Belgique en guerre / Personnalités

Kiewitz Werner

Auteur : Warland Geneviève (Institution : Université catholique de Louvain)

Né à Breslau en 1891, militaire et diplomate de carrière, Werner Kiewitz est affecté à la garde de Léopold III et de la famille royale au château de Laeken du 30 mai 1940 au 6 juin 1944. Diplomate depuis 1924, Kiewitz a travaillé dans les ambassades de Bucarest et de Belgrade avant d’être nommé dans les services de la chancellerie du Reich en charge du protocole et des relations avec les diplomates étrangers en 1934. Il adhère au NSDAP en 1937. 

Le roi, prisonnier de guerre

Après la capitulation de l’armée belge, contre les attentes des autorités allemandes, Léopold III se considère comme prisonnier de guerre et marque son souhait de rester en Belgique auprès de la population (« Mon sort sera le vôtre »). Assigné à résidence, il est traité avec égards et peut conserver ses conseillers : le comte Robert Capelle, son secrétaire ; Louis Fredericq, son chef de cabinet et le général Raoul Van Overstraeten, son conseiller militaire. À cet entourage belge s’ajoute le service de Werner Kiewitz désigné à ce poste par Hitler. En effet, l’homme maîtrise parfaitement le français. Il sert dès lors de traducteur de nombreux documents. Il a pour titre officiel Adjutant bei S.M. dem König der Belgier. Son équipe se compose du major Bünting, d’une secrétaire et de gardes.

 

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : Léopold III, s.d.

Un intermédiaire entre le roi et les Allemands

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Institution : CegeSoma/Archives de l'Etat
Droits d'auteur : Droits réservés
Légende d'origine : Meissner, Léopold III et Kiewitz à Berchtesgaden, 18-20 nov. 1940.
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Institution : Archives du Palais royal/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Lettre de Kiewitz à Léopold III communiquant le refus de libérer des prisonniers belges, 7 juillet 1941.

Kiewitz sert d’intermédiaire entre, d’une part, le roi et son entourage et, de l’autre, les autorités allemandes : la chancellerie à Berlin – le ministre d’État Otto Meissner pour les questions diplomatiques et le lieutenant-général Rudolf Schmundt de la Wehrmacht pour les questions militaires –, mais aussi le gouverneur militaire pour la Belgique et le Nord de la France, Alexander von Falkenhausen.

Kiewitz transmet les décisions venant de l’occupant et, tout autant si pas plus, les demandes émanant du château royal. Début juin 1940, il est en contact avec Hitler, alors aux Pays-Bas. Il est notamment question d’une rencontre avec Léopold III. Le projet n’aboutit pas, car le roi souhaite que la rencontre se fasse incognito ; ce qui n’est pas le souhait d’Hitler. Parmi les questions qui auraient dû être abordées figurent la situation des prisonniers de guerre, le statut de la Belgique et le sort du roi. Mais le projet de rencontre n’est pas pour autant complètement abandonné. Il se concrétise quelques mois plus tard en novembre lors de l’entretien entre le Führer et Léopold III à Berchtesgaden dans les Alpes bavaroises. Kiewitz est lui aussi du voyage. S’il ne débouche pas sur des résultats concrets, il ne constitue cependant pas une rupture même s’il n’y a, semble-t-il, plus grand-chose à attendre du Führer qui n’a jamais vraiment précisé ses plans pour la Belgique.

 En 1941 et 1942, c’est par la voie de lettres de requête que Léopold tente par deux fois d’obtenir des mesures visant à améliorer le sort du peuple belge en matière de ravitaillement. Sa seconde lettre suscite une vive réaction chez Hitler qui rappelle au souverain son statut de prisonnier, mais ce n’est pas Kiewitz qui est chargé de la communiquer.

En décembre 1941, à l’occasion du mariage civil de Léopold III avec Liliane Baels, Kiewitz est mandaté auprès du Führer pour l’informer de la nouvelle. À l’initiative de l’adjudant, des fleurs et un télégramme de félicitations sont envoyés au couple. Le roi envoie à son tour un télégramme pour l’anniversaire d’Hitler. Quelques mois plus tard, toujours à l’initiative de Kiewitz, Hitler transmet ses vœux à l’occasion de la naissance du prince Alexandre de Belgique, le 18 juillet 1942.

 

Un informateur utile au Cabinet du roi

Les contacts entre Kiewitz et le cabinet du Roi sont nombreux et cordiaux, et Kiewitz se montre soucieux de rendre des services. Ainsi, à la demande du Général Van Overstraeten, l’adjudant allemand organise une visite au Fort d’Eben-Emael en octobre 1940. À ce dernier, Kiewitz communique assez souvent des informations internes à la Wehrmacht, notamment sur la politique et la stratégie allemandes.

