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Assurance chômage pendant la Seconde Guerre mondiale (l')

Thème - Occupation

Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)

L’organisation de l’assurance chômage a subi un changement fondamental pendant la Seconde Guerre mondiale. Alors qu’avant 1940, les syndicats jouaient un rôle central dans le système, ce sont les communes qui en sont chargées pendant le conflit, l’indemnisation des chômeurs étant intégrée à l’aide sociale. Toutefois, cette situation s’est avérée temporaire. Comme le prévoyait le Pacte social d'avril 1944, l’assurance chômage a été intégrée à la sécurité sociale dès l’année suivante. Lors de la mise en œuvre de cette sécurité sociale, les syndicats ont retrouvé leur rôle central dans le système et l’assurance chômage, désormais obligatoire, a été séparée de l’aide sociale.

L’assurance chômage dans l’entre-deux-guerres

Les origines de l’assurance chômage remontent à la fin du 19e siècle. C’est à cette époque que les syndicats ont commencé à proposer ce système à leurs membres. Dans certaines villes, comme Gand et Liège, ces fonds ont été subventionnés par les autorités communales, leur assurant une assise financière plus solide. Pendant la Première Guerre mondiale – une période de chômage massif –, le Comité National de Secours et d’Alimentation a repris l’aide aux chômeurs, dans une philosophie plus conservatrice et restrictive tout en réduisant les prestations. 

Après la Première Guerre mondiale, on est revenu au système qui existait avant 1914, avec un rôle central dévolu aux syndicats. Les caisses de chômage (outre celles des syndicats, il en existait d’autres, mais elles étaient beaucoup moins nombreuses) ont également été cofinancées au niveau national à partir de 1920 par le Fonds national de crise, après la décision du gouvernement d’accorder des fonds pour renflouer les caisses de chômage au lendemain immédiat de la Première Guerre mondiale.

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Institution : Amsab
Droits d'auteur : Titulaire(s) des droits impossible(s) à localiser ou à identifier
Légende d'origine : Chômeurs devant le bureau de pointage et de recrutement, 1 septembre 1936

L’assurance chômage se faisait sur une base volontaire, financée par les travailleurs et l'Etat. Dans les années 1930, dans le contexte du chômage de masse de l’époque, des initiatives politiques ont été prises pour rendre l’assurance chômage obligatoire, mais elles n’ont pas abouti avant 1940.

Le chômage de masse des années trente a également servi de toile de fond à la rationalisation des services de l’Emploi. Ceux-ci étaient auparavant organisés en Bourses du travail, officielles, où les chômeurs devaient s’inscrire, et libre, beaucoup plus importantes et souvent liées aux organisations syndicales. Le 27 juillet 1935 est créé l’Office national du Placement et du Chômage (ONPC) qui chapeaute les services locaux de l’emploi et du chômage créés l’année précédente. Si l’ONPC est une agence gouvernementale, il laisse encore de la place aux Bourses du travail libres qui peuvent être reconnues et subventionnées par l’Office, même si elles ont de plus en plus de difficultés à subsister.

