René Greindl (1898-1945) est gouverneur (ad interim) de la province de Luxembourg d'août 1940 à décembre 1943. Léopoldiste et autoritaire, il soutient l’ordre nouveau allemand en 1940. En 1941-1942, il s'oppose à la politique allemande. Il rejoint la résistance après sa démission en tant que gouverneur. En 1945, il meurt au camp de concentration de Buchenwald.
Avant la guerre
René Greindl est issu d'une famille belge bien connue dont plusieurs membres sont devenus hauts fonctionnaires et militaires de haut rang. Volontaire de guerre pendant la Première Guerre mondiale, il choisit une carrière civile après 1918. Trois ans plus tard, il est ingénieur civil diplômé (Université de Bruxelles). Dans les années 1920, il travaille pour des entreprises privées à l'étranger. En 1933, il se recentre sur l'administration belge, comme commissaire d'arrondissement de Saint-Vith. Ses relations familiales, sa bonne connaissance de l'allemand et son profil catholique sont autant d’atouts. Sa position dans les Cantons de l'Est lui permet d'avoir une vision claire du national-socialisme allemand. En 1937, il devient commissaire d’arrondissement du district de Bastogne. Sous-lieutenant de réserve chez les chasseurs ardennais, il participe à la campagne des dix-huit jours.
Gouverneur du Luxembourg
Le 10 juin 1940, les autorités d'occupation allemandes permettent à Greindl de rentrer à Bruxelles. Le 30 juin 1940, elles lui confient la gestion administrative du ravitaillement de la province de Luxembourg. Sans doute aidé par sa maîtrise de l'allemand, Greindl est bien vu par le pouvoir occupant. Le 21 juillet 1940, à Bastogne, lors du Te Deum, il déclare croire en la victoire allemande. Le 1er août 1940, il est nommé gouverneur ad interim de la province du Luxembourg.
En 1940, Greindl représente une partie importante de l'establishment belge qui souhaite construire un nouvel ordre autoritaire, de préférence sous la direction du roi Léopold III. L'enquête judiciaire d'après-guerre conclut qu'il a soutenu ce nouvel ordre autoritaire certainement jusqu'en 1941. Dans un rapport adressé à la Feldkommandantur le 3 octobre 1941, Greindl confirme son soutien au régime d'occupation et déclare qu'il continuera à diffuser le message que l'Allemagne a définitivement gagné la guerre. Comme de nombreux membres de l'administration publique, il soutient la réglementation stricte en matière d'alimentation en 1940-41. Le 3 décembre 1941, il demande au secrétaire général de l'alimentation et de l'agriculture, Emiel De Winter, de sanctionner les agriculteurs négligents : une lettre qu'il envoie également à la Kreiskommandantur allemande.
Selon un rapport allemand interne, Greindl commence à douter de la victoire allemande après l'invasion de l'Union soviétique en juin 1941. Mais des doutes semblent déjà présents avant cette date, surtout à cause de l'influence croissante de Rex. En tant que gouverneur, il veut respecter la légalité administrative belge et s'oppose à l'ordonnance allemande contre le vieillissement de mars 1941. Le Luxembourg est la province wallonne où le rexisme était le plus faible avant l'occupation. En tant que gouverneur, Greindl soutient parfois les nominations de membres de Rex à des postes de bourgmestre mais, après mars 1941, il s'oppose aux nominations de collaborateurs trop radicaux. Il fait savoir au secrétaire général Romsée qu'il considère ses réformes sur le plan communal comme illégales. Il s'oppose fermement à la nomination de Lucien Eichhorn, membre du Deutsche Sprachverein et collaborateur notoire comme bourgmestre d'Arlon. Malgré cette opposition, Eichhorn est nommé bourgmestre le 1er novembre 1941.
En 1942, dans la province de Luxembourg, les commissaires d'arrondissement de Neufchâteau et de Marche-en-Famenne, ainsi que les chefs des services de contrôle de l'administration provinciale, sont remplacés par des rexistes. En mai 1942, Greindl menace de démissionner en signe de protestation. Il retarde l'infiltration de Rex à la députation permanente : les quatre députés d'avant-guerre restent d'abord en fonction, bien qu'ils soient âgés de plus de 60 ans. La presse rexiste l'attaque régulièrement et Albert Thiry, dirigeant provincial de Rex (et membre de la députation depuis 1942), demande instamment sa démission. Le fait que Greindl puisse rester en poste est peut-être dû en partie à la faiblesse des mouvements de collaboration dans la province et à sa légitimité auprès de la Militärverwaltung (comme le note encore un rapport de la Sipo-SD en 1943).
