Février 1945. Heinrich est arrêté près de Mouscron. Il porte encore la tenue militaire allemande car il revient du Front de l’Est. Il y a combattu les Soviétiques pendant deux ans en compagnie d’autres soldats belges enrôlés dans la Wehrmacht.
Rapidement, il est envoyé dans un centre d’internement proche de son domicile : celui de Verviers. Il y retrouve bon nombre de ses camarades d’infortune comme Albert, Joseph, Wilhelm ou Conrad…
Mais ce que le gendarme qui l’arrête, ignore, c’est qu’Heinrich est un « enrôlé de force ». En 1940, Hitler annexe les cantons de l’Est au Troisième Reich. En 1943, Heinrich, devenu allemand en 1941, est obligatoirement incorporé dans l’armée allemande.
Dans le cadre de la répression menée par l’Etat belge, Heinrich fait figure d’exception. Mais dans les cantons de l’Est, c’est une situation partagée par plusieurs milliers de jeunes hommes incorporés dans l’armée allemande. L’internement y touche dès lors une proportion encore plus grande de la population.
Qu’est-ce qu’un centre d’internement ?
Ce sont des centres crées un peu partout dans le pays pour interner les personnes suspectes de collaboration. Les bourgmestres sont chargés des arrestations des suspects et d’ouvrir les centres dans les meilleures conditions possibles. Au total, 170 centres sont ouverts. Quelque 70 000 personnes y sont internées. C’est dans un de ces centres qu’Heinrich va être transféré : celui de Verviers.
Parcours des internés
A Verviers, dans un premier temps, les suspects de collaboration sont arrêtés directement chez eux par la résistance locale, lorsque les Allemands prennent la fuite. Ces arrestations s’accompagnent parfois de violences. Ensuite, avec la libération de la ville par les Américains et leur installation, Verviers devient un centre névralgique de tri des réfugiés. Un centre de displaced persons est mis en place à l’Institut Sainte Claire. Les suspects que l’on trouve parmi les réfugiés accueillis au centre sont également arrêtés et amenés au centre d’internement de Verviers qui ouvre ses portes en septembre 1944.
Pourquoi sont-ils arrêtés ?
La majorité des internés
sont arrêtés pour avoir entretenus des relations avec l’ennemi,
c’est-à-dire qu’ils ont fréquenté des Allemands durant l’Occupation dans
le cadre privé, professionnel ou public. Cette inculpation assez floue
permet d’interner beaucoup de gens qui ont simplement eu des contacts
avec l’Occupant.
Heinrich S. est arrêté car il a porté les armes contre la Belgique. Heinrich a fait son service militaire en Belgique mais n’a pas été appelé en 1939 car inapte au combat à cause d’une blessure. Cependant, en 1943, il est incorporé au sein de l’armée allemande car il est originaire des cantons de l’Est annexés par l’Occupant. Il est arrêté près de Mouscron en février 1945.
Les suspects internés sont également arrêtés pour collaboration politique, économique ou parce qu’ils sont étrangers.
Conrad S. est l’exemple type d’un interné de Verviers. Conrad a 22 ans. Il est cultivateur dans la région d’Eupen. Il a été arrêté pour port d’armes contre la Belgique et reste interné pendant un mois.
Vie quotidienne
Selon les archives administratives, le centre d’internement de Verviers est correctement géré. Pourtant, la situation sur place est chaotique. Les voies de communications et d’acheminement des denrées sont perturbées par la bataille des Ardennes. On doit même déplacer les internés à Alost pour éviter les bombardements. Tous les centres de la région sont concernés. En mars 1945, la bataille prend fin et les internés sont rapatriés dans leurs centres respectifs.
Les internés sont correctement nourris par une association, l’Œuvre de la bouchée de pain, et peuvent également recevoir des colis en complément. Les soins sont prodigués par le médecin de la prison de Verviers et par des infirmières de la Croix-Rouge qui viennent en renfort pour les contrôles journaliers. Les internés peuvent prendre un bain une fois par mois dans les bâtiments de la prison ; un vrai luxe dans le contexte de la Libération.
Transfert ou libération ?
Pour pouvoir quitter le centre, l’interné doit être libéré ou transféré dans un autre centre. Les transferts permettent de rapprocher l’individu de son lieu de domicile.
Le traitement des dossiers des internés est réalisé dans un premier temps par l’auditeur militaire de Verviers. C’est à son initiative que Conrad et Albert sont libérés en juin 1945. Rapidement, des commissions consultatives sont mises en place pour accélerer le travail. Celles-ci rendent des avis de libération provisoire, ce qui permet de pouvoir réinterner l’individu si de nouvelles informations apparaissent dans le dossier.
Certains internés, privilégiés, obtiennent une libération sur ordre ministériel.
Les particularités du centre d’internement de Verviers
Une population majoritairement originaire des cantons de l’Est
Tout comme Heinrich et Conrad, - et près de la moitié des internés à Verviers - Albert B. est originaire des cantons de l‘Est. Il y a une confusion entre germanophone et nazi. Ainsi Albert est arrêté car il est “originaire des cantons rédimés”. Il sera libéré 80 jours plus tard après étude de son dossier où ne figure aucune preuve de collaboration. Ce cas montre bien que, par leur seule identité, les habitants de la région d’Eupen-Malmedy, peuvent être arrêtés et internés. Dans un premier temps, aucune nuance n’est apportée dans le traitement des individus originaires des cantons de l’Est.
Heinrich, Albert, et environ 25% de la population locale sont touchés par la répression ; au niveau national, ce taux est de 4,15%. Au final,
2,41% de la population des cantons de l’Est fait l’objet d’une condamnation soit un taux quatre fois supérieur au reste de la Belgique.
Pourquoi une répression d’une telle ampleur ?
La situation des cantons de l’Est est particulière car Eupen, Malmedy
et Saint-Vith ont été annexés à l’Allemagne nazie par Hitler en 1941.
Cette annexion implique un changement de nationalité pour les habitants
qui deviennent Allemand. Cela se traduit également par quelque 7.000
affiliations au NSDAP sur une population d’environ 63.000 habitants. Les
Jeunesses Hitlériennes et la Ligue des femmes nationales-socialistes
connaissent un nombre similaire d’affiliations. Une des conséquences les
plus importantes du changement de nationalité est l’incorporation obligatoire pour les jeunes hommes dans l’armée allemande.
Au début de la répression, les cantons sont traités comme n’importe quel territoire belge. Ce n’est qu’après quelques mois que des mesures spécifiques sont prises. Notamment, la prise en compte de la contrainte dans les jugements des « enrôlés de force ».
Une répression particulière ?
La répression se traduit de manière particulière. Pratiquement chaque famille est touchée. Outre les jugements militaires, il existe des sanctions civiles telles que la déchéance des droits civils et politiques. Après la guerre, le nombre d’électeurs diminue de 42% par rapport à l’année 1939. Cependant, la figure emblématique de « l’enrôlé de force » ne doit pas occulter la collaboration qui a existé dans les cantons de l’Est.
Bibliographie
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Roberti-Lintermans, Margaux. “Le Centre d’internement Pour Inciviques de Verviers (Septembre 1944-Novembre 1945). Contribution à La Répression Des Collaborations Dans Les Cantons de l’Est.” MA Thesis, Université catholique de Louvain, 2015.