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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Service de renseignements : [1940-1945].
Belgique en guerre / Articles

Réseaux belges de résistance en Suisse

Thème - Résistance

Auteur : Bagnoud Martin

Au départ, deux pays neutres

En 1939, la Belgique et la Suisse ont un statut de neutralité censé les tenir à l’écart du conflit qui se prépare. Ces deux pays ont d’autres similitudes : une superficie et une démographie relativement similaires ainsi qu’une situation géographique qui en fait des zones tampons entre les grandes puissances européennes. Néanmoins, quand l’un sera rapidement attaqué puis occupé à l’issue de la campagne des Dix-Huit jours, l’autre conservera son statut tout au long de la guerre. De nombreux facteurs peuvent expliquer le maintien de la souveraineté helvétique, parmi lesquels la topographie accidentée du pays, le déclenchement des opérations militaires allemandes contre la France, puis l’Angleterre et l’URSS – qui accapare la majeure partie des forces de la Wehrmacht –, la préservation de voies de transit protégées des bombardements alliés ainsi que le jeu d’équilibre que se livrent les autorités suisses, entre adaptation au Nouvel ordre mondial et résistance à cet ordre. La Suisse, à l’instar des autres pays neutres, devient le théâtre d’une guerre secrète où s’activent de très nombreux espions étrangers, réfugiés clandestins et diplomates de tous les horizons. 

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Collection : © KEYSTONE/Photopress.
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Soldats entrant en service en 1939 à la gare de Genève

Premiers contacts

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Collection : Le Temps, 17/6/2015
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Image célébrant l'accueil des enfants belges en 1914-1918
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Collection : Journal du Jura, 18/5/1940
Légende d'origine : L'arrivée des rapatriés suisses de Belgique à Vallorbe

En 1914 déjà, la violation de la neutralité belge par les troupes allemandes avait eu un fort retentissement en Suisse : très largement commentée, elle révéla l’existence d’un fossé (« röstigraben ») entre les francophiles romands et les germanophiles alémaniques. Ce qui ne devait pas empêcher l’accueil de quelques 2000 enfants, 4500 soldats invalides et plus de 6000 réfugiés civils belges. Le début de l’année 1940 paraît être une bis repetita de ce qu’il s’est passé durant la Première Guerre mondiale. La Belgique est envahie par l’armée allemande, son gouvernement parvient – difficilement – à se rendre à Londres. Pour la population, une longue période d’occupation commence. En Suisse, la tension est à son comble : on redoute un sort similaire (Hitler avait d’ailleurs mis à l’étude une opération militaire – baptisée opération Tannenbaum – qui prévoyait l’occupation du pays par l’Allemagne et l’Italie). L’armée est envoyée aux frontières, c’est la mobilisation générale. De part et d’autre, la résistance face à l’agression, qu’elle soit effective ou potentielle, s’organise. Le gouvernement belge en exil à Londres entend poursuivre la lutte au côté des Alliés, des mouvements clandestins émergent sur tout le territoire occupé. En Suisse, on opte pour la stratégie du Réduit national – le repli de l’armée au sein des Alpes – et on affirme les valeurs nationales et la défense contre les totalitarismes fasciste, national-socialiste ou communiste (la Défense spirituelle du pays).

Malgré l’occupation de la Belgique, les contacts officiels entre les deux pays ne sont pas au point mort. Ils se font par l’intermédiaire de la légation belge à Berne. Seulement, celle-ci est dirigée par le comte Louis d’Ursel, un léopoldiste convaincu. En septembre 1940, cet homme envoie une circulaire – les Instructions de Berne – aux autres diplomates: la Belgique n’est plus en guerre avec l’Allemagne, elle n’est pas non plus l’alliée de l’Angleterre. Évidemment, ce discours passe extrêmement mal auprès du gouvernement en exil. Dès lors, les contacts avec cette légation seront réduits au minimum.

