Belgique en guerre / Personnalités

Somerhausen Luc

Thème - Résistance

Auteur : Anthoons Johnny

Intellectuel de gauche, esprit critique, Luc Somerhausen  est une personnalité importante. Entré en résistance, il est arrêté et déporté. A son retour, il s’engage résolument dans la défense des prisonniers politiques et anciens résistants. Il apparaît tout à la fois comme cultivé et distingué mais aussi contradictoire et inflexible, autant de qualificatifs qui résument bien sa personnalité. 

Un esprit engagé mais indépendant

" Il va cependant de soi que cette collaboration ne peut ni ne doit en rien aliéner ma liberté d'action politique". C’est à ces conditions que Luc Somerhausen accepte de devenir, en 1928, le correspondant bruxellois de l'Institut Marx-Engels basé à Moscou. Cette structure réussit à fonctionner encore pendant quelques années indépendamment des bolcheviques. Somerhausen est issu d’un environnement familial libéral et bourgeois mais il opte très jeune pour le socialisme. À 17 ans, il commence à militer au sein du Parti ouvrier belge (POB), et plus précisément au sein des Jeunes Gardes socialistes.


Licencié en sciences politiques (ULB, 1926), Somerhausen fait ses premiers pas en journalisme et devient correspondant du journal parisien Le Populaire. Dans son travail de journaliste, il se sent étroitement lié au mouvement socialiste. Il est flatté lorsqu'on lui propose un emploi permanent au Peuple. Au même moment, un poste de rédacteur devient vacant au Compte rendu analytique du Sénat. Somerhausen est bien classé lors de l'examen de sélection. Le poste n'est pas à plein temps, mais lui offre la sécurité financière et l'indépendance intellectuelle nécessaires. Il peut facilement le combiner avec d'autres activités plus libres. Après un débat de conscience extrêmement difficile, Somerhausen opte pour le Sénat.


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Institution : Wikimedia Commons
Collection : Branson De Cou 1892-1941
Droits d'auteur : Public Domain
Légende d'origine : Institut Marx-Engels à Moscou, 1931
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Début 1931, Moscou met un terme aux activités indépendantes de l'Institut Marx-Engels. Le contrat de Somerhausen est résilié. Il peut ainsi aussi se consacrer à un autre domaine de prédilection: son amour du théâtre. Il fait partie du conseil d'administration de théâtres bruxellois comme le Théâtre des Galeries et le Théâtre du Résidence Palace. Le théâtre devient l'une des grandes passions de sa vie, aux côtés du Sénat, du journalisme et de l'histoire du marxisme.

Une double vie

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Institution : Archives du Sénat
Collection : BSEN_WWII_QUAE, n° 681/3/1340.
Légende d'origine : Autorisation pour le personnel du Sénat de travailler pour le secours d'Hiver
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Institution : CegeSoma
Légende d'origine : La Voix des Belges n°1, 10 août 1941
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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Emetteur clandestin

En mai 1940, Luc Somerhausen suit la Chambre et le Sénat à Limoges, en France. Il y assiste à la réunion historique au cours de laquelle les parlementaires belges désavouent l'attitude du roi Léopold III. Il effectue aussi quelques missions officielles à Vichy.

De retour en Belgique en août 1940, il ne peut pas immédiatement reprendre ses activités professionnelles. Les travaux parlementaires et les comptes rendus qui y étaient liés sont bien évidemment exclus dans le contexte de la Belgique occupée. Toutefois, sur base d’un scénario établi en 1939, le personnel du Parlement peut être mis à la disposition d'un autre service public. Le Secours d'Hiver, créé fin octobre 1940, répond à ces critères. Somerhausen est affecté au Comité central exécutif du Secours d'Hiver dont les bureaux se trouvent place Royale à Bruxelles. Le travail qu’il y effectue a trait à la propagande.

Ce nouveau cadre de travail constitue un terrain propice à la résistance. D'abord, Somerhausen y côtoie nombre de collègues issus des services parlementaires, mais aussi d’autres fonctionnaires privés de leur travail habituel du fait de l'occupant. L'atmosphère de travail au Secours d'hiver est donc plutôt antiallemande. De plus, le lieu est proche des centres de pouvoir belges classiques. Ceux qui veulent "faire quelque chose" contre l'occupant peuvent facilement y nouer des contacts informels. C'est ainsi que naissent des noyaux de résistance, souvent liés au monde du renseignement. Sans doute est-ce ainsi que Somerhausen rejoint tout naturellement la Résistance.

