Une résistante oubliée comme tant d’autres ? Arrêtée, torturée, déportée à Ravensbrück, seule femme francophone à avoir témoigné lors des deux procès de Breendonk… Qui était-elle ? Quel a été son engagement ? Une recherche aux multiples facettes et aux singuliers rebondissements pour un itinéraire qui demeure somme toute totalement hors du commun.
Les premiers drames
Marguerite Paquet naît à Saint-Servais, près de Namur, le 18 décembre 1913 au sein d’une famille qui compte déjà une autre petite fille, Marie-Thérèse, née le 28 juin 1911.
Leur père décède prématurément d’une tuberculose le 29 janvier 1917, alors qu’elle n’a que trois ans. Après quelques années, la maman et ses deux filles déménagent à Bruxelles.

Légende d'origine : Photo datée de 1918. La mère de Paul PAQUET, Marie, ses trois filles (debout à droite : Henriette ; assises, à gauche Caroline, et à droite : ? ), sa belle-fille (debout à gauche : Elise BONIFACE) et ses deux petites-filles, Marguerite et Marie-Thérèse PAQUET. Marguerite PAQUET est la plus jeune des fillettes qui est assise sur une chaise haute. Elle a alors 4-5 ans. Sa sœur aînée, Marie-Thérèse, se trouve à droite. Marie-Thérèse a alors 7 ans.

Légende d'origine : Extrait d'un Registre aux Actes de Naissances de Marguerite Paquet
Le 14 septembre 1934, Marguerite épouse René Bernard. Le couple a deux filles, nées respectivement en 1936 et en 1937. L’année suivante, elles décèdent toutes les deux, emportées par une occlusion intestinale pour l’une et par une méningite pour l’autre.
Le 10 mai 1940, René Bernard, officier de réserve à la tête d’une poignée de soldats, défend depuis une tranchée un pont sur le canal Albert, à Veldwezelt, près de Lanaken. Ils sont surpris par l’arrivée d’assaillants allemands à bord d’un planeur. Bernard est sommé de se rendre alors que plusieurs de ses hommes sont déjà morts et que les autres tranchées ont été abandonnées.
Pour seule réponse à cette demande de reddition, il tire un coup de fusil… Le dernier puisqu’il est immédiatement abattu. Ses hommes se rendent et sont contraints d’enterrer à la hâte les corps de leurs camarades mais un tir de mortier leur fait abandonner ce pénible travail.
Le corps de René Bernard disparaît à jamais et ce n’est qu’en 1945 que la justice accordera à Marguerite Paquet le statut de veuve de guerre.
De multiples arrestations et une détention
Durant la Seconde Guerre mondiale, Marguerite Paquet est arrêtée à trois reprises pour espionnage et renseignements : le 26 août 1940, le 4 mai et le 4 juin 1941. Ces interpellations sont à chaque fois suivies d’une libération au bout de quelques jours ou de quelques semaines de détention et d’interrogatoires menés à la prison de Saint-Gilles, à Bruxelles.
Le 7 décembre 1942, une quatrième arrestation la conduit cette fois de la prison de Saint-Gilles au fort de Breendonk où elle est soumise à un régime d’isolement et de tortures dont elle sort meurtrie, physiquement et psychologiquement. Suivent alors une déportation vers le Stalag VI de Krefeld, puis une autre vers le camp de concentration de Ravensbrück.
Citée en tant que témoin dans le cadre de l’inculpation de l’officier allemand Otto Roberts par un tribunal d’occupation, l’homme affirme que Marguerite Paquet a servi d’intermédiaire entre lui et les Anglais. Dans ce cadre, elle effectue donc un retour inattendu en Belgique, puis retrouve la liberté en septembre 1944, après un internement près de Louvain.
Après la guerre, Marguerite Paquet est entendue dans le cadre des deux procès des tortionnaires de Breendonk, en 1946 et 1949. Seules deux femmes témoignent lors de ces procès : la francophone Marguerite Paquet et la flamande Anna Van Cauwenbergh. Il faut dire que seule une trentaine de résistantes ont été détenues à Breendonk sur un total d’environ trois mille cinq cents personnes.

