Belgique en guerre / Personnalités

Martin Victor

Thème - Résistance

Auteur : Kesteloot Chantal (Institution : CegeSoma)

Lors de la libération du camp d’Auschwitz par l’Armée rouge en janvier 1945, peu d’informations circulent. La presse n’y consacre que quelques lignes. Que savait-on ? Qui savait quoi ? Deux questions qui ont souvent été posées. Début 1943, le résistant belge Victor Martin (1912-1989) se retrouve dans les environs immédiats du camp. Qu’y découvre-t-il ?

Un intellectuel catholique atypique

Né le 19 janvier 1912 à Blaton, dans la province de Hainaut, Victor Martin est issu du milieu de la bourgeoisie industrielle ; son père possède une petite usine de bonneterie. Après des humanités dans l’enseignement catholique, c’est tout naturellement qu’il entame des études universitaires à l’Université catholique de Louvain. Son choix d’étude n’est pas banal puisqu’il entame un cursus en sociologie, une discipline assez nouvelle à l’époque. Plus surprenant encore, il se lance dans la préparation d’une thèse de doctorat consacrée au « Placement public des travailleurs de Belgique » qu’il finalise en 1938 après avoir été amené à voyager dans divers pays européens dont la France et l’Allemagne. La période est très incertaine. Un peu partout en Europe, le fascisme gagne du terrain ; les démocraties reculent.

Dans le giron de la résistance communiste

Entré en résistance par patriotisme plus que par antifascisme, il se retrouve néanmoins au Front de l’Indépendance et adhère au Parti communiste à l’automne 1942. Depuis le printemps, la persécution des Juifs est entrée dans une nouvelle phase avec l’introduction du port de l’étoile fin mai et les grandes rafles de l’été. A l’automne, plus d’une dizaine de convois ont déjà quitté la caserne Dossin en direction d’Auschwitz. Le Comité de Défense des Juifs est créé en septembre 1942 à l’initiative de sept fondateurs, tous juifs, dans le giron du Front de l’Indépendance. L’objectif est d’aider les Juifs à échapper aux persécutions dont ils sont l’objet. Cette démarche passe aussi par l’information. 

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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Non légendée

Une mission particulière

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : De Lathouwer René, Témoignages et documents recueillis entre 1947 et 1951, Comité de Défense des Juifs, Groupement de résistance reconnu à la date du 1/3/1948, Archives CegeSoma/Archives de l'Etat.

Maîtrisant parfaitement l’allemand, Victor Martin apparaît comme le candidat idéal pour en savoir davantage. Du fait de son réseau de contacts, notamment dans les milieux universitaires, l’homme rêve d’effectuer une « mission secrète » en Allemagne, une forme d’espionnage industriel. C’est en fait un tout autre type d’informations qu’il va être amené à collecter . Qu’advient-il des Juifs emmenés par train en direction de l’Est à partir du camp de transit de la Caserne Dossin à Malines ? Dans les renseignements dont dispose le Front de l’Indépendance, il est question de déportation en Haute-Silésie, dans la région de Zeuthen, Katowice et Sosnowicz mais on ignore le nom d’Auschwitz.

Du fait de son profil d’universitaire, Victor Martin obtient assez facilement un passeport et un visa pour se rendre en Allemagne. Officiellement, il s’y rend pour poursuivre ses recherches et reprendre contact avec des professeurs de l’Université de Cologne, notamment le sociologue Leopold von Wiese. Mais Cologne est loin de la Haute-Silésie. Toujours sous le couvert de ses recherches, il obtient les autorisations nécessaires de la part du service des étrangers de la police de Cologne pour se rendre à Francfort, Berlin et Breslau, entre le 4 et le 20 février 1943. C’est surtout cette dernière destination qui l’intéresse. Il y rencontre un professeur spécialisé dans l’étude de la psychologie différentielle des classes sociales. Ce faisant, il se rapproche peu à peu de sa destination. Il prend alors le train, direction Sosnowiec. 

En route vers la Haute-Silésie

Outre sa mission d’information quant au sort des Juifs déportés de Belgique, Victor Martin a également été chargé de s’informer sur le sort de la communauté juive de Sosnowiec, une ville de Silésie située à une petite quarantaine de kilomètres d’Auschwitz. Avant la guerre, Sosnowiec comprenait une importante population juive dont certains membres avaient fui en Belgique. Victor Martin est porteur de messages à l’attention de familles. Après avoir réussi à gagner la ville, il doit entrer en contact avec des membres de la communauté juive désormais regroupée en ghetto et surmonter leur méfiance. C’est dans ce contexte qu’il entre en contact avec des Juifs malades soignés dans l’hôpital du ghetto. Ce que ces derniers racontent – « Vous ne trouverez ni enfant, ni vieillard. Tout le monde a ici l’assurance qu’on les a tués et brûlés - » est tout simplement impensable. Réagissant en scientifique, en intellectuel humaniste, Victor Martin ne peut croire un tel récit et décide d’investiguer davantage. Il se rend dès lors à Katowice, Auschwitz n’est plus très loin. Son chemin croise celui d’un groupe de travailleurs français, ouvriers volontaires et déportés du travail. Certains de ceux-ci travaillent dans l’usine de caoutchouc synthétique de Monowitz-Buna ; plus connue sous le nom d’Auschwitz III. Pour recouper ses informations, il rend visite au foyer de ces travailleurs français. Dans le rapport qu’il rédigera par la suite, il évoque l’arrivée de trains, les cris, des "wagons à gaz"… L’urgence est alors pour lui de rentrer et de transmettre ces informations.

