administration belge. Il s'est avéré par la suite qu'il s'agissait d'une erreur de jugement. Dans de nombreuses communes, des responsables locaux, des échevins ou des conseillers communaux du VNV se sont engouffrés dans le vide administratif local. Ils pensent que cette prise de pouvoir spontanée va être ratifiée par l'occupant. Il n'en est rien : l'occupant souhaite la continuité. Le ministère de l'Intérieur "régularise" la situation des collectivités locales et applique les règles de succession normales sur base de la loi communale. 

La sanction pour abandon de poste n'est donc pas un précurseur direct de la prise de pouvoir ultérieure par les partis collaborationnistes. La grande majorité des bourgmestres sont rétablis dans leurs fonctions. En décembre 1940, 723 bourgmestres comparaissent devant la commission d'enquête belge, dont 71 sont révoqués et 378 ne subissent aucune sanction. En Flandre, 5 % des bourgmestres sont révoqués pour abandon de poste.  Il n’est donc pas encore question d'épuration politique majeure en 1940.

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Institution : Archives du Sénat de Belgique
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Joseph Bologne. Dossier biographique n° 894

La campagne et la prise de pouvoir du VNV et de Rex

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Verordnungsblatt 8 3 1941
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Le fait de nommer massivement des bourgmestres issus de la collaboration n’est donc pas dans l’intention de l’occupant en 1940. La prise de pouvoir de la collaboration n'est donc pas le résultat d'une Flamenpolitik allemande en 1940, comme on le prétend souvent dans la littérature. Au contraire, elle est le résultat de l'évolution de l'occupation et de l'interaction de trois facteurs : 1) l'insuffisance de l'approvisionnement en nourriture, 2) le projet du Vlaams Nationaal Verbond et 3) le refus du secrétaire général Jean Vossen de réformer fondamentalement la législation communale. L'ordonnance allemande sur le vieillissement et la nomination de Gerard Romsée comme secrétaire général de l'Intérieur en sont la conséquence.

Entre mai et octobre 1940, de nombreux projets de réformes du pouvoir local dans une optique autoritaire circulent. Lorsqu'en novembre 1940, il apparaît que les secrétaires généraux ne veulent pas réformer en profondeur le système communal, cela entraîne un conflit avec l'occupant. Rex et le VNV s’en emparent. Le VNV, en particulier, lance dès l'été 1940 une campagne réussie, profitant de l'appréciation négative de l'occupant allemand à l'égard de l'administration locale belge. La diminution de l'approvisionnement en nourriture offre au VNV (et plus tard à Rex) une ouverture concrète. L'occupant allemand y voit la preuve de la mauvaise volonté ou de l'incompétence des villes et des communes. Fin 1940, le VNV convaint les Allemands qu'il est dans leur intérêt de soutenir des nominations partisanes. L'absence de légitimité politique et de poids sur le plan organisationnel est l'une des raisons pour lesquelles la prise de pouvoir locale de Rex ne commence que plus tard. Rex a quasiment dû être reconstruit à partir de rien en 1940.

L'arrivée d'une nouvelle élite administrative collaborationniste se traduit par un rajeunissement substantiel. C'est logique, étant donné l'application de l'ordonnance allemande sur le vieillissement. Le profil socio-économique change également. Grâce aux recherches de Petra Gunst, nous disposons d'une image précise pour la Flandre occidentale : le nombre d'agriculteurs a chuté de 41,5 % à 28,5 % entre 1938 et l'occupation et le nombre de propriétaires a reculé de 15,8 % à 3,4 %. La part des petits indépendants et des artisans est passée de 17,8 % en 1940 à 28,5 % pendant l'occupation et le nombre d'employés a augmenté de 5,2 % à 14,6 %. La part des ouvriers a également augmenté (de 1,2 % à 6,2 %). Le groupe des moins de 45 ans est passé de 21,4 % à 55,8 %. La situation est globalement similaire, avec quelques différences régionales si l’on prend en compte la Flandre dans son ensemble. En Belgique francophone, la situation est plus difficile à déterminer, car les bourgmestres rexistes présentent un profil plus hétérogène.


Combien? 