De nombreux Belges – le plus souvent des hommes entre 18 et 40 ans – sont toutefois présents en Suisse : beaucoup ont fui leur pays à l’issue de la campagne des Dix-Huit jours, d’autres gagnent la Confédération après s’être évadés des camps de prisonniers allemands. Ils forment une communauté soudée, rassemblée au sein d’espaces plus ou moins clos : en effet, en vertu des Conventions de la Haye, les hommes en âge de combattre sont internés lorsqu’ils se rendent dans un Etat non belligérant. Beaucoup essayeront ensuite de gagner l’Angleterre, en quittant clandestinement la Suisse.

Le 19 novembre 1940, afin de rétablir le lien avec le continent et renseigner le gouvernement sur la situation du pays, la Sûreté de l’État – les services secrets belges – est remise sur pied à Londres. Les compétences de cet organisme vont du renseignement classique à la guerre politique et aux opérations de sabotage, en passant par l’évacuation, le recrutement et les moyens techniques de transmission. La Sûreté de l’État n’aura de cesse durant toute la guerre de canaliser et diriger les multiples initiatives individuelles de résistance qui émergent en Belgique. Assez vite, des antennes de la Sûreté seront établies ailleurs en Europe. La Suisse va faire l’objet d’une attention toute particulière, du fait de sa position au cœur de l’Europe occupée, de ses places financières et commerciales intactes et des nombreux Belges qui y résident.

Types de réseaux et activités

Agents de la Sûreté d’Etat

Toutefois, ce n’est qu’en octobre 1942 qu’une première mission est envoyée sur le territoire helvétique par la Sûreté de l’État. L’agent Max Bejai – nom de code : Job – doit réunir des renseignements politiques et économiques sur la Belgique occupée et sur le Troisième Reich, selon l’idée que des informations fiables peuvent être obtenues en Suisse. Dans le même temps, il doit rendre compte de l’opinion de la population suisse sur la Belgique – notamment au travers de la presse écrite – et enfin dresser le tableau des Belges établis dans la Confédération (évadés, clandestins, diplomates, industriels...). La direction de la Sûreté insiste sur l’extrême prudence dont devra faire preuve Job, tant vis-à-vis des autorités helvètes que de la Légation belge à Berne, qui n’est pas mise au courant de la mission. Job remet les informations qu’il collecte au consulat de Grande-Bretagne basé à Zurich, qui se chargera ensuite de les faire parvenir à Londres (les services secrets belges et anglais collaboreront de façon active durant toute la guerre). Au cours des années 1942 à 1944, Job
renseignera sa direction et, partant, le gouvernement belge, de la situation de ses compatriotes en Suisse (il visitera les camps des internés belges), de la bienveillance des autorités (disposées selon lui à fermer les yeux sur les départs clandestins vers l’Angleterre), du rôle joué par la légation belge, des mouvements de troupes allemandes en Belgique
occupée…


Dirigés depuis la Suisse, actifs en Belgique

Certains mouvements de résistance actifs en Belgique se serviront de la Suisse afin de poursuivre leurs activités tout en étant à l’abri des coups de filet allemands. Un mode de fonctionnement astucieux – bien que comportant également des difficultés puisque les chefs sont contraints de multiplier les voyages clandestins entre les deux pays. C’est notamment le cas de l’organisation Tempo, fondée en avril 1942 par le brigadier de police Léopold Vandeweyer. Une vague d’arrestations contraint ce dernier à fuir la Belgique : il se rend clandestinement en Suisse, puis réorganise son mouvement depuis le sol helvétique. Tempo s’appuie sur près de 500 personnes, dont la plupart opèrent en Belgique et sur la ligne de passage qui relie ce pays et la Suisse. Sur le plan pratique, le service recueille des renseignements (militaires, économiques, politiques) sur le sol belge. Des résistants, dont Vandeweyer, se chargent ensuite du courrier qu’ils font passer en Suisse, avant que celui-ci ne soit redirigé vers l’Angleterre et les Alliés. Les lignes de passage mises en place – qui se font en train, vélo ou à la marche – seront utilisées également pour l’évacuation des agents « brûlés » et des parachutistes alliés. En novembre 1943, un opérateur radio est mis à disposition du service par Londres.