 

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Institution : http://www.yadvashem.org/yv/he/research/ghettos_encyclopedia/ghetto_details.asp?cid=687
Légende d'origine : The Sosnowiec Ghetto set up in World War II by Nazi German authorities for Polish Jews in the Province of Upper Silesia during the Holocaust was liquidated during Aktionen lasting from June until August 1943.

Un trajet retour semé d’embûches

Victor Martin retourne à Breslau mais est arrêté le 10 février 1943, suite à la dénonciation d’un ouvrier français. Il est incarcéré dans la prison de la ville avant d’être transféré dans celle de Katowice où il n’est interrogé que deux semaines plus tard. Il est d’abord soupçonné d’espionnage industriel mais rien ne vient étayer cette accusation. Il est condamné à rester sur place et est affecté comme interprète au camp de rééducation de Rattwitz, en Basse-Silésie. Ce camp regroupe des travailleurs étrangers, volontaires et requis. Les conditions de vie y sont extrêmement dures. Nous sommes en avril 1943. A la mi-mai, il réussit prendre la fuite, à embarquer dans un train, à passer la frontière et à rentrer à Bruxelles.

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Institution : Service des Victimes de Guerre/Archives de l'Etat
Collection : Dossier de reconnaissance de Victor Martin
Légende d'origine : Rapport à propos de Victor Martin en date du 23 novembre 1976.

Transmettre l’information

A son retour, Victor Martin rencontre quelques membres du Front de l’Indépendance et du Comité de Défense des Juifs et leur relate ce qu’il a vu. Les informations circulaient déjà auparavant dans divers journaux clandestins ; le terme d’« extermination » y est repris de même que sur les ondes de la BBC ; Radio-Moscou diffuse des informations plus précises encore mais les échos restent limités. Il faut en fait attendre l’année 1943 pour que soit peu à peu prise la pleine mesure de ce qui advient aux Juifs déportés à l’Est. La presse clandestine, par la voix du Flambeau, l’organe de la section de défense des Juifs du Front de l’Indépendance, a fait état en mai 1943 du massacre systématique de 6000 Juifs par jour en Pologne ; six mois plus tard – juste après le retour de Victor Martin – il y est désormais question de « millions de morts massacrés en Pologne » ; on y évoque également les « wagons à gaz ». Tous ces éléments sont autant d’incitants pour le CDJ pour pousser les Juifs à se cacher.

Victor Martin poursuit ses activités dans la résistance à Charleroi où il est désormais responsable de l’« Œuvre Solidarité » du Front de l’Indépendance. Une partie de ses tâches réside dans l’aide aux réfractaires au travail obligatoire. Le 21 juillet 1943, il est une nouvelle fois arrêté, incarcéré à la prison de Charleroi avant d’être transféré à Saint-Gilles. Heureusement, il n’est pas identifié comme l’auteur du rapport d’Auschwitz dont la Gestapo a découvert un exemplaire lors d’une perquisition. Le 8 avril 1944, Victor Martin est transféré au camp de Vught aux Pays-Bas. Il réussit miraculeusement à s’en évader et à rentrer à Bruxelles.

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Le Flambeau, octobre 1943, p.2.
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Institution : Service des Victimes de Guerre/Archives de l'Etat
Collection : Dossier de reconnaissance de Victor Martin

Une vie marquée par cette expérience

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Institution : Wikimedia Commons
Légende d'origine : Maison natale de Victor Martin, plaque apposée en 1999

En septembre 1944, Victor Martin participe aux combats de la libération à Charleroi. Il témoigne également sur ce qu’il a vu et sur sa détention dans les bagnes nazis. Son engagement lui vaut d’être reconnu comme prisonnier politique et résistant civil. Sur le plan politique, on le retrouve dans le giron du Front de l’Indépendance et au Parti Communiste de Belgique dont il reste membre jusqu’au début des années 1950. Mais l’après-guerre est également marqué par l’heure des engagements professionnels au ministère du Travail d’abord avant d’entamer une carrière au Bureau international du Travail et pour le compte de l’OCDE. Vient le moment de la retraite en 1977. Victor Martin est désormais installé en France où il participe aux activités de la Fédération nationale des déportés, internés et patriotes. Il décède en novembre 1989. Son histoire a été sortie de l’oubli en 1995 par un historien français, Bernard Krouck. En 1999, la commune de Blaton (entité de Bernissart) a, à son tour, voulu lui rendre hommage en baptisant à son nom une place, face à la gare. L’année suivante, Didier Roten lui a consacré un documentaire : La mission de Victor Martin.

Bibliographie

Kourck, Bernard, « La mission de Victor Martin à Auschwitz (1943) » in Revue d’Histoire de la Shoah, 2001/2, n°172, pp.66-96

Kourck Bernard, Victor Martin, un résistant sorti de l’oubli, Bruxelles, Les Eperonniers, 1995.

Papeleux Léon, « En mission près d’Auschwitz » in La Vie wallonne, tome 56, 1982, pp.110 – 124.

Steinberg Maxime, La traque des Juifs 1942-1944, L’étoile et le fusil, vol. 1, Bruxelles, Vie ouvrière, 1986.

La mission de Victor Martin, film réalisé par Didier Roten (52 minutes). Une coproduction franco-belge, La 8-Production (Paris), Les films de la mémoire (Bruxelles), RTBF (Charleroi) et TV-10 (Angers), http://www.lesfilmsdelamemoire...

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27948.jpg Articles Résistance Maerten Fabrice
Pour citer cette page
Martin Victor
Auteur : Kesteloot Chantal (Institution : CegeSoma)
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