Le nombre exact de bourgmestres issus de la collaboration n'est pas facile à déterminer. Sur la base de diverses sources (Bourgmestres de guerre : chiffres de nomination), on en arrive pour la Flandre à une moyenne de 56% de bourgmestres issus de la collaboration parmi les bourgmestres nouvellement nommés et, en Wallonie, à une moyenne de 13,2% de collaborateurs parmi les bourgmestres nouvellement nommés (avec de grandes différences régionales : Luxembourg 4,2%, Hainaut 26%). La province du Brabant n'est pas prise en compte. Deux remarques s’imposent : a) le phénomène des grandes agglomérations fait disparaître des dizaines de bourgmestres et un seul est nommé, de sorte que ce pourcentage basé sur le nombre de communes d'avant-guerre devrait de facto être tiré vers le haut, et b) ce sont surtout les grandes villes et communes (telles que les grandes agglomérations) qui sont dirigées par des bourgmestres issus de la collaboration. Ainsi, en Flandre, une grande majorité de la population est gouvernée par un bourgmestre de guerre issu de la collaboration.

La bonne gouvernance : entre propagande et réalité

Le VNV et le Rex légitiment leur prise de pouvoir par la notion d’intérêt général. Dans leur propagande politique, le pouvoir démocratique d'avant-guerre est considéré comme ne servant que des intérêts politiques privés (clientélisme). Le nouveau bourgmestre autoritaire est censé être "au-dessus de la politique". Bien entendu, il s'agit là d'un non-sens de la propagande : les bourgmestres issus de la collaboration contribuent non seulement à la mise en œuvre de la politique de l'occupant mais ils ont également reçu une mission politique explicite de la part de leur parti. Ils doivent gagner la population au national-socialisme et préparer ainsi la véritable révolution nationale-socialiste de l'après-guerre. Dans ce contexte, le respect de la légalité belge encore en vigueur est d'une importance secondaire. Les bourgmestres de guerre se trouvent donc dans une position ambiguë : ils doivent assurer une bonne gestion des affaires publiques, mais sont également autorisés à contourner les règles si cela convient au parti.


Une gestion de crise permanente

La propagande se heurte rapidement à la réalité. Le contexte de la guerre et de l'occupation donne lieu à une gestion de crise permanente autour la question du ravitaillement et de la faim, de l'appauvrissement économique, de la criminalité et de l'ordre public. Un bourgmestre expérimenté peut obtenir des résultats pendant l'occupation, surtout en recourant à un pouvoir de type informel : il peut servir d’intermédiaire entre l'occupant et la population, faire preuve de courage dans une position exemplaire, rester en contact avec les acteurs locaux et même soutenir des formes de résistance. Les bourgmestres de guerre qui collaborent n'ont souvent ni l'expertise administrative, ni le soutien, ni la légitimité pour agir de la sorte. De nombreux bourgmestres de guerre misent sur un ravitaillement socialement déterminé ou sur une politique alimentaire qui sert les intérêts locaux. Même si cela donne des résultats positifs, cela ne renforce pas leur légitimité : la collaboration est généralement rejetée à partir de 1941. 

La répression de la résistance : la « délation administrative »

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Institution : CegeSoma
Collection : Sipho
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Aan het gemeentehuis van Vilvoorde. De Heer Borrey nieuw burgemeester van Vilvoorde trad op 21/6/42 in functie. De burgemeester groet de groepen die defileren. [Frei gegeben durch zensur]
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Institution : CegeSoma
Collection : Belgapress
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Jan Grauls, bourgmestre du Grand-Bruxelles

D'une manière générale, on peut dire que l'impact des bourgmestres de guerre sur l'administration a été limité. Dans un domaine, cependant, celui de la répression allemande, il est important. Les bourgmestres de guerre gèrent administrativement la ville, y compris le registre de la population. Ils disposent donc de sources d'informations essentielles concernant les habitants. L’évolution du contexte d'occupation a également encouragé une "délation administrative" structurelle.

1) La machine interne de la prise de pouvoir est alimentée par la signalisation des "opposants" à l'occupant allemand. Il en résulte un mécanisme de revanchisme qui se renforce de lui-même, des ambitions totalitaires et une idéologique de type fasciste qui s’exerce à l’encontre des opposants politiques.

2) En politisant explicitement leur fonction, les bourgmestres issus de la collaboration créent des tensions et des conflits et ils font souvent appel à la répression allemande pour renforcer leur faible autorité.

3) Lorsque la menace de violence devient réelle à partir de 1942, signaler préventivement des "adversaires dangereux" ainsi que les résistants potentiels devient une forme d'autoprotection.