Collection : Portail BelgicaPress
Légende d'origine : Article dans "La dernière heure" publié le 21 mars 1946

Légende d'origine : Cellule d'emprisonnement du fort de Breendonk
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Légende d'origine : Salle de torture du Fort de Breendonk

Collection : ARA
Une reconnaissance partielle
Après la guerre, une demande de reconnaissance est introduite au nom de Marguerite Paquet. Le Service des Victimes de Guerre en conserve la trace. Il existe également un dossier de demande de statut de Prisonnier politique, statut que Marguerite Paquet obtient du fait de sa déportation. En revanche, le statut d’Agent de Renseignement et d’Action lui est refusé pour ne pas avoir pu établir son lien avec le moindre mouvement ou réseau de résistance. Il y est certes question de documents qu’elle aurait transmis par l’entremise du réseau « Marc » mais les informations sont jugées trop vagues.
Des zones d'ombre ?
Ces informations sommaires ne permettent pas de réellement appréhender l’engagement résistant de Marguerite Paquet. En soi, la chose n’est pas exceptionnelle tant il est vrai que l’histoire des femmes en résistance reste encore largement à écrire. Nous avons donc tenté d’en apprendre davantage.
Une première rencontre avec son petit-neveu a permis de découvrir de nouveaux éléments et de réunir quelques photographies de Marguerite. Celles-ci complètent celles découvertes sur internet, prises notamment en 1946 par des représentants américains qui ont couvert un des procès pendant lesquels Marguerite Paquet a apporté son témoignage.
Mais de nombreuses inconnues et questions sans réponses subsistent. Il y a cette inculpation de 1947 pour « faux nom, usage de faux nom et trafic de stupéfiants ». Selon la tradition familiale, il se serait agi d’une toxicomanie consécutive à sa détention à Breendonk, initiée par l’usage de drogues faisant partie de l’arsenal nazi pour assujettir certains prisonniers, une hypothèse non confirmée par les historien.ne.s du Fort.

Institution : United States Holocaust Memorial Museum
Collection : 2006.Hartman
Droits d'auteur : United States Holocaust Memorial Museum
Légende d'origine : "Mme. Margueritte Paquet shows a warrant for her execution issued in the Breendonck internment camp."

Collection : Procès Wijss et consorts
Légende d'origine : "Ayant volontairement infligé des blessures ou des coups à plusieurs détenus du Fort de Breendonk et au-delà : 1) ... 28) PAQUET Marguerite ..."
Fin 1947, elle est effectivement arrêtée et condamnée à cinq ans de détention. Mais le dossier dit « anthropologique », qui concerne les détenus de la section psychiatrique de la prison de Forest où elle purge sa peine, reste introuvable. Sa présence sur place ne fait cependant aucun doute. Elle est en effet répertoriée dans le registre d’entrées et de sorties de la prison.
Le hasard de la recherche et des rencontres va nous confronter à une mine documentaire incroyable et exceptionnelle. Grâce à Gertjan Desmet, aujourd’hui archiviste du CegeSoma et antérieurement en charge des dossiers de défense sociale pour le dépôt AGR2 de Forest, ressurgit une épaisse farde de 179 documents. De quoi ébranler bien des certitudes !
Un autre visage
Sur base de ces documents, c’est une autre personnalité qui émerge. Marguerite Paquet n’a été scolarisée qu’entre ses huit et seize ans, sa mère cherchant à préserver sa fille affectée dès avant ses deux ans de douleurs abdominales dont l’origine n’est pas établie.
Par contre, une nette tendance à la mythomanie est avérée et met à mal ses relations sociales en milieu scolaire. Lors de nouvelles investigations médicales à ses dix-sept, puis à ses dix-huit ans, son dossier de défense sociale indique qu’elle est initiée à l’usage de la morphine.

Légende Web : Image tirée du documentaire "Breendonk, het kamp van de waanzin". Paquet a les deux poings serrés, comme signe de résistance.

Légende d'origine : Marguerite Paquet lors du mariage de son neveu. Photo récoltée auprès de Jean-François Nandrin

Légende d'origine : Photo tirée du "Volkgazet" publié le 15 septembre 1949 lorsque Marguerite Paquet témoigne au procès Wijss.
À partir de ce moment-là, elle semble ne plus connaître de périodes d’abstinence, sauf à l’occasion d’hospitalisations contraintes par trois inculpations successives après la guerre.
L’expert psychiatre chargé en 1947 et en 1955 de diagnostiquer l’état mental d’une personne inculpée d’usage de faux noms et de falsification d’ordonnances dans le but de se procurer des stupéfiants dans différentes pharmacies, indique que Marguerite Paquet est parvenue à se procurer sa drogue sans interruption depuis ses dix-huit ans, même durant sa détention pendant la guerre.
Sa consommation de stupéfiants est par ailleurs amplifiée suite aux décès consécutifs de ses deux filles.
Un pan méconnu
D’abord mentionnée en milieu scolaire, sa mythomanie s’est caractérisée par l’exagération et un milieu familial imaginaire (un père fusillé par les Allemands en 1917, des vêtements dont elle exagère le côté onéreux…), puis s’est poursuivie par la mention d’un mari tour à tour employé d’une firme hollandaise et officier anglais, elle-même affirmant être une comtesse et avoir suivi une année préparatoire aux études supérieures, puis deux années universitaires en sciences mathématiques et physiques.
Après son retour des camps nazis vers la Belgique à la demande de la justice allemande pour témoigner, en mars 1944, à charge d’un ressortissant allemand, elle est remise aux autorités belges car définie comme une personne ingérable, toxicomane, s’auto-accusant et menant les enquêteurs sur des pistes sans fondements.
Elle est alors prise en charge successivement par deux institutions hospitalières à caractère psychiatrique dans le but de la sevrer de sa dépendance aux stupéfiants. C’est sa mère qui l’en sort, contre l’avis des médecins qui souhaitent poursuivre les traitements.
Suite à une enquête de police initiée par le signalement d’une cliente de plusieurs pharmacies se présentant sous différentes identités et munie d’ordonnances falsifiées lui permettant de se procurer des produits morphiniques, elle est condamnée puis arrêtée sur demande du juge, et conduite à la section psychiatrique de la prison de Forest, en décembre 1947, en vue d’un internement pour cinq années.
Remise en liberté surveillée après un peu plus d’un an et après un procès en appel en 1948 qui confirme la première sentence, elle est à nouveau arrêtée pour les mêmes raisons en 1953 (amende et six mois de détention avec sursis) et en 1955 (cinq ans d’internement psychiatrique partagés entre la section psychiatrique de la prison de Forest, l’établissement de Défense sociale de Mons et la clinique Fond’Roy à Uccle). Sa remise en liberté intervient sous conditions de trouver du travail et d’un suivi social et psychiatrique. Sa libération définitive est attestée le 14 juin 1960, un peu plus d’un an avant son décès, à l’âge de 47 ans, décès qui serait dû à une intense fatigue physique et psychologique.

