Belgique en guerre / Personnalités

Bekaert Léon

Thème - Occupation

Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)

Léon Bekaert

Pendant l'occupation, la Belgique est administrée par le Comité des secrétaires généraux en vertu de l’arrêté-loi du 10 mai 1940. Cela permet à l'administration belge de continuer à fonctionner et d'éviter un vide administratif au niveau national, comme cela a été le cas pendant la Première Guerre mondiale. Le comité des secrétaires généraux n’est cependant pas un gouvernement à part entière, habilité à prendre des décisions de grande ampleur. Les secrétaires généraux n'ont reçu qu'une délégation de pouvoir pour agir en tant que représentant de leur ministre. En juillet 1940, cependant, une réforme majeure du comité semble à l'ordre du jour. Cette réforme attribue un rôle central à Léon Bekaert, un industriel de Courtrai au profil flamand et catholique plutôt orienté à droite.

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Institution : CegeSoma
Légende d'origine : Non légendée

Qui était Léon Bekaert ?

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Collection : Hommage à Léon Bekaert, FIB, , s.d.
Droits d'auteur : Droits réservés
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Léon Antoine Bekaert est né en 1891 à Zwevegem, près de Courtrai, où il est décédé 70 ans plus tard. Depuis 1880, sa famille y produit du fil de fer barbelé. Au départ, l'entreprise vit principalement du marché agricole : outre le fil de fer barbelé, elle fabrique différents types de fil pour clôturer les champs et les prairies. L'entreprise s'est développée et a élargi sa gamme à d'autres produits en fil de fer, tels les ressorts de matelas. En 1924, l'entreprise devient une société anonyme, mais reste entre les mains de la famille. Léon Bekaert étudie le droit à Namur et à Louvain. Mais après le décès de son père, il devient directeur de l'entreprise avec ses deux beaux-frères. Ses efforts portent notamment sur l'expansion à l'étranger, avec la création, en 1933, d'une usine en Grande-Bretagne pour échapper au protectionnisme.

Dans les années 1920 et 1930, Bekaert se profile comme un leader patronal catholique. Outre l'organisation patronale centrale, le Comité central industriel, il existe des groupes de pression patronaux avec un profil idéologique, tels que le (Landelijk) Algemeen Christelijk Verbond van Werkgevers (LACVW). Cette organisation est principalement active à Anvers et en Flandre occidentale. Léon Bekaert a fondé la section de Flandre occidentale. De 1935 à 1951, il a présidé la LACVW. Entre 1935 et 1938, Bekaert est également membre de la Commission bancaire, une nouvelle instance. A partir de 1938, il est régent de la Banque nationale, faisant ainsi son chemin dans le monde bruxellois de la finance.

En ce qui concerne ses opinions sociales, Bekaert se profile comme un patron catholique social dans la ligne des encycliques Rerum Novarum (1891) et Quadragesimo Anno (1931). Cette dernière encyclique a mis en avant le corporatisme comme réponse à la Grande Dépression des années 1930. Dans les années 1930, la LACVW a porté le modèle corporatiste. Au départ, celui-ci est nettement autoritaire et s'inspire du fascisme italien, mais vers la fin des années 1930, la ACLVW a évolué vers une forme de corporatisme compatible avec le régime parlementaire et visant à coopérer avec les syndicats, tout en limitant sensiblement le droit de grève. Bekaert n'a pas joué de rôle très important dans ce débat idéologique.

Par ailleurs, Bekaert est politiquement actif, mais pas au premier plan. De 1927 à 1961, il est bourgmestre de Zwevegem. À la fin des années 1930, il édite De Courant, le quotidien de l'aile flamande du Parti catholique.

Projet de commissariat général à l'administration à l'été 1940

Durant le singulier été de 1940, un rôle semble dévolu à Bekaert dans l'une des réformes politico-administratives envisagées. En juillet 1940, la Cour propose Bekaert pour occuper le poste d’une nouvelle fonction à créer : le commissariat général à l'administration. Le commissariat général chapeauterait et coordonnerait les différents secrétaires généraux et présiderait le comité des secrétaires généraux. Il pourrait même exercer les pouvoirs d'un secrétaire général. La Cour a perçu des signes de désordre administratif et la proposition vise à y mettre un terme. Il s'agit en outre d'une tentative de prendre une longueur d'avance sur les Allemands. La Militärverwaltung aspire à la centralisation administrative afin de n'avoir qu'un seul interlocuteur pour les domaines importants sur le plan politique. Pour la reconstruction, C. Verwilghen a déjà été nommé commissaire général fin juin 1940. Le roi juge préférable de nommer lui-même un commissaire général à l'administration avant que la Militärverwaltung ne prenne cette décision. Le choix de la Cour s'est porté sur Bekaert parce qu'elle attend de lui qu'il apporte de l'innovation, n'étant pas lui-même fonctionnaire et, de surcroît, libre de tout lien politique et financier. Ce dernier point, comme le montre la biographie de Bekaert, est à tout le moins à nuancer.