A partir de 1943, les partis de la collaboration utilisent un langage de type guerrier : les bourgmestres de guerre deviennent des soldats du "front intérieur".  Cette gestion politique de l'information - en fait des dénonciations de type administratif - constitue de facto la principale distinction avec les bourgmestres qui ne collaborent pas. Comme tous les bourgmestres doivent gouverner pendant l'occupation dans un contexte autoritaire et sous une forte pression, nombre d'entre eux commettent en fait des actes identiques à ceux des bourgmestres VNV et Rex. La transmission des noms des "éléments antisociaux" pour le travail obligatoire en constitue le meilleur exemple. Néanmoins, il existe une différence évidente. Alors que les bourgmestres "traditionnels" qui ne collaborent pas, cèdent aux pressions répétées et ne transmettent que quelques noms, certains bourgmestres du VNV et du Rex font un usage maximal et proactif des services répressifs allemands.


La crise interne au sein du VNV et de Rex à partir de 1943 n’est pas seulement due à l’échec de la politique de collaboration. La dure réalité à laquelle sont confrontés des centaines de gestionnaires issus de la collaboration en est une autre cause. Le fait que les bourgmestres doivent, en temps de guerre, appliquer les mesures liées au travail obligatoire ou des mesures alimentaires strictes alors que leur propre secrétaire général (Romsée) ne donne pas d'instructions claires et que l'ensemble de la population s'y oppose, provoque un profond malaise et des doutes. De nombreux bourgmestres issus de la collaboration démissionnent de facto en 1944.

Violence ou consensus : l'adaptation

La situation de 1943-1944 conduit à une gouvernance et à des comportements ambigus et souvent contradictoires.

D'une part, de nombreux bourgmestres de guerre réalisent en 1943 ou 1944 que l'Allemagne va perdre la guerre. Les bourgmestres de guerre sont au cœur de l'échec de la politique de collaboration. Le meilleur exemple en est l'organisation défaillante sur le plan du ravitaillement. L'application rigide de la politique centrale va à l'encontre des intérêts locaux. De plus, des responsables allemands locaux participent ouvertement au marché noir. De nombreux bourgmestres de guerre réagissent en adaptant leur comportement. Ils relèguent discrètement à l'arrière-plan le national-socialisme explicite et triomphant et commencent à investir davantage dans l'aide à (une partie de) la population, une attitude qu'ils rendent également stratégiquement visible, peut-être dans l'espoir d'un soutien après la guerre. Dans ce contexte, de nombreux bourgmestres de guerre issus de la collaboration parviennent encore à assurer une "bonne gouvernance" au cours de la dernière année de l'occupation. Dans la pratique, cela se résume souvent à une fonction de "service" : intervenir dans des dossiers spécifiques au bénéfice de la population (par exemple, la réduction des lourdes réquisitions allemandes, la libération des hommes requis pour le travail obligatoire, la réduction de certaines mesures punitives) ou en fermant les yeux sur certains actes (violations de la réglementation en matière de ravitaillement, marché noir, clandestins). Bien sûr, cela implique parfois des résultats positifs pour de nombreux habitants dans cette phase finale de l'occupation.

D'un autre côté, la violence s'intensifie au cours de cette dernière phase de l'occupation. La résistance multiplie les actions et les Allemands commencent eux aussi à mettre en œuvre une répression maximale. Les sections locales des formations de collaboration deviennent des minorités menacées qui ont besoin de la protection des milices du parti. Les actions ciblées contre la résistance sont perçues par les collaborateurs comme des représailles, mais souvent aussi comme une autoprotection. En raison de leur position, les bourgmestres de guerre ne peuvent généralement pas empêcher leur implication. Le meilleur exemple est celui des rafles effectuées par les Allemands dans de nombreuses communes au printemps 1944. Lors de ces actions contre les résistants ou les clandestins, les services allemands procèdent à des arrestations sur la base de listes de noms et d'adresses. Des dizaines de personnes sont arrêtées dans de nombreuses communes. Le bourgmestre et les services de police sont presque toujours "réquisitionnés". Le rôle joué dans ces rafles par un bourgmestre issu de la collaboration - par exemple en transmettant au préalable des noms et adresses aux Allemands - est généralement impossible à prouver après l'occupation, faute de traces écrites.

Le contexte de 1944 conduit donc presque par définition à des comportements contradictoires, la plupart des bourgmestres de guerre combinant une aide active à la répression allemande contre la résistance et des mesures administratives stratégiques en faveur de (certaines) parties de la population.

 

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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Pays réel, 18 8 1944, p.1.
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Institution : CegeSoma
Collection : Belgapress
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Marché noir. [Volk ad Arbeid Jan 44]
Légende Web : Scène du marché noir en 1944. Tout est disponible au marché noir à condition de pouvoir y mettre le prix.

Après la libération : purification et punition

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Institution : KBR
Légende d'origine : De Standaard, 26 9 1945, p.1.
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Institution : KBR
Légende d'origine : Vooruit, 26 9 1945, p. 1.
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Institution : KBR
Légende d'origine : L'Avenir du Luxembourg, 11 10 1945, p. .1.

