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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Pays réel, 18 janvier 1943, p. 1.
Belgique en guerre / Articles

17 janvier 1943 :«Les Wallons sont des Germains»

Thème - Collaboration

Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)

17 janvier 1943. Le mouvement rexiste tient un meeting au Palais des Sports. Malgré son engagement sur le front de l’Est, Degrelle cherche encore et toujours des alliés en Belgique même. L’administration militaire continue de le bouder. Du côté de la SS, l’appui semble mieux assuré. Mais aux yeux du dirigeant de Rex, il s’agit de faire encore mieux et donner de nouveaux gages. Avec son discours sur la germanité des Wallons, l’engagement va au-delà de la notion de collaboration : les intérêts de la Wallonie et de l’Allemagne ne font plus qu’un !

Fuite en avant ou stratégie contrôlée ?

Alors qu’elle est désormais confrontée à une coalition mondiale à l’été 1942, l’Allemagne nazie n’a plus à ménager la susceptibilité britannique et les règles de la diplomatie classique. Désormais, racisme et pangermanisme guident totalement et ouvertement sa politique. Mais en quoi cela concerne-t-il les Wallons ? En juin 1942, le Führer a eu l’occasion de consulter l’étude substantielle de Franz Petri (1903-1993), philologue et docteur de l’université de Bonn et Kulturreferent  (« Attaché culturel ») de la Militärverwaltung de Bruxelles. L’étude en question, fondée essentiellement sur la toponymie, est parue en 1937. Il y est question des  « Germanisches Volkserbe in Wallonien und Nordfrankreich » (« Les héritages germaniques en Wallonie et dans le Nord de la France »). La thèse est simple : les territoires entre la Seine et la frontière linguistique ont été germanisés au haut Moyen-Age par une colonisation franque puis romanisés à nouveau quelques siècles plus tard, une thèse déjà partiellement énoncée par l’historien belge Godefroid Kurth. Selon lui, les populations locales, même si elles parlent roman, sont bel et bien d’origine et de race germaniques. De telles conclusions ne peuvent que convenir à Adolf Hitler, lui fournissant une caution (un alibi ?) « scientifique » pour annexer ces territoires. Dans le même temps, la SS dirigée par Himmler et plus que jamais en rivalité avec la Wehrmacht voit son rôle s’accroître alors que les résistances à l’ « Ordre Nouveau » se développent. La SS se cherche en outre des alliés afin d’encadrer des populations de plus en plus hostile. Au nord du pays, elle appuie plutôt la DeVlag de Jef Van De Wiele contre le VNV, qui passe pour inféodé à  la Militärverwaltung. Mais en Wallonie, hormis l’un ou l’autre groupuscule sans influence, elle n’a pratiquement aucun relais. Les choses changent au début de l’automne 1942. Le Mouvement rexiste de Léon Degrelle, déjà impliqué dans la collaboration politique et militaire, est toujours en quête de nouveaux appuis puisque l’administration militaire allemande continue de privilégier le VNV. A partir d’octobre 1942, les signaux d’une radicalisation rexiste se multiplient à l’heure où s’intensifient les attentats à l’encontre des militants du Mouvement. Le 25 de ce mois, un grand meeting de Rex s’est tenu au Palais des Sports de Bruxelles. C’est le premier de cette importance depuis le rassemblement de Liège (janvier 1941), où Degrelle avait clamé spectaculairement sa foi dans l’Allemagne nazie. En l’absence de ce dernier, sur le front de l’est, c’est Victor Matthijs, Chef de Rex ad interim qui a harangué les partisans de l’ « Ordre Nouveau ». Grande nouveauté : après avoir insisté sur la nécessité d’une « révolution sociale », Matthijs, visiblement inspiré par les écrits de certains penseurs allemands, présente les Wallons comme un peuple appartenant  à l’espace germanique  « par (le) sang, (l’)histoire et (les) mœurs », tout en soulignant que, par ce fait, ils se rapprochent ainsi…des Flamands. Ces propos lui permettent de conclure que « nos provinces »  resteraient ainsi unies  « par une communauté de destin, indiscutable et séculaire », à la grande satisfaction des cadres rexistes, restés fort « belgicains »…

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Une manifestation à grand spectacle

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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Pays réel, 19 janvier 1943, p. 1.
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Institution : KBR
Légende d'origine : Le Pays réel, 18 janvier 1943, p. 2.
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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : CegeSoma
Légende d'origine : Degrelle s.d.