De l’assurance chômage au soutien aux chômeurs

L’assurance chômage telle qu’elle existait à la veille de la Seconde Guerre mondiale va être mise à mal pendant l’occupation. Les caisses de chômage des syndicats ayant cessé leurs paiements suite à l’invasion, un certain nombre de responsables ayant fui et les syndicats n’ayant plus été autorisés à poursuivre leurs activités, les fondements du système ont disparu. Une alternative s’impose car le chômage est extrêmement élevé au début de l’occupation. Au cours de l’été 1940, 500 000 personnes sont sans travail (27 % de la population active). L’aide aux chômeurs devient une mission des autorités locales, plus précisément des Commissions d’Assistance publique (CAP ; les prédécesseurs des CPAS) et entre ainsi dans le domaine de la bienfaisance et de l’aide sociale. C’est ce qui ressort du titre de l’arrêté du 29 juin 1940 qui introduit cette nouvelle aide aux chômeurs par un « Arrêté relatif à l’allocation de secours aux personnes en état de besoin ». Ce texte met sur un pied d’égalité les chômeurs et les personnes en état de besoin et supprime la distinction entre l’assurance contre un risque social, d’une part, et l’assistance, d’autre part. La présentation quelque peu sibylline et laconique de l’arrêté semble indiquer qu’il s’agit d’une alternative à l’assurance chômage : « Considérant qu’en raison des circonstances il convient d’accorder un secours à toute personne ou à tout ménage se trouvant dans le besoin et, notamment à ceux qui sont privés des allocations et indemnités de toute nature qui leur étaient payées antérieurement et dont la charge était supportée en tout ou en partie par les pouvoirs publics ». Il s’agit là d’une référence implicite aux caisses de chômage (syndicales) subventionnées par l’État avant la guerre. La centralité de « l’état de besoin » (« toute personne ou tout ménage se trouvant dans le besoin ») a une signification politique. Dans l’entre-deux-guerres, l’aide aux chômeurs fonctionnait comme une police d’assurance, basée sur le principe que quiconque avait payé une prime pendant une période déterminée par le règlement de la caisse de chômage avait droit à des prestations. Dans les années trente, dans le cadre de la réduction des dépenses publiques liée à la politique de déflation, l’état de besoin est devenu une condition pour avoir droit aux prestations au-delà de la période dite légale (période couverte par la caisse de chômage et la prime versée). La définition de cet « état de besoin » a été systématiquement renforcée. Avec le système introduit en 1940, l’état de besoin est devenu une condition générale d’ouverture des droits et le principe d’assurance a disparu. Les indemnités ont toutefois été légèrement augmentées.

Vooruit
Institution : KBR
Collection : BelgicaPress
Légende d'origine : Vooruit, 7 juillet 1940, page 1

Aide aux chômeurs et placement

L’arrêté du 29 juin 1940 instaure un régime national, mais les autorités locales sont chargées de l’exécution et du paiement des indemnités. L’arrêté détermine le montant et les modalités de l’aide pour l’ensemble du pays. Pour la mise en œuvre, l’ONPC se voit confier un rôle important. L’intitulé même de l’institution est d’ailleurs modifié, s’appelant désormais l’Office national du Placement et du Contrôle. L’assistance chômage dépendait de l’« état de besoin » du chômeur ou, en d’autres termes, de son manque de moyens de subsistance. Le rôle des CAP en tant que payeurs est confirmé, mais le financement doit être supporté à 75 % par les autorités nationales. L’ONPC doit contrôler l’utilisation de ces fonds et l’état de besoin des chômeurs indemnisés. Le bourgmestre peut obliger les chômeurs indemnisés à travailler deux jours par semaine à des travaux d’utilité publique tels que l’entretien des espaces verts ou l’aide au déblaiement des dommages de guerre. Plutôt que de verser des allocations de chômage, la priorité est de remettre les chômeurs au travail. Dans ce contexte, la création du Commissariat général à la restauration du pays est significative. Cette institution est chargée non seulement de reconstruire les infrastructures endommagées, ce qui nécessite une main-d’œuvre abondante, mais aussi de relancer l’activité économique en général, ce qui doit permettre de résorber le chômage. Ce qui advient d’ailleurs assez rapidement : à la fin de l’année 1940, il ne reste que 219 000 chômeurs. Au cours de cette période, les forces d’occupation lancent également des campagnes de promotion du travail en Allemagne. Les chômeurs indemnisés restants font de plus en plus l’objet de mesures coercitives de la part de l’occupant : non seulement le chômage n’est pas toléré dans l’idéologie nazie, mais l’occupant a besoin de main-d’œuvre pour son économie de guerre. En janvier 1941, l’officier allemand compétent demande à l’Office national du Travail (successeur de l’ONPC) de prendre des mesures contre les « récalcitrants ». Les critères sont établis de façon telle que les travailleurs célibataires non qualifiés sont considérés comme des « récalcitrants ». Pour les sortir du chômage, des programmes d’emploi spécifiques sont mis en place. Ils impliquent un travail pénible et insalubre à des salaires inférieurs au salaire normal et ne respectant pas pleinement la législation sociale. 

