Le 6 mars 1942, une ordonnance allemande instaure le travail obligatoire en Belgique occupée. Tous les Belges sont susceptibles d’être touchés par cette mesure, qu’ils travaillent dans les entreprises privées ou dans l’administration. La formulation de l’ordonnance reste vague : tant les hommes que les femmes sont susceptibles d’être touchés par la mesure. Si le contexte militaire explique le besoin de main-d’œuvre, il s’agit aussi d’intégrer le plus possible l’économie belge dans l’économie de guerre nazie. C’est dès l’été 1940 que l’occupant s’est particulièrement intéressé à cette question. Au fil du temps, il va se montrer de plus en plus pressant et proactif.
Du travail volontaire au travail obligatoire
Initialement, la politique de l’occupant s’est focalisée sur le travail volontaire en Allemagne. Compte tenu du chômage important, l’objectif était d’attirer, au prix d’une habile propagande, des travailleurs outre-Rhin. Au total, quelque 200.000 Belges sont partis y travailler entre juin 1940 et septembre 1942, un chiffre bien en-deçà des attentes de l’occupant. À partir de 1941 et l’ouverture d’un deuxième front à l’est, les Allemands jettent peu à peu les bases d’une politique visant à accroître leur potentiel de guerre et à exploiter le plus possible la main-d’œuvre belge. Le collège des secrétaires généraux tente cependant de freiner le plus possible toute immixtion de l’occupant en ce domaine.
Le 7 mars 1942, le Verordnungsblatt publie une ordonnance, datée de la veille, « en vue d’assurer la demande de travailleurs pour les travaux d’une importance spéciale ». Signée par le commandant militaire pour la Belgique et le Nord de la France, elle compte sept paragraphes, allant du « service de travail obligatoire » aux changements d’emploi en passant par les sanctions et le rôle des Feld- et Oberfeldkommandanturen. L’objectif est de couvrir le manque de main-d’œuvre qui se fait sentir dans certains secteurs en y appelant les nombreux travailleurs sans emploi. L’occupant s’abrite également derrière l’argument d’une « rationalisation » de la main-d’œuvre. Mais son objectif est clairement la mise au travail dans des secteurs industriels qui servent les intérêts nazis.
Protestation des secrétaires généraux
Cette mesure suscite d’emblée la protestation de Charles Verwilghen, secrétaire général du Travail et de la Prévoyance sociale, bientôt relayée par celle du collège des secrétaires généraux réuni le 13 mars 1942. Ces derniers adressent une lettre de protestation à l’occupant. Ils rappellent que la disposition est contraire à l’article 43 de la Convention de La Haye, qu’elle est en contradiction avec l’autonomie conférée aux secrétaires généraux à l’été 1940 et contraire à la liberté individuelle garantie par la Constitution. Mais surtout, la mesure signifie la mise sous la coupe allemande, par le truchement des Feld- et Oberfeldkommandanturen, de la politique de l’emploi.
Dans un premier temps, l’occupant temporise, prétendant que l’ordonnance ne sera appliquée qu’avec « modération », qu’elle aura surtout pour cible des « asociaux » et autres professionnels du chômage et ne concernera que les travailleurs manuels. Son attitude peut être considérée comme un jeu de dupes puisqu’il assure également que cette mesure n’est en rien le prélude à l’instauration du travail obligatoire en Allemagne, que les travailleurs concernés ne seraient pas mis au travail en France et qu’ils ne seraient pas employés à des activités de nature militaire. Autant de promesses qui seront trahies…
Verwilghen préfère pour sa part démissionner, dès le 20 mars 1942, refusant que l’Office national de l’Emploi – par le biais des Offices du Travail – obtempère aux injonctions allemandes. Il n’est pas le seul à prendre position : Alexandre Galopin, gouverneur de la Société générale, à l’origine de la doctrine qui porte son nom, fait savoir à l’occupant qu’il y a des limites à la « politique du moindre mal ». Les différents successeurs de Verwilghen – au nombre de cinq – seront, eux aussi, confrontés à cette question de l’autonomie de l’Office national de l’Emploi, une situation d’autant plus délicate que cette instance est dirigée par Frits-Jan Hendriks, par ailleurs membre du VNV et donc proche de l’occupant.
Durcissement
Au fil des mois, l’occupant passe outre les assurances initiales. Des travailleurs belges sont ainsi mis au travail dans le Nord de la France. Si la mesure est utilisée comme une forme de répression, ciblant en priorité des asociaux et des trafiquants, sa portée dépasse ce seul groupe. Parmi les entreprises qui en bénéficient figure la Deutsche Waffen- und Munitionsfabriken, en d’autres termes la Fabrique Nationale d’Armes de Herstal, passée sous contrôle allemand.
Outre l’imposition du travail obligatoire, d’autres mesures sont adoptées. Les mineurs ne peuvent désormais plus mettre fin librement à leur contrat de travail. Par la suite, ils sont également tenus de travailler un dimanche ou un jour férié par mois, une mesure qui ira jusqu’à susciter la protestation du cardinal Van Roey. Le 30 avril 1942, une nouvelle ordonnance précise les modalités d’exécution du travail obligatoire. Elle impose notamment aux chefs d’entreprise la remise de listes complètes de leur personnel. Dans les faits, nombre d’entre elles rechigneront à transmettre les informations souhaitées.
Le 7 mai 1942, une nouvelle étape est franchie. Il est désormais interdit aux Commissions d’Assistance publique de payer des indemnités aux chômeurs capables de travailler. Bref, l’interventionnisme de l’occupant ne cesse de croître. Le 8 mai 1942, tous les Juifs enregistrés sont mis au travail, sans possibilité de refus, dans la construction d’ouvrages de défense du Mur de l’Atlantique. La mesure s’inscrit à la fois dans la continuité des mesures qui touchent les Juifs depuis l’automne 1940 et dans le flux des dispositions relatives au travail obligatoire. Ils sont en outre exclus du bénéfice de nombreux droits, notamment la suppression des indemnités en cas de maladie et des congés payés…
Un bilan chiffré ?
On estime à plus de 300.000 le nombre de travailleurs touchés par des mesures de placement à l’initiative de l’occupant. Parmi eux, on compte près de 10 % de femmes. Sur le plan sectoriel, une majorité des placements se font dans les secteurs du transport, de la construction, de la métallurgie et des mines. Les femmes se retrouvent, quant à elles, majoritairement dans le secteur du personnel domestique, dans le secteur textile ou encore dans le secteur agricole ainsi que dans l’alimentation.
Six mois plus tard, le 6 octobre 1942, une nouvelle ordonnance allemande introduit le travail obligatoire en Allemagne et non plus seulement en Belgique occupée.
Bibliographie
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De verplichte tewerkstelling in Duitschland 1942-1945. Le travail obligatoire en Allemagne, Actes du symposium tenu à Bruxelles les 6 et 7 octobre 1992/Acta van het symposium gehouden te Brussel op 6 en 7 oktober 1992, Bruxelles/Brussel, CREHSGM/NSWO II, 1993
Van den Wijngaert, Mark, Les secrétaires généraux et la mise au travail obligatoire (1940-1944), Cahiers d'Histoire de la Seconde Guerre mondiale, I, 1970, 1, pp. 7-23.
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