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Auteur :
Institution : Het drama van Meensel-Kiezegem - Stichting Canon van Vlaanderen
Collection : Sculpture de May Claerbout, KZ Gedenkstätte Neuengamme 1998
Droits d'auteur : Photo Zoia Kashafutdinova
Légende d'origine : Le désespoir de Meensel-Kiezegem
Belgique en guerre / Articles

Drame de Meensel-Kiezegem (Le)

Thème - Mémoire - Résistance - Collaboration

Auteur : Anthoons Johnny

Dans la dernière phase de la Seconde Guerre mondiale, l’occupant allemand se montre impitoyable. Les pays occupés d'Europe de l'Ouest subissent des représailles collectives : exécutions, incendies de maisons, arrestations et déportations massives dont sont victimes de nombreux civils innocents sous couvert de la lutte contre les partisans. Des pratiques qui sont depuis longtemps et fréquemment à l’œuvre en Europe de l’Est et dans les Balkans.

Des représailles démesurées touchent non seulement la France et les Pays-Bas, mais également la Belgique. L’épisode évoqué ici s’est déroulé en 1944 dans la localité de Meensel-Kiezegem, à une vingtaine de kilomètres à l’est de Louvain, au cœur du Hageland. En réalité, il s’agit d’un drame en plusieurs actes.

Prologue

Meensel et Kiezegem sont deux paroisses distinctes administrativement associées en 1824. Kiezegem au nord-ouest, et Meensel au sud-est, conservent cependant leur propre identité. Leurs dialectes sont nettement différents, tout comme leurs structures sociales et leurs mentalités. À Kiezegem, on trouve quelques grandes exploitations agricoles, de nombreux travailleurs salariés et une grande cohésion sociale. Meensel, en revanche, compte de nombreux petits agriculteurs, artisans et travailleurs indépendants, avec une vision de la vie plus individualiste. Les services essentiels sont concentrés à Meensel, où se trouvent notamment la gare du chemin de fer vicinal, l’école des filles et le bureau de poste.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, la plupart des jeunes hommes de Meensel-Kiezegem refusent de se soumettre au travail obligatoire instauré en octobre 1942. Ils se cachent et jettent ainsi les bases de la résistance. De nombreux citoyens, qui ne sont pas eux-mêmes des résistants, proposent leur aide. En outre, Meensel-Kiezegem, situé au cœur des bois du Hageland tout en restant accessible par le chemin de fer vicinal, attire de nombreux résistants extérieurs à la commune.

À Meensel, la résistance est relativement modérée avec une section du Mouvement national royaliste (MNR), tandis que Kiezegem devient un foyer de résistance, notamment pour les Partisans armés. Il en va de même en ce qui concerne le soutien à l’occupant allemand : alors que la collaboration demeure passive à Meensel, à Kiezegem, deux familles paysannes – les Broos et les Merckx – affichent ouvertement leur sympathie envers les Allemands. En pratique, la résistance et la collaboration se sont longtemps ignorées, du moins jusqu’à la dernière année de la guerre.

Institution : Oude kaarten van Meensel-Kiezegem | Meensel-Kiezegem - www.oudeschoolkaarten.be
Collection : Etabl. Steppe, Ninove
Légende d'origine : Carte de la commune de Meensel-Kiezegem

À partir de l’automne 1943, la coexistence pacifique entre « Blancs » et « Noirs » est ébranlée pour plusieurs raisons. Le 19 octobre 1943, trois jeunes membres du MNR de la commune voisine de Glabbeek sont fusillés au Tir national à Schaerbeek, provoquant une vive indignation. Le 20 mai 1944, des rafles sont menées dans les communes voisines de Molenbeek-Wersbeek, Onze-Lieve-Vrouw Tielt et Sint-Joris-Winge. Le 15 juillet 1944, Frans Coeckelberghs, une personnalité bien connue de Meensel-Kiezegem, est arrêté. Il est libéré le lendemain, mais selon ses contemporains, sa libération aurait été obtenue après qu’il ait divulgué toutes les informations qu’il possédait sur la résistance locale.