Collection : ARA
Légende d'origine : Courrier de G. Falmagne à M. Hauzeur Paquai, Administrateur de la Sûreté de l'Etat, 14 décembre 1947
Légende Web : Le trosième paragraphe mentionne "soupconnée de Faux, usage de faux et trafic de stupéfiants".
Retour sur son engagement résistant
Du fait de son état de santé psychique, il est particulièrement difficile d’accorder foi à l’entièreté des déclarations faites par Marguerite Paquet après la guerre. Elle parvient à citer aux enquêteurs cherchant à statuer sur son passé patriotique, les noms de résistants et de mouvements auxquels ils appartenaient. Certains d’entre eux confirmèrent quelques-unes de ses déclarations, mais d’autres nieront la connaître.
Les chefs d’inculpation des autorités allemandes qui la précipitèrent dans l’univers carcéral nazi sont graves, mais sont-ils réels ou basés sur ses déclarations publiques amplifiées par sa mythomanie ? De la même manière, ses témoignages lors de l’instruction judiciaire et des différents procès auxquels elle a participé, sont-ils entièrement fiables, ou cette situation lui a-t-elle donné l’occasion de trouver un auditoire enclin à entériner toutes ses déclarations, sa vérité ?
Seules certitudes, les diverses arrestations, les mauvais traitements et les souffrances qui en résultent, le temps et son parcours de détention ont permis de lui accorder le statut de Prisonnier Politique, tout en lui reconnaissant d’importants dommages physiques et psychologiques. Quant à son engagement résistant effectif, il reste entaché de nombreuses incertitudes.
Bibliographie
Burkel, Jean-Charles. 1986. Survie au bagne de Breendonck, Hamois-en-Condroz : Vezham.
D'Haese, Noëmie. 2020. Le camp de Breendonk devant la justice. Archéologie et étude de témoignages provenant des procès de 1946 et de 1949. Mémoire de Master. Bruxelles : Université Libre de Bruxelles.
Nefors, Patrick. 2004. Breendonk, 1940-1945. De geschiedenis. Anvers : Standaard uitgeverij.
Pahaut Claire, 2024. Ces Dames de Ravensbrück : Contribution au mémorial belge des femmes déportées à Ravensbrück (1939-1945), série Studia n° 178, publication n° 6465, Bruxelles : Archives générales du Royaume.
Sources
- Articles de presse. KBR (1946-1949-1950), 20 mars 1946 – 2 juin 1950.
- "Cour militaire du 14 novembre 1946". Dans "Dossier procès Wijss et consorts". AGR2, Service des Victimes de Guerre/Archives de l'État.
- "Dossier ARA". CegeSoma/Archives de l’État, 9 décembre 1947 – 12 octobre 1954.
- "Alleged torture of Marguerite Paquet (Belgian national), Breendonck camp, Belgium,...". The National Archives, Kew, 1 septembre 1944 – 28 février 1945.
- "Dossier PP". AGR2, CegeSoma/Archives de l’État, 20 juin 1950 – 9 février 2025.
- Documents récoltés auprès de Jean-François Nandrin. 1 août 2024.
- Échange de courrier avec Yrène Bernard. AGR2, Service des Victimes de Guerre/Archives de l’État, 20 juin 1950 – 9 février 2025.
- Theunissen, Nico & Jos vander Velpen. 2004. Breendonk, het kamp van de waanzin. Documentaire. Histories (Canva).