Belgique en guerre / Articles

Trotskistes en résistance

Thème - Résistance

Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)

Une mouvance marginale et très divisée

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, la mouvance trotskiste belge est marginale et très divisée. Trois fortes personnalités, plutôt conflictuelles, l’incarnent : Walter Dauge (1907-1944), Léon Lesoil (1892-1942) et Georges Vereeken (1896-1978). En octobre 1936, ils s’unissent de manière éphémère sous les auspices du Parti Socialiste Révolutionnaire (PSR) dirigé par Dauge et centré sur le Borinage. Mais cette unité n’a qu’un temps : Vereeken et ses amis bruxellois ont fait dissidence dès  le premier congrès, en juillet 1937 en refusant d’adhérer à la IVème Internationale. Ils ont créé le groupe « Contre le Courant », du nom de leur revue, qui joue « cavalier seul » et critique tout qui ne pense pas comme lui. Mentionnons aussi une troisième formation, la Ligue des Communistes Internationalistes (ou « Groupe Hennart », du nom de son leader, Adhémar Hennart). Née en 1932, c’est sans conteste la plus ancienne de cette mouvance mais elle est moribonde à l’heure de la « drôle de guerre », faute de militants. Les trotskistes ne représentent donc au mieux que quelques centaines de personnes. Le PSR, bien qu’en net déclin depuis les législatives d’avril 1939, rallie toujours avec quelque 600 inscrits le gros de la troupe autour de ses fédérations de Mons-Borinage et de Charleroi. Le Groupe Vereeken, lui, implanté essentiellement à Bruxelles et, dans une moindre mesure, à Anvers, ne rassemble que quelques dizaines de membres. Tous sont étroitement surveillés par la Sûreté de l’Etat… Le Parti Communiste de Belgique leur voue également une haine féroce. A ses yeux, les trotskistes sont de dangereux subversifs.

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Institution : J.-P. Samain (www.leborinage.be)
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Walter Dauge (1907-1944)

Résistance ou pas ?

La brutalité de l’invasion allemande bouleverse cet état des lieux. Face à la catastrophe de mai-juin 1940, la famille trotskiste reste muette pendant plusieurs mois. Certains de ses dirigeants (Dauge, Lesoil,…) ont été internés par la justice belge. Rapidement libérés, ils font néanmoins profil bas par la suite. Pendant que Lesoil opte pour un silence prudent, Walter Dauge s’engage dans la voie d’une certaine forme d’ accommodation avec l’ « Ordre Nouveau »-ce qui lui vaudra d’être abattu par des « partisans armés » communistes à la fin du printemps 1944. Mais le Parti Socialiste Révolutionnaire n'est pas éteint. Mieux, au début de 1941 il se ranime, relancé par une poignée de jeunes militants, dont Abraham Waynsztok (1918-1944), dit « Léon ». Cette fois, sa base est plutôt bruxelloise. Quelques contacts subsistent avec des cellules locales provinciales (Liège, Mouscron, Verviers). Des tracts et des journaux clandestins sont lancés : La Voie de Lénine et De Enige Weg. Mais le succès n’est guère au rendez-vous. Les nouveaux responsables du P.S.R., devenu Parti Communiste Révolutionnaire fin 1941 ne parviennent pas à s’implanter en milieu ouvrier. Persuadés que la guerre va amener une nouvelle Révolution mondiale à l’instar d’octobre 1917 et que le prolétariat allemand va se soulever contre ses maîtres nazis, ils cultivent la fleur de l’internationalisme et conseillent aux « prolétaires » belges de fraterniser avec leurs frères d’outre-Rhin… Ils pestent abondamment contre les communistes staliniens mais soutiennent pourtant le « juste combat » de l’Armée Rouge contre le monstre hitlérien à partir de juin 1941. C’est à cette période qu’ils réussissent à séduire l’un ou l’autre intellectuel de combat tel Ernest Mandel (1923-1995). Mais ils restent coupés des masses. La Voie de Lénine ne se diffuse jamais qu’à 300 ou 400 exemplaires. Au bout du compte, et malgré l’organisation de quatre ou cinq congrès « clandestins », ils ne réunissent jamais plus de…50 militants au total. Des arrestations sont néanmoins opérées dans leurs rangs : Abraham « Léon » est arrêté par la Feldgendarmerie de Charleroi en juin 1944 et meurt en déportation. Mandel est lui aussi arrêté à deux reprises pour avoir essayé de convaincre des soldats de la Wehrmacht de la justesse des positions trotskistes… Quant à Léon Lesoil, il a été arrêté par les Allemands lors de l’ « opération Sonnewende » (juin 1941) non pour ses actions sous l’Occupation mais pour ses talents d’activiste révolutionnaire lors des grandes grèves de 1936…Comme Abraham « Léon », il meurt lui aussi en déportation.  Le seul succès modeste du PCR s’opère en 1943 au niveau du bassin de Charleroi. Un de ses dirigeants locaux, J. Davister, réussit à fidéliser une trentaine de délégués de puits de mine. Mais c’est peu de choses. Le PCR n’a même pas réussi à éliminer la concurrence du Groupe Vereeken de Bruxelles. Celui-ci survit à la guerre, réussi à convaincre l’un ou l’autre élément jeune (dont un certain Pierre Legrève). En juillet 1942, il a créé le « Groupe communiste-trotskiste pour la IVème Internationale » …tout en se refusant pour d’obscures raisons, de rejoindre réellement la IVème Internationale. Ses rapports avec le PCR restent également tendus et toutes les tentatives de rapprochement échouent. On le devine : le bilan des trotskistes en résistance reste très mine. 

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : La Voie de Lénine, juin 1941.

Marc LORNEAU, Contribution à l’histoire du mouvement trotskyste belge 1939-1960, Liège, ULg, (Mémoire de licence), 1982-1983 (5 vol.).

Marc LORNEAU, Le mouvement trotskyste belge ; septembre 1939-décembre 1964, dans Courrier Hebdomadaire du CRISP, n°1062-1063 du 21 décembre  1984 ;

Guy DESOLRE, "Ernest Mandel", dans Nouvelle Biographie Nationale, T. IV de 2001, pp. 286-288.

https://academieroyale.be/Acad... 

Pour citer cette page
Trotskistes en résistance
Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)
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