L'agression

Gaston Merckx, un jeune homme de 22 ans issu d’une des familles collaboratrices de Kiezegem et membre de la Vlaamse Wacht (« Garde flamande »), se rend le dimanche 30 juillet 1944 à la kermesse du village voisin, accompagné de trois amis. Ils traversent le hameau inhabité de ‘t Boekhout, situé à la jonction des communes de Meensel-Kiezegem, Attenrode-Wever et Binkom. Ils y croisent, de manière apparemment fortuite, trois membres des Partisans armés venus de Louvain à vélo.

Ce qui commence comme une rencontre inopinée dégénère rapidement en un tragique échange de tirs. Gaston Merckx y perd la vie. Les avis sur les circonstances exactes de sa mort divergent. Selon les responsables des Partisans armés, dont Louis Van Brussel, il s’agit d’un acte de légitime défense, tandis que d’autres affirment qu’il s’agit d’un assassinat planifié par ce groupe de résistants. Le fait que Frans Vranckx, membre des Partisans armés de Kessel-Lo, ait revendiqué en 1947 l’exécution de Gaston Merckx rend la seconde hypothèse plus plausible.

La famille Merckx est déterminée à se venger, comme le laisse entendre l’avis de décès de Gaston : « Un jour, le juge éternel me vengera. J’ai toute confiance en sa justice, et ceux qui m’ont tué ne pourront échapper à leur châtiment ».

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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Défilé de la Vlaamse Wacht, s.d.

Les rafles

Le mardi 1er août 1944, au petit matin, le Veiligheidskorps (« Corps de sécurité ») de Robert Verbelen, accompagné de membres flamands de la Sipo-SD, fait une descente dans plusieurs maisons de Meensel à la recherche de fugitifs. Les assaillants ne se contentent pas d’interrogatoires et de passages à tabac ; trois civils sont tués de sang-froid, tandis que quinze autres sont arrêtés.

Il est possible que l'action du 1er août aurait eu lieu même sans la mort de Gaston Merckx. Depuis 1943, la violence politique dans l’arrondissement de Louvain avait considérablement augmenté, tout comme dans la province de Limbourg, où le chef du VNV, Theo Brouns, avait déjà appelé à des « contre-mesures » contre la résistance en octobre 1943. Par ailleurs, quelques jours avant la rafle, le résistant Maurice Andries (« Micky ») est arrêté à Herent. Brutalement interrogé, il révèle de nombreux noms et adresses de cachettes, non seulement à Meensel, mais aussi à Tildonk.

Quoi qu’il en soit, lors des funérailles de Gaston Merckx le jeudi 3 août, sa mère, Clémentine Swinnen, demande l’arrestation de 100 otages. En présence de nombreux collaborateurs, ces derniers prêtent serment de venger la mort de Gaston.

Au cours de la nuit du mardi 8 au mercredi 9 août 1944, la tension s'intensifie. Dans la ville voisine de Tirlemont, des SS et des SD flamands assassinent trois citoyens notoires en représailles de l’assassinat d’un collaborateur par la résistance. Cette même nuit, ils recherchent en vain le notaire Victor Mertens, un soutien important du MNR de Meensel-Kiezegem.

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Institution : NCPGR-Meensel-Kiezegem
Légende d'origine : Jules Schotsmans, l'une des victimes du 11 août 1944

