Belgique en guerre / Personnalités

Ouwerx Paul

Thème - Collaboration

Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)

Né à Kemel (prov. de Flandre-orientale) le 14 novembre 1894 et établi de longue date dans la petiteville brabançonne de Tirlemont, le docteur Paul Trudon Jean Ouwerx effectue, jusqu’en 1935-1936, un parcours somme toute banal. Notable francophone bien-pensant, il vit dans une petite ville flamande proche de la frontière linguistique. Fils d’un ingénieur, il a effectué ses études secondaires dans un collège catholique francophone avant d’entamer des études de médecine à l’Université catholique de Louvain. Ses études sont interrompues par la guerre. En octobre 1915, il rejoint l’armée belge en passant par les Pays-Bas. Une attitude au feu honorable lui vaut de conquérir rapidement le grade de sous-lieutenant. Il obtient la croix de guerre et est affecté à l’hôpital militaire d’Hoogstade à partir d’avril 1918 où il reste jusqu’à l’Armistice. Dans l’intervalle, il a pris goût au métier des armes, et contrairement à tant d’autres, il décide de « rempiler » une fois la paix rétablie, finissant par devenir capitaine-commandant et médecin militaire dans l’aéronautique belge. 

De l’anti-maçonnisme des années trente….

Les choses changent à partir de 1935. Son caractère entier s’ajoutant à une foi chrétienne pointue donnent lieu à des heurts de plus en plus fréquents avec sa hiérarchie à l’heure le libéral Albert Devèze est ministre de la Défense nationale. La situation dégénère et Ouwerx est licencié début1936. L’appartenance de Devèze aux plus hauts grades de la franc-maçonnerie étant de notoriété publique, notre homme, encouragé par ses amis politiques et notamment par un certain Léopold Flament, change alors de registre : il attribue ses mécomptes à des intrigues de l’Ordre, fait de Devèze sa « bête noire ». Tout en conservant sa profession de médecin, il entame une carrière de pamphlétaire. En 1937, il devient chef du Volksfront Rex-Leuven. Durant les années qui suivent, sa plume acérée s’applique à dénoncer inlassablement l’étatisation rampante du corps médical ourdie par les « marxistes » du gouvernement d’Union nationale via le tout récent ministère de la Santé publique (premier titulaire : Emile Vandervelde !) . Sans surprise, il s’en prend également à l’appartenance maçonnique de politiciens libéraux et socialistes, tout en réglant ses comptes avec ceux qui ont, selon lui, brisé sa carrière militaire. On lui doit plusieurs brochures au titre évocateur : Médecine libérale, médecine étatiste, médecine libre (1937), L’étatisation de la médecine contre la santé publique (1938), A qui, à quoi sert notre cinquième arme ? Les intrigues maçonniques à l’aviation militaire (1938), Trois impostures : le scandale Imianitoff, la Franc-Maçonnerie, la bolchevisation de la médecine (1939), Les cagoulards démasqués. Répertoire des Francs-Maçons belges (1939), Les précurseurs du communisme. La Franc-Maçonnerie peinte par elle-même (1940). Son compère Léopold Flament, qui le soutient volontiers dans ses obsessions, s’est associé à la rédaction des trois dernières brochures. Les deux hommes se retrouvent également en avril 1939 dans le lancement du périodique Lion Belgique voué à la défense et à l’illustration de nos gloires nationales, coloniales, économiques et autres. Mais Paul Ouwerx n’est pas qu’un polémiste d’extrême droite sans influence…De concert avec Léopold Flament et le rexiste Charles Gillis de Sart-Tilman, il alimente de janvier à mai 1938 en indiscrétions et en ragots une campagne antimaçonnique conduite par la très conservatrice mais très diffusée Libre Belgique, livrant aux lecteurs les noms de plus de 600 « frères ». Mieux, fin 1938-début 1939, dans la revue corporative La Profession, il dénonce publiquement les escroqueries morales du Dr Frédéric Imianitoff, un juif anversois d’origine russe, grand partisan de la médecine sociale, conseiller occulte du ministre socialiste Achille Delattre et héros usurpé de la « Grande Guerre ». La presse de droite et d’extrême droite en fait ses choux gras, et le gouvernement Spaak en vacille sur ses bases, tandis que la carrière ministérielle du « naïf Delattre » est brisée.

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Aux dénonciations à l’heure de l’occupation

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Le Rempart, décembre 1941/janvier 1942.

Lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, Ouwerx a une réputation bien établie de croisé de l’antimaçonnerie. Dès l’été 1940, sitôt démobilisé, il répond positivement aux appels du pied de la Section II de la Sipo-SD, vouée à la lutte contre les Juifs, les Eglises et les sociétés secrètes. Après avoir essayé vainement de s’associer à la Légion Nationale de Paul Hoornaert, il se place dans la mouvance du Mouvement rexiste pour fonder avec quelques amis, dès septembre 1940, la Ligue anti-maçonnique belge « L’Epuration—De Bezem ». Il en devient le président et Flament le secrétaire général. La Ligue s’installe dans les locaux d’une loge maçonnique de Bruxelles réquisitionnée par la Militärverwaltung. Elle dispose de deux mensuels de combat (Le Rempart et De Burcht). Grâce à l’appui de l’occupant, la Ligue réussit à mettre sur pied une exposition anti-maçonnique. Présentée d’abord à Bruxelles en février 1941, elle circule ensuite dans les principales villes, recueillant de coquets bénéfices dans la mesure où elle rencontre un certain succès dans le grand public. Mais ce relatif succès est bien le seul. Qui plus est, une partie des bénéfices sont détournés par Flament vers son compte personnel. Ouwerx n’a d’autre choix que de l’exclure des rangs de la Ligue, ce qui lui vaut d’interminables polémiques ainsi qu’une contre-publicité fâcheuse dans le petit monde collaborationniste. En outre, en butte à la concurrence d’un autre groupe qui chasse à peu près sur les mêmes terres ( la « Défense du Peuple » de René Lambrichts) et plus globalement victime de l’indifférence ou de l’hostilité de l’opinion, la Ligue anti-maçonnique recrute mal et peu : à peine 300 adhérents fin 1941, au mieux de sa forme. Le caractère volontiers querelleur d’Ouwerx n’arrange rien. Il se brouille en outre avec la direction de Rex, qu’il soupçonne de vouloir annexer son mouvement et de le reléguer à des tâches figuratives. Bientôt ses activités se limitent à la diffusion de son bulletin ainsi qu’à l’organisation de quelques conférences… où le public ne se bouscule guère. La Ligue périclite. A l’été 1943, on peut la considérer comme morte. Mais dans l’intervalle, poussé par sa manie de constituer des fiches sur toutes les personnes qu’il soupçonne d’appartenir à l’Ordre qu’il exècre, Ouwerx a eu l’occasion de transmettre quantité de noms à la presse collaborationniste à commencer par l’hebdomadaire Cassandre, de Paul Colin. Les personnes ainsi dénoncées se retrouvent fatalement exposées à la vindicte des plus excités des militants rexistes. Aux dernières heures de l’occupation, ces derniers n’hésiteront pas à s’en prendre de manière violente et à frapper à mort plusieurs dignitaires de la franc-maçonnerie en puisant dans les listes concoctées et transmises par Ouwerx…

Sans surprise, Ouwerx est arrêté à la Libération. Il décède en prison de mort naturelle le 13 juin 1946 dans l’attente de son procès.


Bibliographie

Balace Francis, Petite bourgeoisie, frustrations sociales et antimaçonnisme, dans Laïcité et classes sociales 1789-1945. En hommage à John Bartier (sous la dir. d’André Miroir), Bruxelles, Espace de Libertés, 1992, pp. 235-262.

Cheppe Nadine, Les activités antimaçonniques en Belgique sous l’Occupation, Liège, ULg, 1988 (Mémoire de licence).

De Bruyne Eddy, Encyclopédie de l’Occupation, de la Collaboration et de l’Ordre Nouveau en Belgique francophone (1940-1945), La Roche-en-Ardenne, Segnia, 2016.

Dohet Julien, Le temps de la délation, Aide mémoire n°72, avril-mai-juin 2015, https://territoires-memoire.be...

Koppen Jimmy, Davidster en Passer. Judeo-maçonnieke samenzweringstheorieën in België tijdens het Interbellum en de Tweede Wereldoorlog, Bruxelles, V.U.B., Année Académique 1998-1999.

Schreibber Jean-Philippe, Antisémitisme et anti-maçonnisme : l’affaire Imianitoff, dans Les courants antimaçonniques hier et aujourd’hui (Sous la dir. d’Alain Dierkens), Bruxelles, Editions de l’U.L.B., 4/1993, pp. 57-75. 

Pour citer cette page
Ouwerx Paul
Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/ouwerx-paul.html