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Institution : CegeSoma
Légende d'origine : Affiche de la Légion nationale s.d.
Belgique en guerre / Articles

Légion nationale

Thème - Résistance

Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)

Apparue  au début des années ‘20, la Légion Nationale aurait pu n’être qu’un éphémère mouvement nationaliste parmi d’autres. Les circonstances, liées à la stabilité de son noyau dirigeant mais aussi à sa relative cohésion idéologique, lui ont permis de s’inscrire dans la durée, finissant par incarner l’expression locale du fascisme mussolinien. Durant la Seconde Guerre mondiale, la Légion nationale a résisté à la tentation collaborationniste pour glisser peu à peu, non sans hésitation, dans la voie de l’opposition à l’ennemi. Et à en subir la répression. 

Un patriotisme exacerbé d’anciens combattants ?

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Institution : CegeSoma
Collection : Colignon
Droits d'auteur : d.r.
Légende d'origine : La Légion nationale au Soldat inconnu, 1937
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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Peuple, 6 janvier 1923, p.1.

C’est la mort du  lieutenant José Graff, officier des forces d’occupation belges en Rhénanie, assassiné au printemps 1922, dans les environs de Duisbourg par des nationalistes (des patriotes ?) allemands qui est à l’origine de la création de la Légion nationale. Ni son père, ni son jeune frère n’ont supporté son décès. En mai 1922, ils vont jeter les bases d’une nouvelle organisation au patriotisme affirmé : la Légion Nationale. L’appellation n’est pas vraiment originale : il existe, depuis 1919, une American Legion et, depuis 1921, une British Legion


En Belgique, la nouvelle organisation se caractérise par une germanophobie intransigeante mais également par un rejet absolu de tout ce qui semble porter atteinte à l’unité belge, « dopée » par la victoire de 1918. Portée au départ par des notabilités libérales liégeoises ayant occupé pendant la guerre les fonctions d’officiers subalternes, la Légion se flatte de combattre, outre le « revanchisme » allemand, tout ce qui porte atteinte à ses conceptions d’une Patrie perçue désormais comme « une et indivisible » :  le séparatisme flamingant (ou « néo-aktivisme »), le socialo-marxisme ou le « bolchévisme » (la fameuse « peur du Rouge »)  et le parlementarisme. Ce dernier est accusé de tous les maux : il a été incapable de conjurer la guerre, il n’a pu l’abréger et, par-dessus tout, c’est un facteur de division de la Nation en la segmentant entre des partis antagonistes. Ce dernier argument est surtout présent parmi la classe moyenne  et les élites conservatrices catholiques, qui n’ont  pas digéré le « coup de Lophem » (nov. 1918), instaurant le suffrage universel masculin à 21 ans. Sans surprise, le mouvement légionnaire se réclame du principe d’autorité : les pouvoirs du Roi doivent être renforcés et ceux du Parlement sensiblement élagués. Les groupes anti-belges ou considérés comme subversifs doivent être poursuivis sans faiblesse. Mais, au fond,  tout cela demeure assez vague et ne tranche guère avec l’action ou le contenu doctrinal des différentes associations ultra-patriotiques qui pullulent alors, de l’Action Nationale de Pierre Nothomb à l’Association Nationale des Combattants du Front du commandant Mahy.




La Légion Nationale aurait pu végéter puis disparaître s’il n’y avait pas eu le dynamisme de Graff mais aussi le rôle stabilisateur des « Anciens » du 14ème de Ligne, ainsi que les conseils d’un juriste, avocat-conseil d’Ougrée-Marihaye répondant au nom de Paul Hoornaert. Au lieu de s’étioler, la Légion déborde assez vite du pays de Liège, absorbant tour à tour de 1924 à 1928 l’Union Civique de Verviers, les « Comités Justice » de François Bovesse à Namur, puis la Légion belge de Gand et enfin le Faisceau belge du marquis de Beauffort, implanté essentiellement dans la région bruxelloise. A l’été 1926, la « Légion Nationale Belge » (elle a adopté cette dénomination après avoir absorbé sa rivale gantoise) passe sous le contrôle de Paul Hoornaert.

