75 ans après, l’ombre de la collaboration
Mardi 14 octobre 2014, Charles Michel, Premier ministre belge, est sur le plateau du journal télévisé. Il y déclare solennellement : « La collaboration est une faute. Je ne veux pas la moindre ambiguïté dans mon gouvernement ».
Cette intervention en direct clôt la crise médiatique déclenchée par les propos jugés ambigus de Jan Jambon (vice-Premier ministre et ministre de la Sécurité et de l’Intérieur) sur la collaboration et par la participation de Théo Francken (secrétaire d’État à l’Asile et aux Migrations) à l’anniversaire de Bob Maes, ancien collaborateur, fondateur de la Vlaamse Militanten Orde (1950) et ancien sénateur de la Volksunie.
Près de 75 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ombre de la collaboration et de ses conséquences plane toujours sur la société belge.
Cette situation est principalement due à la polarisation Nord-Sud dans la perception de la collaboration. En Flandre, l’image de collaborateurs victimes d’une répression trop sévère est répandue. La répression des autorités belges est qualifiée de phénomène violent, arbitraire, sans fin et anti-flamand. Réalité ou justification des demandes d’amnistie ?
La répression des autorités et ses conséquences
Qu’est-ce que la répression ?
Comment les autorités ont-elles sanctionné les « amis » des anciens ennemis ?
La répression est un phénomène complexe aux multiples visages. Par leurs décisions, les autorités peuvent :
- Priver de liberté (de la détention provisoire à la peine de mort)
- Prononcer des sanctions qui portent sur le patrimoine et les ressources financières (par exemple sous forme d’amende ou de dommages et intérêts)
- Déchoir des droits civils, politiques et parfois de la nationalité belge (sanction exclusive)
- Exclure de l’exercice de certaines fonctions publiques (exclusion administrative) ou du bénéfice de services et avantages.
Combien de personnes ont été concernées par ces sanctions ?
Les chiffres seuls ne permettent pas de mesurer l’ampleur du phénomène. L’accumulation des peines mais aussi leur impact sur la vie sociale et familiale doivent également être pris en compte. Internée comme suspecte à la libération, une même personne peut ensuite perdre ses droits civils et ne plus avoir, par exemple, accès à sa retraite de militaire.
Une répression anti-flamande ?
Remarque-t-on des différences entre francophones et néerlandophones dans la mise en œuvre des sanctions pour faits de collaboration ? La répression a-t-elle vraiment été un instrument de l’Etat belge pour démanteler le mouvement flamand ? Aucune preuve d’une répression anti-flamande ne semble exister.
Les privations de liberté, les sanctions patrimoniales et la déchéance des droits sont coordonnées par l’auditorat militaire. Son rôle est de veiller à l’uniformité des peines.
0,73% de la population flamande a été condamnée pour faits de collaboration; en Belgique francophone, ce pourcentage est de 0,52%. Le nombre plus élevé de collaborateurs en Flandre s’explique aisément : la collaboration flamande s’appuie sur une base politique et sociale plus large.
Moins nombreux, les collaborateurs francophones sont sanctionnés plus lourdement avec notamment davantage de peines de mort prononcées. Cette différence est due à la nature plus violente de la collaboration francophone. Contrairement aux trois autres effets (privations de liberté, sanctions patrimoniales et déchéances des droits), les exclusions administratives ne font pas l’objet d’une politique centralisée. Les critères d’exclusions sont définis par chaque administration. Le risque d’abus de pouvoir ou de règlement de compte est réel, surtout dans les petits villages. Il ne semble toutefois pas que ces exclusions aient été plus fortes en Flandre.
Une répression sans fin ?
La répression a-t-elle été sans fin comme le dénoncent certains responsables politiques flamands ? Ce discours peut être largement nuancé en considérant les années d’après-guerre.
Rapidement, des mesures vont être prises pour estomper les différents effets de la politique de répression des autorités.