À la fin de l’année 1942, un troisième réseau de résistance belge s’établit en Suisse. Il s’agit du réseau Rivert. Celui-ci a cela de particulier qu’il est contrôlé par les autorités polonaises.

En effet, les services secrets polonais mettent sur pied des antennes régionales dans différents pays européens. L'une d’entre elles, la Station S, est active en Suisse et recrute en décembre 1942 un officier belge qui s’est échappé des camps de prisonniers allemands, Justin Duchamps. Avec l’appui des Polonais, Duchamps fonde le mouvement Rivert, dirigé depuis la Suisse et actif en Belgique. Dès janvier 1943, des renseignements militaires sur la situation en Belgique sont ainsi fournis aux services secrets polonais basés eux aussi à Londres. Ces derniers se défendront de toute ingérence, arguant la seule volonté de servir la cause alliée. 

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Archives de la Sûreté de l'Etat
Légende d'origine : faux papiers d'identité de Joseph Romainville
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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Archives de la Sûreté de l'Etat
Légende d'origine : Faux papiers d'identité de Joseph Romainville
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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Archives de la Sûreté de l'Etat
Légende d'origine : Faux papiers d'identité de Joseph Romainville
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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Emetteur clandestin

La situation n’évolue guère jusqu’en 1944. Néanmoins, au mois de mars de cette année, l’agent Joseph Romainville est envoyé dans le pays par la Sûreté belge afin d’établir de nouvelles lignes d’évacuation du courrier vers la Suisse puis l’Angleterre, en transitant par Lisbonne. Romainville – dont les rapports sont délétères avec son collègue Bejai – fonde un nouveau réseau, le Service belge en Suisse (SBS). Rapidement, le SBS – qui fonctionne comme une antenne relativement autonome des services secrets belges – étend son influence aux mouvements Rivert (suite aux protestations belges à l’encontre de l’ingérence polonaise) et Tempo. Plus de 100 personnes travailleront pour le SBS, qui restera actif jusqu’à la fin de la guerre et développera de multiples compétences : interrogation des réfugiés belges immigrés en Suisse, collecte de renseignements, filière d’évasion…

Quelques difficultés

L’histoire de la résistance belge en Suisse durant la Deuxième Guerre mondiale n’a pas été exempte de difficultés. La première tient à l’encerclement, dès novembre 1942, du pays par les forces de l’Axe. Les écueils sont nombreux quant à la transmission des informations vers l’Angleterre. Les lignes de transmission entre la Belgique et la Suisse, puis entre la Suisse et le Portugal, sont surveillées et bon nombre de résistants seront arrêtés. En outre, les missions envoyées par la Sûreté utilisent les voies de communication des services secrets anglais ; elles sont donc dépendantes du bon vouloir des autorités britanniques qui, malgré un accord signé en 1941 et renouvelé en 1942, font parfois preuve de mauvaise volonté quant à la transmission des informations recueillies. Enfin, les querelles intestines propres au monde de la résistance sont également à l’œuvre en Suisse, comme en témoigne le combat que semblent se livrer Max Bejai et Joseph Romainville pour la domination du « marché » helvétique.

Bibliographie

Fabrice Maerten (dir.), Papy était-il un héros ? Sur les traces des hommes et des femmes dans la Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, Bruxelles, Racine, 2020.

Debruyne, Emmanuel, La guerre secrète des espions belges, Bruxelles, Racine, 2008.

Farquet, Christophe, La Suisse pendant la Seconde Guerre mondiale. Une appréciation critique de l’historiographie helvétique sur les relations internationales, en ligne, 2021, https://hal.science/hal-031695....

Senn, Hans, Cerutti, Mauro, Kreis, Georg, Meier, Martin, Hubler, Lucienne, Schwab, Andreas, « Guerre mondiale, Deuxième », Dictionnaire historique de la Suisse (DHS), en ligne, 2015, https://hls-dhs-dss.ch/fr/.

Cegesoma/Archives de l'Etat, AA 1333, Archives de la Sûreté de l’Etat, n°82 à 233. 

Pour citer cette page
Réseaux belges de résistance en Suisse
Auteur : Bagnoud Martin
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/reseaux-belges-de-resistance-en-suisse.html