Une première composante de ce que l'on appelle la répression en Belgique est l'épuration administrative : la sanction par le gouvernement de son propre personnel administratif et politique (décret-loi du 8 mai 1944) (épuration civile). Néanmoins, la plupart des bourgmestres du temps de guerre n'ont pas été impliqués dans ces procédures. En effet, l’arrêté-loi du 5 mai 1944 annule toutes les décisions et mesures prises après le 16 mai 1940 (à moins qu'elles n'aient été prises par une autorité légalement compétente avant la guerre). Cela signifie que les nominations de bourgmestres pendant l'occupation n'ont légalement jamais eu lieu. Les bourgmestres de guerre ne peuvent donc faire l'objet d'une enquête administrative que s'ils avaient un autre mandat légal avant le 16 mai 1940 (pour les bourgmestres de guerre, il s'agit généralement de conseillers communaux élus en 1938). Presque aucun bourgmestre rexiste ne fait dès lors l'objet d'une épuration administrative. La nature de ces enquêtes est complètement différente de celle des enquêtes pénales. Il s'agit pour le gouvernement d'enquêter sur le comportement déontologique et "patriotique" du personnel subalterne et de prononcer éventuellement des sanctions. Fin 1946, 118 bourgmestres ont été démis de leurs fonctions en Belgique en raison de ce type de comportement.

La partie judiciaire, pour laquelle le tribunal militaire est compétent (répression), représente une part plus sustantielle. Les bourgmestres de guerre sont des cas très difficiles pour les enquêteurs.

Tout d'abord, la défense des bourgmestres de guerre s'appuie sur la thèse selon laquelle leur exercice du pouvoir ne relève pas de la collaboration politique mais l’a, au contraire, atténuée. Les tribunaux y voient souvent clair, mais ce n'est souvent pas le cas de la population locale. En 1945, on se situe encore dans un cadre d’analyse rigide entre le bien et le mal. Même les bourgmestres de guerre les plus radicaux sur le plan répressif réussissent toujours présenter des témoignages positifs. Les actes positifs dans l'intérêt de certains habitants sont en outre beaucoup plus visibles que les contacts cachés avec les Allemands dans le cadre de leur politique répressive. En 1945, la société n’est pas prête à porter un regard nuancé sur les comportements adverses : qu'un collaborateur national-socialiste ait pu parfois accomplir des actes de gouvernance de qualité est chose difficile à admettre. Le fait que la fonction de bourgmestre en temps de guerre est une fonction éminemment politique n'a pas été perçu comme tel par de nombreux observateurs.

Deuxièmement, la défense utilise l'argument selon lequel les bourgmestres de guerre n'avaient pas d'autre choix que de suivre les ordres allemands. Cet argument n'est pas toujours facile à réfuter. De nombreux bourgmestres non collaborateurs ont été livrés à eux-mêmes par les autorités supérieures pendant l'occupation et ont également exécuté les ordres allemands sous la pression. Il est donc difficile et délicat de considérer certains actes administratifs comme criminels.

Troisièmement, le problème de la "délation administrative" s'avère également complexe. La transmission d'informations personnelles est un élément essentiel en termes de collaboration administrative, mais elle est juridiquement difficile à établir. Le contexte de l’occupation n'est pas des plus clairs sur le plan juridique. De plus, les preuves écrites pour les faits de délation font généralement défaut. Par conséquent, les procureurs militaires ont préféré abandonner les accusations de délation de l'acte d'accusation et ont privilégié la "collaboration politique".

Il faut donc procéder au cas par cas et il n'existe pas d'instructions générales ni de jurisprudence. Outre le comportement politique (discours ou articles, appartenance politique), il convient d'examiner l'exécution concrète d'un acte administratif. Par exemple, un bourgmestre transmet-il quelques noms aux Allemands après une longue insistance et une forte pression, ou transmet-il, pleinement convaincu, plusieurs dizaines de noms ? On examine également si un acte administratif s'inscrit dans un modèle général de comportement politique. Il en ressort presque toujours que les convictions nationales-socialistes et pro-allemandes ont eu une influence significative sur le comportement administratif. Il est généralement possible de tracer des frontières claires et de délimiter la collaboration administrative. Presque tous les bourgmestres de guerre sont condamnés pour collaboration politique (article 118bis), parfois en combinaison avec - par ordre décroissant d'importance - la collaboration militaire ou le port d'armes (article 113), la délation (article 121bis) et la collaboration économique (article 115). Comme signalé, nombreux sont ceux qui s'en tirent avec une peine très légère. Il n'existe pas de données chiffrées, mais la grande majorité des bourgmestres de guerre condamnés qui perdent leurs droits politiques et civils les recouvrent après 1952 (réhabilitation de l'honneur - répression ; réhabilitation de la justice - répression).