Dans un premier temps, le comité des secrétaires généraux n'a d'abord pas apprécié la proposition, précisément parce qu'elle va trop loin et limite le pouvoir des secrétaires généraux. Léon Fredericq, le chef de cabinet du roi, fait pression sur les secrétaires généraux. Ceux-ci finissent par céder, principalement parce qu'ils estiment qu'il est préférable de garder une longueur d'avance sur les Allemands. Le comité finit par renoncer à son refus initial à la désignation d'un extérieur tel Léon Bekaert. Le comité propose dès lors à la Militärverwaltung de nommer Bekaert en tant que commissaire général chapeautant le comité. Reeder ne rejette pas le principe d'un commissaire général, mais ne peut marquer son accord avec la personnalité de Bekaert. Selon Reeder, celui-ci ne ferait pas l’unanimité en Flandre. En réalité, le VNV a opposé son veto à l'industriel de Flandre occidentale. A la demande de Reeder, les secrétaires généraux proposent une autre candidature, celle de Paul Heymans, gouverneur de la Société nationale du crédit à l'industrie. Fredericq continue à soutenir Bekaert et les secrétaires généraux finissent par proposer les deux : d'abord Bekaert, puis Heymans. En fin de compte, le Militärverwaltung fait capoter l'affaire et le comité des secrétaires généraux continue à fonctionner sans direction centrale.

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Léopold III, s.d.
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Institution : CegeSoma
Collection : Sipho
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : A l'occasion du 60ème anniversaire... du Président Reeder chef d'Administration civile pour la Belgique et le Nord de la France.

Politique patronale

Le fait que la nomination au poste de "super-secrétaire général" ait finalement échoué n'a pas empêché Bekaert de continuer à participer à la prise de décision au plus haut niveau sur le plan national pendant l'occupation, même s’il agit par une autre voie, non celle de l'administration, mais via le monde des affaires. Bekaert fait partie du Comité Galopin, le groupe informel de dirigeants de grandes banques privées, de holdings et d'industriels qui a fortement influencé la politique économique pendant l'occupation. Bekaert a ainsi pu établir des liens directs avec l'élite financière bruxelloise. Bekaert devient également administrateur de la Banque d'émission, qui organise le clearing.

Bekaert poursuit ses activités en tant que dirigeant patronal. En juillet 1941, il prend la tête du groupement principal de l’industrie des fabrications métalliques. Il s'inscrit dans le cadre de la réorganisation corporatiste de l'économie sur le modèle nazi mise en œuvre au printemps 1941. Après la guerre, Bekaert poursuit dans cette voie. En 1946, il devient président de Fabrimetal, la nouvelle fédération sectorielle de la construction métallique qui prend, en quelque sorte, la succession du groupement principal de l’industrie des fabrications métalliques . En 1952, Bekaert devient président de la Fédération des Industries Belges, un poste qu’il conserve jusqu'à sa mort en 1961.

À partir de 1942, Bekaert se concentre sur la préparation de l'après-guerre. Le Comité Galopin patronne des groupes d'études économiques et sociales qui élaborent des plans concrets pour les politiques et les structures économiques et sociales de l'après-guerre. Bekaert coordonne le groupe d'étude chargé de la politique sociale. Il se montre favorable à une modernisation du système social avec une assurance sociale obligatoire, un système de concertation institutionnalisé sur le plan socio-économique orienté vers des augmentations régulières de salaire. Grâce à ce système de concertation, les syndicats obtiendraient des droits consultatifs sur les questions économiques. Le point de vue de Bekaert n'est pas partagé par tous les acteurs du monde du patronat. En particulier, la Société générale, qui continue à défendre des principes libéraux classiques dans le domaine socio-économique, ne peut marquer son accord avec ce point de vue.

En tant que patron d'après-guerre, Bekaert soutient la philosophie du Pacte social, alors que l'opposition dans les cercles patronaux est initialement encore forte, surtout parmi les représentants des secteurs traditionnels, tels que les mines de charbon.

Bibliographie

Albert De Jonghe, ‘De personeelspolitiek van de Militärverwaltung te Brussel gedurende het eerste halfjaar der bezetting (juni-december 1940). Bijdrage tot de studie van de Duitse Flamenpolitik in Wereldoorlog II’ in Belgisch Tijdschrift voor Nieuwste Geschiedenis, 1972, 3, 1-2, p. 1-49, https://www.journalbelgianhist....

Dirk Luyten, ‘Bekaert famille’ in, G. Kurgan-van Hentenrijk, S. Jaumain, V. Montens i.s.m. J. Puissant, J.J. Heirwegh, Dictionnaire des patrons en Belgique. Les hommes, les entreprises, les réseaux, Bruxelles, De Boeck Université, 1996, p. 42-43.

Dirk Luyten, Ideologie en praktijk van het corporatisme tijdens de Tweede Wereldoorlog in België, Bruxelles, VUBPRESS, 1997.

M. Van den Wijngaert, Het beleid van het Comité van de sekretarissen-generaal in België tijdens de Duitse bezetting 1940-1944, Bruxelles, Koninklijke Academie van België, 1975.

Jan Velaers, Herman Van Goethem, Leopold III de Koning, het Land, de Oorlog, Tielt, Lannoo, 1994.

Pour citer cette page
Bekaert Léon
Auteur : Luyten Dirk (Institution : CegeSoma)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/bekaert-leon.html