Déjà connu pour ses activités au sein de groupes d’anciens combattants situés à droite sur l’échiquier politique et juriste distingué,  Paul Hoornaert peut également se targuer, contrairement à Graff, d’avoir fait une « belle guerre ». Bon orateur, ancien démocrate-chrétien, il domine progressivement le Comité directeur de la Légion et en développe l’organisation sur l’ensemble du pays. 

Un mouvement fasciste…ou fascistoïde ?

En 1933-1934, sous l’égide de Paul Hoornaert, le mouvement légionnaire prend sa forme définitive : celle d’une formation fasciste, tant par la structure que par le style ou la doctrine. Il lui assure une pérennité certaine en y intégrant des jeunes éléments, n’ayant jamais connu la Grande Guerre que par ouï-dire. Il dote l’ensemble d’une tonalité, d’une esthétique  très nettement fascisante…tout en se défendant de faire du fascisme !

Au mince corpus idéologique initial, Hoornaert ajoute son ouvrage doctrinal Le Redressement National. La « Légion Nationale Belge ». Sa Doctrine - Ses Buts (1929). Tout en conservant les postulats originels du Mouvement (anti-marxisme, antiflamingantisme, germanophobie), il y intègre, en l’adaptant au cadre belge, de nouveaux éléments tirés pour l’essentiel des idées  de l’ « Action française » de Charles Maurras. Il y ajoute des éléments de la pensée catholique-sociale recueillis dans les cercles démo-chrétiens qu’il fréquentait avant 1914. Cela donne, sur le plan politique, une monarchie aux pouvoirs renforcés, incarnant à la fois l’exécutif ainsi qu’une part du législatif. Le Parlement ne pourrait plus se prononcer que sur les questions d’ordre général, comme le vote du budget, par exemple. Si les différentes « associations professionnelles » (on ne parle pas encore de « corporatisme ») se voient dotées, dans son optique, de la personnalité juridique, le suffrage universel, « vestige individualiste de la révolution française », ne pourrait plus se maintenir qu’au niveau communal et lors du Referendum d’initiative royale….Si la Légion rejette le libéralisme économique « qui conduit à l’anarchie de la production », elle est tout aussi hostile au « socialo-communisme ». Le capitalisme en tant que tel ne peut être aboli par l’Etat national mais celui-ci doit se montrer vigilant envers l’Allemagne et « les partis qui nient la patrie ». Même chose « envers les étrangers indésirables ou dangereux ». Mais sans excès. Sur le plan linguistique, la Légion prône désormais « le régionalisme linguistique », étant entendu que « les populations flamandes » seraient quand même bien avisées de comprendre qu’ « elles ont tout intérêt à posséder une langue d’expansion mondiale ». Comme le français, par exemple…On le devine : même en Flandre, la Légion Nationale Belge est très majoritairement francophone.

Un  programme remanié verra le jour en 1935. Il va dans le sens d’un raidissement. Le régime ne peut plus être amendé. Il est considéré comme « fini » car « il a démontré son impuissance et sa nocivité ». C’est désormais l’ « Ordre Nouveau » qui va le remplacer.

Si le renforcement de l’exécutif est plus que jamais d’actualité, en même temps que le rejet du libéralisme économique et du marxisme, le capitalisme est plus violemment stigmatisé que naguère, la crise étant passée par là et ayant frappé les classes moyennes et populaires. Mais il est entendu que l’ Ordre Nouveau continuera à distinguer « le capital sain, normal, de production et d’épargne, qui accomplit une fonction sociale (…) et d’autre part le capitalisme malsain et dangereux de spéculation et d’exploitation… ». Quant à l’hypercapitalisme apatride, il devra être impitoyablement combattu par l’Etat nationaliste.

Afin de réaliser cette révolution, il faut un instrument efficace. Hoornaert pense le détenir avec l’organisation mise au point à partir de 1929. Comme dans tout organisme autoritaire, la Légion possède une structure pyramidale avec une cascade de chefs et de sous-chefs. Il y a aussi des structures « horizontales », les « Fronts », censés encadrés les activités socio-professionnelles des adhérents et sympathisants sans oublier les « Sections de Protection », c’est-à-dire le service d’ordre. Entraînées dès le départ à assurer le service de police dans les salles où la Légion tient des réunions, elles ne craignent pas de descendre dans la rue en cas de grèves ou de troubles sociaux, ce qui leur vaut pas mal de sympathies dans le monde patronal, et d’abord au Comité Central Industriel. A partir de l’été 1932, ces Sections sont régulièrement sollicitées et se heurtent, souvent avec succès, aux « Rouges », socialistes ou communistes.