De grandes différences de peine

Parmi les bourgmestres de guerre, on ne peut qu’être frappé par les grandes différences de peines. Onze bourgmestres sont exécutés pour collaboration après la libération alors que d'autres bourgmestres de guerre sont libérés presque immédiatement. Cette observation illustre d'ailleurs le fait que le tribunal militaire a examiné chaque cas individuellement. Le dossier judiciaire du bourgmestre Drijbooms de Noorderwijk, par exemple, chef de division du VNV pendant l'occupation, est classé sans suite. Il en va de même pour des bourgmestres rexistes des petites communes. Lucien Rensonnet, par exemple, bourgmestre de Lierneux, rexiste radical en 1942 mais qui s’est avéré avoir "bien gouverné", est condamné à un an de prison et est immédiatement libéré. Les bourgmestres de guerre qui n'ont que quelques activités politiques à leur actif s'en tirent avec un à deux ans en première instance (et ensuite une libération anticipée). Les sanctions ne sont donc pas très lourdes. Il en va autrement lorsque les bourgmestres ont également été actifs dans la répression allemande (dénonciation, collaboration militaire). Les 11 bourgmestres exécutés sont Lucien Eichorn (nommé en 1941 à Arlon), Léo Vindevogel (nommé en 1941 à Renaix), Gabriel Cheron (nommé en 1942 à Quaregnon), Joseph Schoonbroodt (nommé en 1942 à Olloy), Désiré Istasse (nommé en 1942 à Bièvre), René Lombart (nommé en 1942 à Peruwelz), Maurice Jadoul (nommé en juin 1942 à Jemeppe-sur-Meuse), Omer Everard (seul bourgmestre d'avant-guerre à être exécuté après la guerre, bourgmestre d'Hellebecq depuis 1939), Lucien Jaminon (nommé à Wiers en 1943), Théophile Dargent (nommé en 1941 à Flémalle et en 1943 bourgmestre du Grand Liège), Léopold Moons (nommé en 1944 à Koersel). Ainsi, sur les 11 bourgmestres de guerre exécutés, seuls deux sont néerlandophones ("flamands").

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Institution : KBR
Légende d'origine : La Wallonie, 9-10 2 1946, p. 1.

Représentation et mémoire collective



Après la libération, une (re)présentation influente et sciemment cultivée des bourgmestres de guerre apparaît, surtout en Flandre. La continuité est frappante : la légitimation politique de la prise de pouvoir utilisée pendant l'occupation réapparaît dans les enquêtes et les procès judiciaires de l'après-guerre et s'inscrit durablement dans la mémoire collective. Cette représentation postule pour l’essentiel que les bourgmestres du VNV ont fait de leur mieux pour maintenir la gouvernance (et l'approvisionnement en nourriture) dans des circonstances très difficiles et qu'ils ont été punis beaucoup trop sévèrement dans le cadre d'une répression anti-flamande après la guerre. Le fait que les bourgmestres de guerre ont sans doute été l'instrument le plus important du nouvel ordre national-socialiste est relégué à l'arrière-plan.

 

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Bibliographie

Nico Wouters, Oorlogsburgmeesters 40/44: lokaal bestuur en collaboratie in België, Lannoo, Tielt, 2004.

Nico Wouters, 'Cities and municipalities', in : Bruno De Wever, Helen Grevers, Rudi Van Doorslaer, Jan Julia Zurné (ed.), Knack Historia : Belgium 40-45, Roeselaere, 2015, p. 78-85.

 Nico Wouters, "Local memory : the social memory of World War II in Flanders", In : Nico Wouters & Koen Aerts (eds.), Oral history in Belgium and the (de-)construction of collective memory. Numéro spécial de la Revue belge de philologie et d'histoire, 92 (2), 2014, pp. 545-575.

Nico Wouters, ‘Lokaal geheugen: de sociale herinnering aan de Tweede Wereldoorlog in Vlaanderen’, In: Nico Wouters & Koen Aerts (eds.), Mondelinge geschiedenis in België en de (de-) constructie van collectieve herinnering. Themanummer Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, 92 (2), 2014, pp. 545-575

Pour citer cette page
Bourgmestres de guerre
Auteur : Wouters Nico (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/bourgmestres-de-guerre.html