Au matin du vendredi 11 août 1944, les habitants sont surpris par des coups de feu alarmants, annonciateur d’une vaste opération. Dès les premières heures, un commando d’environ 300 hommes boucle hermétiquement Meensel et Kiezegem. Une unité d’arrestation d’une cinquantaine de personnes menée par Robert Verbelen peut ainsi agir en toute impunité dans la commune. L’équipe investit systématiquement chaque maison et rassemble dans l’école des filles tous les hommes âgés de 16 à 65 ans. Après une première sélection, ils doivent comparaître devant une sorte de tribunal avec les deux résistants Adolf Hendrickx et Prosper Natens, arrêtés au préalable et lourdement torturés. Ils sont enchaînés à deux hommes masqués, Albert et Marcel Merckx, les frères de Gaston. À chaque fois qu’une personne leur est présentée, Hendrickx et Natens doivent indiquer d’un signe de tête si elle soutient ou non « les Blancs ». La terreur est donc non seulement physique, mais aussi psychologique. 76 otages sont emprisonnés dans la prison de Louvain. Par ailleurs, une ferme qui est censée héberger plusieurs hommes cachés est incendiée. Le jeune fermier Jules Schotsmans périt dans les flammes.

L’ordre de marche de la rafle du 11 août laisse penser qu’elle était prévue de longue date et que la mort de Gaston Merckx en a simplement été le déclencheur.

Quelques jours plus tard, les prisonniers de Meensel-Kiezegem sont transférés à la prison de Saint-Gilles, à l’exception de quelques cas « graves » qui restent à Louvain pour des interrogatoires supplémentaires.

Les déportations

Fin août 1944, l’occupant évacue la prison de Saint-Gilles. Un premier convoi de déportation est formé à la hâte et part le 31 août emmenant 71 otages de Meensel-Kiezegem. Dans la nuit du 2 au 3 septembre, ils arrivent au camp de concentration de Neuengamme, près de Hambourg.

Un deuxième convoi entre dans l’histoire sous le nom de « train fantôme ». Des résistants au sein du personnel des chemins de fer ont entrepris des actions de retardement qui ont finalement conduit ce train à rebrousser chemin, son retour coïncidant avec la libération de Bruxelles. Grâce à cela, 13 prisonniers de Meensel-Kiezegem retrouvent leur liberté. Il en va de même pour les quelques personnes restées à Louvain en août 1944.

Au moment de l’arrivée des 71 malheureux de Meensel-Kiezegem à Neuengamme, le camp connaît son taux d’occupation le plus élevé et le plus grand nombre de camps extérieurs. Les nouveaux arrivants sont des gens de la campagne qui, en principe, ne craignent pas un travail physique lourd. Mais les travaux de construction et de terrassement auxquels ils sont contraints se déroulent dans des conditions épouvantables. Tâches quotidiennes épuisantes, rations insuffisantes, passages à tabac et mises à mort aléatoires de codétenus du camp et du village se succèdent. En outre, le régime allemand des camps se durcit davantage dans cette dernière phase de la guerre. Les chances de survie ne cessent de se réduire. Les survivants des camps de concentration ou des camps extérieurs sont ensuite contraints de participer aux marches de la mort en avril 1945, avant d’être embarqués sur la mer Baltique. Le 3 mai 1945, la Royal Air Force britannique bombarde par erreur plusieurs de ces navires, tuant plus de 7 000 survivants des camps de concentration. Parmi eux se trouvent des prisonniers politiques de Meensel-Kiezegem.

Le taux de mortalité des déportés de Meensel-Kiezegem est exceptionnellement élevé : 88,73 %. Après le 8 mai 1945, seuls 8 d’entre eux ont pu rentrer chez eux.

Institution : United States Holocaust Memorial
Collection : Forced labor at Neuengamme concentration camp.jpg
Droits d'auteur : Wikimedia Commons.
Légende d'origine : Travail forcé au camp de concentration de Neuengamme, 1941-1942

Épilogue

En septembre 1944, Meensel-Kiezegem est confronté à une répression populaire. Dans un premier temps, c’est surtout la famille Merckx qui est visée ; leur ferme est pillée. Après le 8 mai 1945, c’est au tour de la famille Broos. Trois mois plus tard, un sympathisant des familles Merckx et Broos est aussi éliminé et sa ferme incendiée.

Le volet judiciaire de l’« affaire des  rafles de Meensel-Kiezegem » relève du conseil de guerre de Louvain. Celui-ci se prononce le 23 mai 1946 sur les dossiers joints de dix accusés. Trois frères de Gaston Merckx sont en fuite et condamnés par contumace à la peine de mort. Un autre frère, ses parents et sa sœur, ainsi que Félix Broos, sont condamnés à la réclusion à perpétuité, tandis que deux autres accusés écopent de peines de prison moins lourdes.