Somerhausen participe au journal clandestin pro-belge La Voix des Belges et devient agent de renseignement et d'action. Bruxellois francophone, universitaire et travaillant dans un service public, il correspond bien au profil de ces agents. Ce n'est qu'après coup qu'il saura exactement au sein de quels réseaux il opère. Jean Braem, un collègue des services du Sénat, est affecté au Secours d’Hiver, tout comme Somerhausen. Braem reçoit des ordres de Londres, notamment en ce qui concerne la diffusion de matériel de propagande. Actif dans le réseau Samoyède, il associe Somerhausen à ses missions. Celui-ci travaille aussi pour le réseau Wim à partir de fin octobre-début novembre 1942. Créé à l'initiative de la reine Wilhelmine des Pays-Bas, celui-ci transmet des renseignements depuis les Pays-Bas, eux aussi occupés, à la Grande-Bretagne via des filières belges. Ses missions sont très diverses. Somerhausen cherche des cachettes pour des parachutistes belges et néerlandais et leur fournit de faux papiers. Il recherche aussi des lieux appropriés pour des émissions de radio et conserve des documents chez lui.

Pour déjouer la vigilance de l'occupant, il se fait passer pour Lucien Demeur. Avec cette nouvelle identité, il veut vraisemblablement rendre hommage à Lucien Jottrand et Adolphe Demeur, des libéraux progressistes issus de sa famille maternelle.

Somerhausen n'est pas vraiment en contact avec le mouvement socialiste clandestin sous l'occupation. Il éprouve du dégoût lorsqu'il entend certains dignitaires socialistes se plaindre de la perte de leur salaire du fait de la guerre.

En général, Somerhausen évite les contacts inutiles. Pour lui, la prudence est le maître-mot. Suzanne Samuel, sa petite amie et future épouse, est d'origine juive, mais n’est pas enregistrée comme telle. À qui peut-il et à qui ne peut-il pas faire confiance ? Si l'occupant allemand découvre sa double vie, il risque la peine de mort ou d'être déporté sans laisser de traces. L'Abwehr est de fait infiltrée au sein des réseaux de renseignements , y compris au Secours d'Hiver. 


Bergen op Zoom, mai 1943. 

Un contre-espion néerlandais découvre le fonctionnement du réseau Wim et les pseudonymes utilisés par les chefs Gaston Vandermeerssche et Joseph (John) Cohen. Les jours de Wim sont comptés. Somerhausen apprend qu'un des membres de son équipe est arrêté. Le 28 mai 1943, il veut en informer Cohen et se rend à son domicile de Watermael-Boitsfort. Il y est à son tour arrêté pour espionnage. 

Essayer de survivre

Luc Somerhausen est d'abord enfermé à la prison de Saint-Gilles. Il est déporté au début du mois d'octobre 1943. Débute alors pour lui un calvaire qui le mènera dans huit prisons ou camps au total. En tant que prisonnier Nacht und Nebel, il n'est pas autorisé à recevoir le moindre colis ou message du monde extérieur. Après quelques jours à la prison d'Essen, Somerhausen est transféré le 12 octobre 1943 au Strafgefangenenlager de Esterwegen. Il s’y retrouve dans la baraque n° 6 où, pour mieux oublier la faim, les prisonniers organisent des conférences et d’intenses forums de discussion. Il y prend une part active, fraternisant avec des détenus communistes comme Jean Lagneau. Les jeunes progressistes de la baraque sont très impressionnés par ce quadragénaire érudit.

Avec d'autres francs-maçons, Somerhausen fonde à Esterwegen la loge « Liberté Chérie ». Un nom qui, dans ces circonstances, ne peut être qu'un cri du cœur. Somerhausen et ses compagnons d'infortune le clament dans leur version du Chant des Marais.

Après de courts passages dans trois autres lieux de détention, Somerhausen est interné à Haaren, aux Pays-Bas, en février 1944. La distribution de nourriture y est confiée à la Croix-Rouge néerlandaise. Somerhausen et ses codétenus y reçoivent des anguilles fumées, du beurre et de la soupe aux pois. Ils reprennent des forces, ce qui sera vital pour Somerhausen pendant le reste de sa captivité. En juillet 1944, il est transféré à Vught et, en septembre 1944, dans l'un des derniers transports vers le camp de concentration de Sachsenhausen. Dans ce camp, il s'attire parfois les foudres des SS, mais des codétenus communistes le prennent sous leur protection. Il est persuadé que, grâce à leur présence au secrétariat du camp, ils lui ont évité d'être transféré dans un camp d'extermination.

Avec d'autres prisonniers de Sachsenhausen, Luc Somerhausen est envoyé dans une marche de la mort vers Lübeck le 21 avril 1945. Le sinistre projet de les y embarquer sur des bateaux pour les noyer échoue une douzaine de jours plus tard lorsque les gardes SS choisissent de prendre la fuite. Après une hospitalisation et plusieurs étapes en Allemagne, Somerhausen peut enfin rentrer en Belgique.

C’est un Somerhausen très émacié et décharné qui arrive à l'hôpital Saint-Pierre de Bruxelles le 21 mai 1945. Il souffre de troubles de l'anxiété, d'une double perforation du tympan, de pleurésie et de scorbut ; sa vue et sa mémoire sont affectées. Il est hospitalisé pendant les premiers mois suivant son retour.

