Belgique en guerre / Articles

Répression en chiffres : dossiers, condamnés et sanctionnés

Thème - Collaboration - Justice

Auteur : Aerts Koen (Institution : Chargé de cours en histoire à l'Université de Gand et chercheur au CegeSoma/Archives de l'Etat )

Pas de chiffres sans interprétation, pas d’interprétation sans chiffres

Il existe de nombreux chiffres sur la répression d’Etat. Souvent, les publications empruntent leurs chiffres les unes aux autres, sans tenir compte de la terminologie de départ et des nuances présentes dans les sources originales. De plus, les rectifications apportées par les recherches récentes pénètrent difficilement dans la conscience historique. Les chiffres permettent de visualiser et de quantifier les choses. Faute de contexte précis et d’interprétation adéquate, ils perdent cependant toute valeur probante, voire même déforment la réalité. Dans les enchevêtrements juridiques de la répression d’Etat, il importe d’être particulièrement prudent et d’employer des chiffres exacts, des termes corrects et la signification précise. 

405493 dossiers

405 493. C’est le nombre de dossiers ouverts pour collaboration. Cela représente environ 4 à 5% de la population de la Belgique, soit environ 8.500.000 habitants. Pourtant ce chiffre ne dit rien quant à l’ampleur de la répression d’Etat. A titre de comparaison, au cours de la même période, la justice ouvre chaque année plus de 400 000 dossiers de droit commun, pour des faits qui, en d’autres termes, n’ont rien à voir avec la guerre. Le nombre de dossiers pour collaboration, en revanche, résulte d’une accumulation de plaintes réparties sur cinq années de guerre. Cela ne dit encore rien de l’impact réel de la répression. La moindre plainte, même anonyme, est enregistrée par le parquet. Certaines personnes se retrouvent en outre dans plusieurs dossiers, surtout si, durant l’occupation, elles ont été actives dans différents arrondissements.

En outre, de nombreux dossiers sont ouverts contre inconnus, notamment lorsqu’il s’agit de dénonciations. Bref, le nombre de dossiers enregistrés ne correspond pas au nombre de personnes suspectes. De plus, ces dernières ne constituent pas le même groupe que le nombre de personnes condamnées ou sanctionnées. Plus encore, dans la majorité des cas, elles ne font même pas l’objet d’une enquête. Elles ne sont pas inquiétées et ignorent l’existence d’un dossier à leur nom.

Dans 71 % des cas, le dossier est classé sans suite. Il y a peu ou pas de preuves, elles portent sur des personnes inconnues, il s'agit de fausses allégations ou il a simplement été décidé de ne pas engager de poursuites parce que les faits mentionnés ne sont pas punissables. 58 784 cas concernent le travail volontaire pour l’occupant. Bien que cet engagement réponde en principe aux critères de poursuite pour collaboration économique selon l'article 115, l'Auditeur général décide, dès octobre 1944, de classer ces dossiers sans suite.

Sur les 29 % restants, 15 % font l'objet d'une enquête, mais le verdict est qu'il n'y a pas suffisamment d'éléments pour un procès devant un tribunal. En d'autres termes, leurs cas débouchent sur un non-lieu. En définitive, seuls les 14 % des cas restants sont effectivement poursuivis devant les tribunaux militaires.

 

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Institution : AGR 2
Légende d'origine : Vonnissen Krijgsraad Gent

53.005 condamnés

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Institution : AGR 2
Légende d'origine : Krijgsraad Hasselt Vonnissen

53 005. Ce comptage au 31 décembre 1949 constitue la meilleure évaluation du nombre de condamnes pour collaboration. A ce moment, 193 dossiers sont encore en cours de traitement et on compte encore au moins 492 condamnations jusqu’en 1959. Par la suite, ce nombre augmentera encore de manière infime. Certains chiffres confondent néanmoins condamnations individuelles et dossiers ou oublient qu’une même personne peut être condamnée plusieurs fois par différents conseils de guerre, dans des affaires distinctes et sur la base d’autres faits. Les totaux connus se situent, en tous les cas, entre 52 500 et 55000 personnes condamnées. Au moins 1 500 dossiers concernent des étrangers et non des Belges. Les tribunaux militaires se prononcent en outre sur un plus grand nombre d’inculpés qu’ils n’en condamnent. Le 31 décembre 1949, le nombre total d’inculpés est de 58 140 individus. Pour 4736 personnes, les poursuites débouchent sur un acquittement et, pour 399 autres, sur un internement psychiatrique. Le nombre de condamnés n’est pas le même que le nombre de personnes punies. 

100.000 personnes sanctionnées

La sanction par les tribunaux militaires n'est qu'une facette de la répression. En fin de compte, la répression tiendra environ 100 000 personnes pour directement responsables de la collaboration avec l'ennemi et les punira d'une manière ou d'une autre, si ce n'est pas par la voie des tribunaux, mais par l’inscription sur les listes des auditeurs militaires et le fonctionnement des administrations. Sur la population de 1944, cela représente environ 1,20 %. S'il est vrai que les condamnations représentent un peu plus de la moitié du nombre de personnes sanctionnées, il existe également des sanctions alternatives et des mécanismes d'exclusion qui touchent tout autant ceux qui ne sont pas condamnés.

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Institution : AGR 2
Légende d'origine : Archives de la répression

Bibliographie

Aerts, Koen, Dirk Luyten, Bart Willems, et Paul Drossens, Papy était-il un nazi? Sur les traces d’un passé de guerre. Bruxelles :Racine, 2017.

Voir aussi

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Pour citer cette page
Répression en chiffres : dossiers, condamnés et sanctionnés
Auteur : Aerts Koen (Institution : Chargé de cours en histoire à l'Université de Gand et chercheur au CegeSoma/Archives de l'Etat )
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