Démission
Comme pour beaucoup, l'introduction du travail obligatoire en Allemagne (octobre 1942) est le point de rupture. A partir de l'hiver 1942-1943, Greindl bascule pleinement dans l’opposition. L'ordre allemand du 22 janvier 1943 de priver les personnes en rupture de contrat (pour un emploi en Allemagne) de leurs tickets de ravitaillement est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Lorsque le secrétaire général de l'Agriculture et de l'Alimentation, Emiel De Winter, déclare le 30 janvier 1943 que cette mesure allemande doit être exécutée, Greindl commence à faire obstruction et interdit formellement aux bourgmestres de sa province (entre autres le 31 janvier 1943) d'exécuter cette mesure. Le secrétaire général De Winter le lui reproche vertement en mars 1943. Le 9 avril 1943, Greindl refuse un ordre direct en ce sens émanant de l'Oberfeldkommandantur de Liège. On peut supposer qu'il tente ainsi délibérément de provoquer son renvoi, afin de se dégager d'une fonction totalement compromise, comme de nombreux administrateurs (et certainement aussi des bourgmestres) tentent de le faire. En décembre 1943, l'administration militaire allemande décide finalement de lui interdire d'exercer ses fonctions.
Résistance, emprisonnement et décès
Au vu et au su de Greindl, ses fils adolescents rejoignent l'Armée secrète en 1944. La famille aurait aussi caché des personnes recherchées y compris un Juif selon un témoin. Il est évident que Greindl lui-même est dans le collimateur de la Sipo-SD allemande en tant qu’opposant. Le 7 septembre 1944, il est arrêté lors d'un contrôle allemand à Fisenne (entre Soy et Hotton). Plus tard, l'un de ses fils résistants témoignera qu'il effectuait à ce moment-là une mission de liaison pour l'Armée secrète. Le 17 janvier 1945, Greindl arrive au camp de Buchenwald. Il y décède le 21 février 1945, officiellement d'une crise cardiaque. Il semble certain qu'il est déjà affaibli par la maladie. Les circonstances exactes de sa mort demeurent inconnues. Selon un témoin oculaire belge travaillant à l'infirmerie de Buchenwald en 1945, Greindl, très affaibli, a été assassiné par injection de cyanure. Ces informations se retrouvent dans diverses publications et notamment dans le livre de David Rousset "l'Univers concentrationnaire", publié en 1946. Greindl aurait été exécuté par des communistes allemands servant de "Kapos". Le "Kapo" allemand incriminé témoignera plus tard que Greindl est mort de privations et de tuberculose. Le corps ayant été incinéré, la réalité des faits n’a pu être établie.
Enquête judiciaire et reconnaissance
Après la Libération, une enquête judiciaire est ouverte en Belgique du fait de son rôle en tant que "gouverneur de guerre". Une fois son décès confirmé, l'enquête est classée "sans suite". Dans la demande de reconnaissance comme prisonnier politique, outre les éléments négatifs (en tant que gouverneur de guerre), trois éléments positifs sont pris en considération : tout d'abord, sa résistance ouverte au coup d'État rexiste en 1941-42, ensuite, son soutien à l'organisation clandestine d'un groupe de chasseurs ardennais en mai 1941 (à la base de la future Armée secrète) et son appui à l'Armée secrète en 1944, et enfin, son comportement courageux en captivité et son statut de martyr. En conclusion, bien que Greindl ait une vision politique condamnable, son attitude et ses intentions ont toujours été loyales et patriotiques. Le 20 novembre 1951, il est reconnu comme prisonnier politique à titre posthume.
Bibliographie
Archives Baron René Greindl, gouverneur du Luxembourg : nota's, corr., versl., 1914-1955 (Principalement 1943-1951). - 139 p. en fardes (1 microf.) : dact., ms., ron., mic., CegeSoma/Archives de l'Etat.
Archives des Victimes de la Guerre, documentation et recherche, Greindl René no. 18434
Archives des Victimes de la Guerre, Greindl René, PP/PG, PP AD kal 12049
Anne-Marie Visart de Bocarmé, Mourir à Buchenwald : vie et mort du gouverneur résistant du Luxembourg. René Greindl, 1898-1945, Villance-en-Ardenne, 1995.