Une politique de libération
24 novembre 1944, cour militaire de Bruxelles. Sur le banc des accusés, un homme suspecté d’avoir pris les armes contre la Belgique et d’avoir fourni hommes, armes, munitions et argent à l’armée ennemie. Le verdict tombe : une peine de 20 ans d’emprisonnement, la perte des titres et grades, une destitution à vie de droits civils et une confiscation de ses biens. Pour l’accusé, l’accumulation des effets de la répression est bel et bien réel. Quatre ans à peine après sa condamnation, la peine de prison est réduite à 6 ans. L’homme bénéficie finalement d’une libération conditionnelle le 17 octobre 1949. Il est définitivement libre le 8 septembre 1953.
Ce parcours est emblématique de l’évolution de la répression. Le temps adoucit les mœurs. De nombreuses peines sont réduites. Le nombre de libérations conditionnelles et de remises en liberté augmente, notamment grâce aux ministres de la Justice Albert Lilar et Paul Struye.
En 1965, presque tous les inciviques, même ceux qui ont été condamnés à mort, ont recouvré leur liberté.
Une atténuation des mesures financières
Le montant des peines financières est également revu à la baisse. Les personnes concernées sont souvent dans l’incapacité de payer. De plus, une même personne peut être sous le poids de plusieurs mesures financières.
Diverses mesures allègent l’effet des sanctions. Sur les 20 milliards (après indexation sur base de l’indice des prix à la consommation, cette somme équivaut environ à 3 milliards 800 millions d’euros en 2016) de francs belges prévus, seuls 4 milliards rentrent effectivement dans les caisses de l’Etat.
Peines financières dans le cadre de la répression
Vers une restitution des droits
1952, un homme écrit au procureur du Roi du tribunal de première instance. Il demande la restitution de ses droits civils et politiques. Ce genre de requête se multiplie dans les années d’après-guerre.
En effet, rapidement, la déchéance des droits civils et politiques est critiquée à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Beaucoup estiment que ces mesures sont contraires à la liberté d’expression.
En réaction, plusieurs lois (1948, 1952 et 1962) sont votées pour faciliter une restitution complète ou partielle des droits civils. Le processus de réhabilitation des personnes est également facilité.
30 juin 1961, une loi clé est votée : les personnes non condamnées ou condamnées à une peine de prison de trois ans maximum peuvent recouvrer tous leurs droits. La loi prévoit également une politique de grâce : toute personne privée de droits et condamnée à moins de 30 ans peut retrouver ses droits après avoir adressé une demande de grâce au ministre de la Justice ou au tribunal civil.
L’effet est immédiat : à la fin des années 1960, seuls 10% des personnes concernées restent privées de leurs droits. Il s’agit principalement d’exilés ne souhaitant pas se soumettre à la justice belge.
La fin d’une exclusion ?
La fin des exclusions administratives est plus difficile à coordonner. En effet, chaque administration a fixé ses propres règles et critères d’exclusion sans politique centralisée. Ce manque d’uniformité persiste dans les procédures de révisions.
Parmi les quatre effets de la politique de répression des autorités, les exclusions administratives sont la forme la plus tenace. Certains services ou avantages restent pendant longtemps inaccessible aux anciens collaborateurs.
L’amnistie réclamée par certains hommes politiques ne changerait en rien la situation puisque les exclusions administratives ne reposent pas sur des dispositions du code pénal.
Conclusion
La collaboration et la répression sont deux thèmes qui réapparaissent fréquemment dans les actualités belges. Le passé de guerre reste l’objet de tensions entre les communautés. Ces tensions sont notamment nourries par les revendications flamandes en faveur de l’amnistie pour les anciens collaborateurs.
Cette demande s’appuie sur un discours de victimisation où la répression est dépeinte comme hâtive, sévère, sans fin et anti-flamande. Cette vision ne reflète pas la réalité. En effet, en élargissant l’étude de la répression dans le temps, l’image devient plus nuancée. De nombreuses mesures ont été prises pour en réduire voire effacer les effets.
Bibliographie
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