nr. 274329
Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Propaganda pour le travail en Allemagne, 1940-1945
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Institution : Cegesoma (Archives de l'Etat)
Collection : SOMA CA 84
Légende d'origine : Propagande pour le travail volontaire en Allemagne dans les rues de Bruxelles, Bruxelles, 30 mars 1942

L’assurance chômage est intégrée à la sécurité sociale

Le Pacte social adopté dans la clandestinité en avril 1944 prévoit un système de sécurité sociale obligatoire, revenant explicitement à la logique d’assurance d’avant-guerre en proposant qu’immédiatement après la Libération, les secours aux chômeurs soient séparés de l’aide sociale, les rendant indépendants des Comimission d’assistance publique et les transférant à un fonds provisoire de soutien aux chômeurs, sous contrôle paritaire. La philosophie est de revenir au système qui existait avant la guerre : les personnes connues comme affiliées à une caisse de chômage entre le 1er janvier 1938 et le 10 mai 1940, ou comme salariées pendant au moins trois ans entre le 1er janvier 1935 et le 10 mai 1940, et ayant payé les cotisations prévues par la législation sur les pensions de vieillesse ont droit à des allocations de chômage. En fait, cette approche assouplit le système qui existait avant 1940 : même ceux qui n’étaient pas affiliés à une caisse de chômage et n’avaient pas cotisé, mais qui étaient en règle avec les cotisations de retraite (une assurance sociale obligatoire dès les années vingt) peuvent prétendre à des allocations de chômage. Par cette mesure, les rédacteurs du Pacte social ne marquent pas seulement leur volonté de se démarquer de l’amalgame entre le chômage et l’assistance aux pauvres apparu pendant l’occupation. Cette mesure est déjà un prélude à l’arrêté-loi du 28 décembre 1944. Avec ce texte, l’assurance chômage devient une assurance obligatoire dans le cadre de la sécurité sociale. Cette sécurité sociale est désormais obligatoire pour tous les travailleurs, y compris l’assurance chômage. La sécurité sociale étant financée par les cotisations des travailleurs et des employeurs, ces derniers doivent désormais cofinancer l’assurance chômage. En ce qui concerne son fonctionnement, les syndicats peuvent continuer à verser des allocations de chômage comme avant le conflit.

Ainsi, le régime de la Seconde Guerre mondiale prévoyant que seuls les CAP étaient responsables des chômeurs ne sera finalement qu’une parenthèse dans l’histoire de l’assurance chômage. Le seul pouvoir conservé par le niveau communal est le contrôle du pointage, qui permet d’éviter les fraudes. Les chômeurs doivent désormais se présenter chaque jour, à une heure différente, munis d’une carte sur laquelle un fonctionnaire communal appose un cachet. Ce « pointage communal » ne sera supprimé que le 15 décembre 2005.

Bibliographie

« Arrêté relatif à l’allocation de secours aux personnes en état de besoin », Moniteur belge, 30/06/1940, p. 37-43.

Florence Loriaux (dir.), Le chômeur suspect. Histoire d’une stigmatisation, Bruxelles, CRISP, CARHOP, 2015.

« Un projet d’accord de Solidarité sociale » in Revue du Travail, janvier-mars 1945, p. 10-21.

Guy Vanthemsche, Le chômage en Belgique de 1929 à 1940. Son histoire, son actualité, Bruxelles, Labor, 1994.

Pour en savoir plus

verordnungsblatt-titre.png Articles 6 mars 1942. Le travail obligatoire, première phase Kesteloot Chantal
4779.jpg Articles 6 octobre 1942. Travail obligatoire, deuxième phase Luyten Dirk
Pour citer cette page
Assurance chômage pendant la Seconde Guerre mondiale (l')
Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)
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