La marque de distinction de la Légion, pratiquement depuis ses origines, c’est le port d’un uniforme. Dès 1924, les premiers légionnaires inscrits dans les Sections de Protection portent une veste de drap noir à Liège, de drap vert à Anvers. Vers 1926-1927, « le sarreau bleu » des « glorieux révolutionnaires de 1830 » est, à son tour, adopté, avec, pour les adultes, le port du casque « Adrian », ainsi que l’adoption de culottes de cheval avec bottes… Le vote de la loi interdisant les milices privées va contraindre la Légion à supprimer ses « Groupes mobiles ». Les uniformes sont dès lors réservé à de nouvelles formations théoriquement juvéniles, les « Jeunes Gardes Nationalistes ». Enfin, autres signes de reconnaissance distinctifs : le salut légionnaire (la main faisant le serment « de rester belge », en attendant d’adopter vers 1933-1934 le salut romain) et le cri de ralliement légionnaire ( d’abord « Pour la Belgique, tout Pour les politiciens, rien !», puis « A nous !», copie servile du « A Noi ! » italo-fasciste). Bref, bien avant 1933-1934, la Légion Nationale s’est mise progressivement à incarner une version belge du fascisme mussolinien, avec ses caractéristiques autochtones. Jusqu’en 1935-1936, ses poussées xénophobes sont de faibles amplitudes, et les traits antisémites restent peu présents.

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Institution : CegeSoma
Légende d'origine : Tract de la Légion nationale s.d.
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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat

Politique…ou politique politicienne ?

Suite à la « Grande Dépression » et aux grèves insurrectionnelles dans le Borinage à l’été 1932, la Légion Nationale connaît une croissante relativement importante de ses effectifs. Elle téléguide la création, en août-septembre 1932, d’un Parti National Belge, s’alliant avec des associations de classes moyennes et des groupes d’anciens combattants. Plusieurs listes sont déposées aux « communales » d’octobre à Liège, à Bruxelles, à Anvers, mais, hormis dans la « Cité ardente », le succès n’est pas vraiment au rendez-vous. L’aggravation de la crise au cours des mois suivants modifie la « donne ». La Légion Nationale se radicalise at participe au Congrès de Montreux organisé les 16 et 17 décembre 1934 à l’initiative des « Comités d’Action pour l’Universalité de Rome » du général Eugenio Coselchi. Hoornaert y fréquente le gratin de l’extrême droite fascisante européenne, sympathisant tout particulièrement avec Marcel Bucard, le Chef du « Francisme » et José-Antonio Primo De Rivera, le Chef de la Phalange espagnole. Et il reviendra de Suisse persuadé de l’excellence des principes de l’ « Ordre Nouveau Universel » à la sauce italienne.

A partir de l’été 1935,sans doute soutenu par quelques coups de pouce italiens au niveau de la presse,  Hoornaert  entreprend des négociations serrées avec différentes associations de petits commerçants et d’artisans exaspérés par la crise (« Action Civique » du Courtraisis et du Tournaisis, « Front Unique » de la région bruxelloises, etc….)  Ces tractations discrètes aboutissent à l’automne 1935 à la mise en place d’un Front Corporatif National en vue des législatives de 1936. La légion compte désormais environ 15000 membres dont près de 5000 « Jeunes Gardes Nationalistes » en uniforme susceptibles d’être mobilisés à tout moment. Des sondages officieux créditent le Front Corporatif National d’au moins quatre ou cinq députés dans la nouvelle assemblée. Mais un nouveau-venu va bouleverser la donne. Il s’agit du « mouvement rexiste » conduit par Léon Degrelle. Et sitôt constitué (mars 1936), le « Front Populaire de Rex » ne tarde pas à faire imploser le Front Corporatif National laborieusement constitué. Malgré l’antipathie profonde de Hoornaert pour Degrelle, des négociations se nouent mais  n’aboutissent finalement pas, le chef de Rex craignant le radicalisme du Front corporatif. Hoornaert revient une dernière fois à la charge avant de jeter l’éponge suite à l’accord Rex-VNV.