Kiewitz sert également de relais, avec des succès variables, pour des requêtes auprès des autorités allemandes en vue de l’obtention de grâces, de la libération de prisonniers de guerre ou pour la protestation royale après l’instauration du travail obligatoire.

Kiewitz relaie aussi, y compris auprès du commandant militaire von Falkenhausen avec lequel il entretient d’excellentes relations, des demandes émanant du roi pour la libération d’otages et de la reine Élisabeth concernant la libération de Juifs de nationalité belge.  En raison des nouvelles ordonnances allemandes notamment sur le travail obligatoire à partir de 1942, ce type de services rendus par Kiewitz au cours des trois premières années de guerre s’estompe.

Kiewitz prend par ailleurs en charge les formalités relatives aux déplacements de la famille royale, notamment vers le château de Ciergnon dans la province de Namur, de même que celles liées aux visites de membres de la famille vivant en Bavière ou en Italie. La fille de la reine Élisabeth, la princesse Marie-José, est ainsi escortée à plusieurs reprises par Kiewitz. De toute évidence, il porte une grande admiration au souverain et, par extension, à la famille royale envers laquelle il se montre très dévoué. 

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Raoul Van Overstraeten, s.d. (détail)

Disgrâce et ultime démarche

Progressivement, Kiewitz ne bénéficie plus de la même confiance de la part du pouvoir allemand. Il ne semble pas immédiatement informé des projets de déportation du roi en Allemagne même si la rumeur du projet finit par arriver jusqu’à lui. En décembre 1943, il plaide dès lors pour le maintien de Léopold III en Belgique. Le 7 juin 1944, le roi est emmené en Allemagne. Kiewitz l’accompagne au château de Hirschstein, non loin de Dresde dans la vallée de l’Elbe. La famille royale le rejoint trois jours plus tard. C’est la fin de la mission confiée à Kiewitz. Néanmoins, ce dernier intervient une ultime fois auprès d’Hitler en faveur de Léopold III, en déplorant ses conditions de détention. Mais sa démarche n’aboutit pas.

Arrêté fin juillet dans le cadre de l’attentat manqué contre Hitler, Kiewitz est emprisonné pendant plusieurs mois avant d’être relâché faute de preuves. S’étant attiré le courroux de Himmler qui estime qu’il s’est soumis au roi des Belges et lui a laissé trop de libertés, il est rétrogradé au rang de capitaine et envoyé dans un régiment disciplinaire sur le front de l’Est pour combattre l’Armée rouge. Prisonnier des Soviétiques jusqu’en septembre 1945, il se retrouve dans un camp d’internement britannique. Grand invalide, amputé du bras droit, il est finalement reconnu comme « victime du fascisme ». En 1949, il devient fonctionnaire de la République fédérale allemande. Il sera finalement rattaché au service protocolaire de la chancellerie à Bonn. Il décède le 1er janvier 1965.

 

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Institution : Archives du Palais royal/Archives de l'Etat
Légende d'origine : Carnet personnel de Léopold III

Bibliographie

Albert De Jonghe, « De laatste boodschap van Kiewitz, namens Koning Leopold III, voor Hitler (15 juni 1944) » in Revue Belge de Philologie et d’Histoire = Belgisch Tijdschrift voor Filologie en Geschiedenis, année 1987, 65-2, pp. 274-300, https://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1987_num_65_2_3583.

Alexander von Falkenhausen, Mémoires d’Outre-Guerre. Comment j’ai gouverné la Belgique de 1940 à 1944, Lucien De Meyer, 1974.

Général Van Overstraeten, Léopold III prisonnier, Didier Hatier, 1986.

Jan Velaers et Herman van Goethem, Leopold III: De koning, het land, de oorlog, Lannoo, 2001.

Archives du palais royal, Bruxelles : dossier colonel Werner Kiewitz (2 cartons) ; dossier du Secrétariat privé du roi Albert et de la reine Elisabeth, n° 687 ; dossiers du Cabinet du roi Léopold III, n° 1272, 2526, 2527, 2473-2476 ; archives de Jacques Pirenne n° 95.

Bundesarchiv Berlin-Lichterfeld: R 9361-V/24360 (Kiewitz, Werner).

CegeSoma, Bruxelles : CEGESOMA AA 535 et AA 278. 

Pour en savoir plus

165131.jpg Articles Administration militaire allemande (Militärverwaltung) Roden Dimitri
Pour citer cette page
Kiewitz Werner
Auteur : Warland Geneviève (Institution : Université catholique de Louvain)
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/kiewitz-werner.html