Belgique en guerre / Personnalités

Dehousse Fernand

Thème - Résistance

Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)

Docteur en droit et militant wallon, le fédéraliste Fernand Dehousse entame sa carrière à l’Université de Liège où il est démis de ses fonctions suite à des propos trop critiques à l’encontre de Léopold III à l’été 1940. C’est à la faveur de l’occupation et dans la foulée des travaux du Rassemblement démocratique et socialiste wallon que l’homme, initialement libéral, rallie la fédération liégeoise du Parti socialiste belge.

Un esprit académique tenté par la politique…

Issu de la classe moyenne modeste, Fernand Dehousse suit un parcours scolaire classique dans le réseau communal liégeois puis à l’athénée de l’Etat avant d’entamer des études à l’Université de Liège où il obtient en 1929 le titre de docteur en droit et de licencié en sciences sociales. Il peaufine ensuite sa formation dans les universités de Paris, Grenoble et Genève, se profilant à partir de 1931 comme le disciple d’Ernest Mahaim.

Lauréat à l’Académie de Droit de La Haye en 1934, il devient, un an plus tard, chargé de cours à l’université de Liège, recueillant ainsi la succession de Mahaim. Le 1er janvier 1940, il est nommé professeur ordinaire dans cette même Alma Mater. Sur ces entrefaites, il est l’auteur de diverses publications relatives au droit international mais aussi de productions moins théoriques et plus  directement militantes. De sensibilité libérale et anticléricale, il est en effet membre depuis 1932 de la loge « La Parfaite Intelligence et l’Etoile réunies et milite, depuis 1935, à la Ligue d’Action  wallonne où s’exprime sa fibre identitaire wallonne épicée d’une pointe d’anti-flamingantisme. Il se veut ouvertement fédéraliste et publie diverses contributions à ce sujet dans le mensuel L’Action wallonne. En 1938, il a même co-signé avec le socialiste Georges Truffaut une brochure très diffusée, L’Etat fédéral en Belgique. Il y est proposé de sortir de la « querelle des langues » par le haut en transformant le Royaume en une véritable fédération reposant sur trois régions  largement autonomes (Bruxelles devenait région à part entière), avec suppression des provinces. L’année suivante, alors que s’achevaient les travaux du Canal Albert, Fernand Dehousse s’en prend, dans un écrit plus polémique mais toujours dans la mouvance de l’ « Action wallonne », au bouchon de Lanaye, qui empêche  les plus gros bateaux de rejoindre le bassin industriel liégeois via le Canal en question.

Suite à l’invasion du 10 mai 1940, il se retrouve en France. Début juin 1940, il confie à la feuille radicale-socialiste L’Ere nouvelle tout le mal qu’il pense de la capitulation inconditionnelle du roi Léopold III, appelé par lui « Monsieur de Saxe-Cobourg Gotha ». La France capitule à son tour et il rejoint la « Cité ardente ». C’est à son retour qu’il apprend qu’une commission belge ad hoc l’a révoqué pour s’en être pris à la personne royale (l’intéressé, réhabilité, attribuera plus tard cette éviction « aux autorités allemandes », ce qui n’est pas totalement faux mais juridiquement erroné.…). 

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Fernand Dehousse, octobre 1955
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Institution : https://www.retronews.fr
Légende d'origine : l'ère nouvelle, 4 juin 1940, p.1

Résistant … jusqu’à un certain point.

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Sans emploi rémunéré mais ayant quelques économies et soutenu par son épouse -  la médiéviste Rita Lejeune-, il se retrouve tiraillé entre le désir de continuer à peser sur la chose publique par la réflexion et l’action politiques et la crainte de se retrouver embastillé par le pouvoir occupant. A partir de 1941 toutefois, il s’engage prudemment dans la voie de la résistance à l’Ordre nouveau. Il participe ainsi aux réunions d’un « Comité des XV » implanté en région liégeoise et placé sous la présidence d’Englebert Renier ; on y retrouve surtout des socialistes, des libéraux de gauche et  quelques catholiques. Mais il s’agit plus d’un cercle de réflexion que d’un véritable engagement résistant. Fin 1942, il s’aventure un peu plus loin, participant pendant plusieurs mois, avec son ami Fernand Schreurs,  aux travaux d’un plus vaste Rassemblement démocratique et socialiste wallon (RDSW) qu’il aurait très bien vu remplacer les vieux partis « de gauche » une fois la Belgique libérée. Il y préside la « Commission des Affaires étrangères » et y défend le fédéralisme qu’il souhaite voir instaurer à l’heure de la Belgique libérée. L’expérience du RDSW tourne court, le mouvement se disperse à partir d’août 1943. C’est à ce moment que Dehousse se convertit au socialisme. Il se met à écrire dans des feuilles clandestines comme Le Monde du Travail et Le Coq victorieux. Ses qualités intellectuelles et son pragmatisme trouvent place au sein d’une Fédération liégeoise très touchée par la répression de l’occupant et manquant singulièrement de cadres. 