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Institution : https://bel-memorial.org/documents/liberte_cherie_Rob_TROUBLEYN.pdf
Légende d'origine : Rob Troubleyn, 75 jaar geleden: de loge "Liberté Chérie", een licht in de duisternis en gruwel van Nacht und Nebel
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Institution : https://bel-memorial.org/documents/liberte_cherie_Rob_TROUBLEYN.pdf
Légende d'origine : Rob Troubleyn, 75 jaar geleden: de loge "Liberté Chérie", een licht in de duisternis en gruwel van Nacht und Nebel
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Institution : Rob Troubleyn, 75 jaar geleden: de loge "Liberté Chérie", een licht in de duisternis en gruwel van Nacht und Nebel
Légende d'origine : Bannière de la loge "Liberté Chérie"

Un engagement de longue durée

Le 25 septembre 1945 Somerhausen peut enfin reprendre ses fonctions au Compte rendu du Sénat. Dans l'hémicycle, le président Robert Gillon le félicite pour son courage et sa volonté durant sa périlleuse captivité. Beaucoup d'autres n'ont pas survécu dont Jean Braem, le collègue qu'il a épaulé dans ses missions avec Londres, tout comme la plupart des autres francs-maçons avec lesquels Somerhausen a fondé "Liberté Chérie".

Il se sent proche des camarades avec lesquels il a été déporté. Somerhausen défend leurs intérêts au sein de la Confédération nationale des prisonniers politiques et ayants droit, en tant que président de la section de Bruxelles et vice-président national. Il devient aussi la cheville ouvrière du Bulletin d'information des Prisonniers politiques, Résistants et Combattants.

Entre-temps, son engagement politique a pris de nouvelles orientations. Il garde un souvenir positif de ses codétenus communistes et, durant les premières années qui suivent la libération, son admiration pour l'Union soviétique est sans limite. Somerhausen est plus que jamais convaincu de la justesse du marxisme et ne s'accommode pas de la ligne réformiste et atlantiste de la social-démocratie. Cela explique son adhésion au Parti communiste de Belgique en 1948. Pourtant, le manque de démocratie interne lui déplaît profondément. Il est exclu du parti en 1954. Après le soulèvement hongrois de 1956, il redevient l'intellectuel de gauche non aligné qu'il a toujours été.

Son engagement en faveur des prisonniers politiques, des résistants et des anciens combattants ne se dément pas. Somerhausen devient président de l'amicale de Sachsenhausen, œuvre au sein de plusieurs commissions pour une meilleure organisation de l'aide aux victimes de guerre et représente l'Union des Services de Renseignements et d'Action au sein du Comité de Contact des Associations patriotiques. Lorsque, dans les années 1960, des voix s'élèvent pour institutionnaliser l'étude de la Seconde Guerre mondiale aussi en Belgique, Somerhausen devient un élément « incontournable ». Il joue un rôle essentiel dans la création du Centre de Recherche et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale, devenu aujourd'hui le CegeSoma. Membre du comité scientifique de l’institution, il en devient le vice-président. Avec lui disparaît, lors de son décès en 1982, pour le Centre et son personnel, une source d’inspiration méticuleuse et critique qui, malgré des apparences parfois bourrues, savait se montrer chaleureux.

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Institution : Cegesoma/Archives de l'Etat
Collection : Membres du personnel du CEGES diverses photos
Légende d'origine : De gauche à droite, Jacques Willequet, Luc Somerhausen, Jean Vanwelkenhuysen et Emiel Lamberts, s.d.

Bibliographie

Au service du Sénat et de la Patrie. Les épreuves endurées par Jean Braem, Fernand Dustin et Luc Somerhausen, https://www.senate.be/www/?MIv... 

Archives du CEDOM-MADOC, le Centre d'études et de documentation maçonniques, série DGM 16, Loges temporaires, Liberté Chérie.

Franz BRIDOUX, La Respectable Loge Liberté Chérie au Camp de concentration d'Esterwegen. " Nuit et brouillard ", éditions Télélivre, 2021.

Interview de Luc Somerhausen par José GOTOVITCH, 26 novembre 1980, CegeSoma, enregistrement sonore, 547_0000_CS-INT-B_00321_001.

Fabrice MAERTEN, Archives Luc Somerhausen, Inventaire 32, Bruxelles, CEGES, 2002. 

Michiel VERMOTE, ‘Luc Somerhausen‚‘agent-prospecteur‘ in dienst van Moskou‘, in Brood & Rozen, 14, (2009), 5, p. 40-53

Pour citer cette page
Somerhausen Luc
Auteur : Anthoons Johnny
https://www.belgiumwwii.be/belgique-en-guerre/personnalites/somerhausen-luc.html