Déclin, consolation…et rédemption ?

La concurrence rexiste fait de l’ombre à la Légion. L’évolution du contexte international entraîne par ailleurs la Légion dans un antisémitisme et un anti-maçonnisme de plus en plus virulent. L’évolution du fascisme italien qui s’inscrit de plus en plus dans la mouvance de l’Allemagne nazie tant honnie par la Légion, oblige Hoornaert à se réorienter.

A la veille du conflit, l’organisation de Paul Hoornaert compte vraisemblablement 5000 adhérents et 1500 « Jeunes Gardes Nationalistes ». L’écroulement de mai ’40 désoriente fortement Hoornaert qui ne demande qu’à lutter contre l’envahisseur. En tant que formation d’Ordre Nouveau au profil antisémite et antimaçonnique accentué, la Légion est tolérée par l’occupant. Mais son chef se garde bien de reprendre l’édition de sa presse militante pour ne pas la soumettre à la censure allemande, et les activités militantes se font plus discrètes. En fait, sur les conseils de Charles Terlinden qui a ses entrées à « Laeken », la Légion et ses chefs attendent le départ de l’occupant pour jouer au service d’ordre supplétif, afin de neutraliser les subversifs de tout poil (communiste, nationalistes-flamands et…rexistes) qui chercheraient à s’emparer du pouvoir. Ce faisant, ils renouent ainsi avec les « fondamentaux » de l’organisation. Mais des éléments plus jeunes, dont le Bruxellois Fernand Dirix qui passe désormais pour le principal lieutenant du Chef, veulent aller plus loin et « faire quelque chose » contre l’occupant. Poussé par eux, Hoornaert se met très prudemment en rapport avec les responsables de la Légion Belge, au printemps 1941. Mais jusqu’en juin 1941, celle-ci reste sourde à ses  avances, craignant de se compromettre au vu du passé de la Légion nationale. Hoornaert, lui, hésite encore à s’engager vraiment même s’il est résolument anti-allemand et souhaite la victoire anglaise. Pour le reste, les siens continuent à accumuler peu à peu, comme ils le faisaient depuis l’hiver’40-’41, les dépôts d’armes clandestins « au cas où »… Mais l’occupant veille au grain.

Le 20 août 1941, l’organisation légionnaire se voit interdite de toute activité politique par la Sipo-SD, mais curieusement ses permanences restent ouvertes jusqu’au 21 septembre.. . Dans la nuit du 22 au 23 septembre, plusieurs dizaines de légionnaires sont arrêtés à Bruxelles et à Liège. Appréhendé, Hoornaert est libéré mais reste sous surveillance. Il a le temps d’inciter les siens à passer carrément dans la résistance. Arrêté à nouveau le 24 avril 1942, condamné à 15 ans de travaux forcés par l’ennemi le 6 août de la même année, Hoornaert est expédié au camp de Sonnenburg, où il décède le 2 février 1944. Environ 500 de ses anciens « légionnaires nationaux » ont effectivement participé à la résistance, soit dans le « Groupe Hoornaert-Dirix » (rattaché à l’Armée Secrète), soit au Mouvement national royaliste, soit au… Front de l’Indépendance, noyauté par le Parti communiste de Belgique! Quelques dizaines d’autres ont basculé dans la Collaboration. 

Bibliographie

Balace Francis, Braive Gaston et Colignon Alain [et alii], De l'avant à l'après-guerre : l'extrême droite en Belgique francophone, Bruxelles, De Boeck, 1994.

Colignon Alain, Les anciens combattants en Belgique francophone, 1918-1940, Liège : Libr. Grommen, 1984.

Simon Michel, Les organisations de jeunesse d'Ordre Nouveau en Belgique francophone, 1940-1944, Liège : ULg, 1988

Voir aussi

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Pour citer cette page
Légion nationale
Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/legion-nationale.html