Entretemps, les plaies profondes de Meensel-Kiezegem apparaissent au grand jour. La petite commune perd de nombreux hommes d’âge mûr, piliers de leur famille. Une perte démographique qui résonne pendant des décennies, mais pour laquelle la croissance économique d’après-guerre compense économiquement. Meensel-Kiezegem devient prospère, principalement en passant de l’agriculture sur de petites parcelles à la culture fruitière extensive

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Auteur :
Institution : Het Nieuwsblad
Droits d'auteur : Geert Daenen
Légende d'origine : Coupure de presse de Het Nieuwsblad, 5 juillet 1984
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Institution : NCPGR Meensel-Kiezegem ’44
Légende d'origine : Première page du Vrij Volk, 11 mai 1946, sur "le procès Meensel-Kiezegem" impliquant les parents de Gaston Merckx

L’héritage émotionnel est, lui, moins évident à gérer. Dans un premier temps, ce qui s’est passé après l’attentat du 30 juillet 1944 semble tellement inimaginable et accablant que peu souhaitent partager leur chagrin et leur douleur. En 1947, une culture du souvenir se met timidement en place : des écoliers offrent des cartes de condoléance aux parents des déportés lors des anniversaires de décès de leur proche. Cette coutume sera remplacée à partir de 1954 par des messes commémoratives annuelles organisées le dimanche entre le 1er et le 11 août, alternativement à Meensel et à Kiezegem. Dans les années cinquante, un cimetière d’honneur est construit à Meensel et un mémorial avec une crypte à Kiezegem. À partir de la fin des années soixante, les commémorations prennent une dimension nationale, culminant avec la visite du roi Baudouin en 1984. Par la suite, un film, un monument à Neuengamme, un musée et un site web gérés par la fondation unifiée N.C.P.G.R. Meensel-Kiezegem ’44 voient le jour. Ainsi, le drame de Meensel-Kiezegem s’inscrit progressivement dans la mémoire collective nationale. En 2023, le « drame de Meensel-Kiezegem » est repris dans le « canon flamand », pour sensibiliser aux problématiques de la collaboration et de la résistance en général.

Bibliographie

Katharina HERTZ-EICHENRODE, « Die ‘Vergeltungsaktionen’ in Murat, Meensel-Kiezegem und Putten und das Schicksal der in das KZ Neuengamme Deportierten », in : Oliver von WROCHEM (Hg), Repressalien und Terror. ‘Vergeltungsaktionen’ im deutsch besetztem Europa 1939-1945, Paderborn, Ferdinand Schönung, 2017, pp. 173-190. 

Meensel-Kiezegem 44. "Getuigenissen Meensel-Kiezegem 1 & 11 augustus 1944.". https://www.meensel-kiezegem44.be/.

Oktaaf DUERINCKX (avec la collaboration de Tom DEVOS), Getuigenissen Meensel-Kiezegem 1 & 11 augustus 1944, Meensel-Kiezegem, Oktaaf Duerinckx, 2007.                                                         

Philippe VAN MEERBEECK, « Meensel-Kiezegem », in: Philippe VAN MEERBEECK, Etienne VERHOEYEN, Herman VAN DE VIJVER et Rudi VAN DOORSLAER, Lexicon De Tijd der Vergelding & Het Verzet, Bruxelles, BRT-Instructieve Omroep, 1988, pp. 32-36.

Stefaan VAN LAERE, Frans & Jozef CRAENINCKX, Een klein dorp, een zware tol. Het drama van collaboratie en verzet in Meensel -Kiezegem, Antwerpen, Manteau, 2004.

Pour citer cette page
Drame de Meensel-Kiezegem (Le)
Auteur : Anthoons Johnny
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/articles/drame-de-meensel-kiezegem-le.html