Un faux-pas ?

Hélas, sa prudence innée jointe à la crainte que suscitait en lui les agissements de la Sipo-SD l’amènent à se placer un temps dans le sillage du notaire Edouard Englebert, haut gradé dans la franc-maçonnerie locale mais prêt à donner quelques garanties à ladite Sipo-SD afin d’épargner à l’Ordre des représailles sanglantes venant soit des polices allemandes, soit des tenants de l’Ordre nouveau. A plusieurs reprises, en 1942, 1943 et jusqu’en avril 1944, Fernand Dehousse, accompagné ou non de son compère Englebert, est en contact avec le « gestapiste » Karl Nossent alors que ce dernier traque la résistance liégeoise. Or Nossent, qui s’avéra lors de son procès un redoutable expert en manipulation, se montre, à ce moment du conflit, désireux de s’assurer la neutralisation de la gauche modérée liégeoise, la Wehrmacht étant fort occupée avec les communistes et le Front de l’Indépendance. S’il semble acquis que dans ses relations avec le personnage, Fernand Dehousse se soit montré prudent, se faisant par ailleurs « couvrir » par Joseph Leclercq, responsable du P.S.B. clandestin, ce n’a pas été le cas du notaire Englebert, qui a dû rendre des comptes à la Libération. Toujours est-il que ces relations avec un Karl Nossent étaient pour le moins inopportunes et dangereuses. Elles ont d’ailleurs failli coûter cher à Fernand Dehousse dans l’immédiat après-guerre, alors que celui-ci a repris une carrière académique avec le soutien du Parti Socialiste en général et de Paul-Henri Spaak en particulier. En effet, en pleine « Question royale », la conservatrice Libre Belgique s’en est prise au juriste liégeois le 25 juin 1950, criant au scandale de voir un homme représenter la  Belgique au plus haut et notamment à San Francisco alors qu’une « instruction judiciaire » a été ouverte à son encontre pour « intelligence avec l’ennemi » depuis quelques années. Fort heureusement pour lui, l’affaire s’est assez rapidement dégonflée et la Justice a rendu une sentence de non-lieu en sa faveur le 12 août 1950, estimant que s’il a bien été imprudent de sa part de fréquenter un Karl Nossent, on ne peut l’accuser d’avoir « livré des informations de nature à favoriser la politique de l’ennemi à l’égard de la Belgique ». Somme toute, en jetant le pavé Dehousse dans le marigot politique, le quotidien léopoldiste vise surtout à décrédibiliser Spaak et le Parti socialiste accusés d’être responsables de la promotion d’un quasi-traître dans les instances internationales, dans un moment de très vives tensions liées au contexte de dénouement de la « Question royale ». Le scandale s’est vite dégonflé. Fernand Dehousse a ensuite mené une carrière publique en vue, accumulant les titres et les distinctions honorifiques, officiant comme sénateur et comme ministre, sans jamais abandonner ses idéaux fédéralistes qu’il a défendu avec force tantôt au « Congrès national wallon » de Liège, en octobre 1945, tantôt au premier congrès du Mouvement Populaire Wallon, en novembre 1961.

Il s’est éteint le 11 août 1976, peu avant d’accéder à l’éméritat. 

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Institution : KBR
Légende d'origine : La Wallonie, 4 juillet 1947, p. 2.

Bibliographie

Philippe CARLIER, Fernand Dehousse, dans Nouvelle Biographie Nationale, Tome III, 1994, pp. 114-117, https://www.academieroyale.be/....

Philippe CARLIER, "Fernand Dehousse" dans Encyclopédie du Mouvement wallon (sous la direction de Paul Delforge, Philippe Destatte et Micheline Libon), Charleroi, Institut Jules Destrée, tome 1, 2000, pp. 420-423.

Eddy DE BRUYNE, Entre Collaboration et Kollaboration. Particularismes, reflets et aspects en région liégeoise et ailleurs, Liège Les Editions de la Province de Liège, 2017.


Voir aussi

130346-liAge.jpg Articles Liège Colignon Alain
27948.jpg Articles Résistance Maerten Fabrice
Pour citer cette page
Dehousse Fernand
Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/dehousse-fernand.html