De retour en Belgique, fin 1942 – début 1943, Degrelle, appuyé par la SS et avec l’aval de la Militärverwaltung, reçoit tous les encouragements nécessaires pour présenter au public le « nouvel ordre de marche » de son Mouvement. L’annonce du meeting, prévu pour le 17 janvier, fait l’objet d’une large publicité. Toutes les précautions sont prises en matière de sécurité. Le Palais des Sports est surveillé plusieurs jours avant l’événement, afin d’éviter d’éventuels attentats à la bombe. La décoration est à la mesure de l’événement : une haute tribune a été dressée et le drapeau de guerre du Reich y a été accroché. Un énorme aigle bicéphale, symbole de l’Empire au temps de Philippe le Bon et de Charles-Quint, domine l’ensemble, également décoré de croix de Bourgogne et des noms des batailles « victorieuses » auxquelles la Légion Wallonie a participé. Une « consigne impériale » figure sur un immense calicot : « Peuple d’Empire, réveille-toi ! ». Dès le début de la séance, la « pelouse » est garnie par des délégations de la Garde Wallonne, du « Corps motorisé National-Socialiste » ( « N.S.K.K. ») et des Formations de Combat du Parti, tandis que les Jeunesses rexistes veillent à galvaniser l’enthousiasme. « Une foule immense »…selon Le Pays réel du 18 janvier 1943. En fait, pas plus de 5000 personnes.


De nombreux dignitaires d’Ordre Nouveau sont présents, depuis les « apparatchicks » des organisations collaborationnistes jusqu’aux notabilités des administrations publiques et des communes « rexisées », de nombreux journalistes de la presse censurée mais aussi le Verwaltungschef Eggert Reeder, longtemps en froid avec le Chef de Rex.


Après avoir évoqué brièvement les combats du passé, Degrelle aborde le cœur de la problématique du jour à grands renforts d’histoire, d’héraldique, de philologie élémentaire et de psychologie des peuples, affirmant ainsi tour à tour que, « pendant mille ans, Wallons comme Flamands (ont ) lutté contre l’envahissement français », qu’ils ont vu « vingt rois de France jeter implacablement leur bélier furieux dans notre frontière sud » (Sic !). Tout cette lutte a débouché sur ce que le Chef de Rex appelle « l’impasse de1830 », où le malheureux peuple (wallon ?) s’est retrouvé soumis à un « travail tenace de dénationalisation », soumis aux influences perfides de « la propagande française ». Mais ces temps sont révolu, et l’esprit de la race s’est réveillé : une « Race germanique d’une pureté incontestable ». Quant au wallon ? C’est un « dialecte latin et non français », qui s’est de surcroît « virilisé par l’enrichissement d’un vocabulaire germanique ». La germanité se manifeste partout : « D’origine germanique le nom de Liège ! Germanique même le mot de Wallon ! ». Mieux encore, la Wallonie n’a-elle pas donné au Reich, dès le huitième siècle, son plus grand fédérateur : Charlemagne ?  Dix siècles « avant Bismarck », celui-ci a rassemblé tous les Germains dans un même Etat, alors qu’il « était né sur le sol wallon d’une famille wallonne » (Sic !).


Après ces belles envolées oratoires vient la conclusion de ce long discours ponctué de la gesticulation ad hoc: «  (…) Nous avons cette chance inouïe, à cette heure où la communauté germanique voit s’ouvrir devant elle des perspectives fabuleuses, d’être nous-mêmes des Germains (souligné dans le texte), égaux à n’importe quel Germain par un passé mémorable et par les combats nombreux livrés ensemble dans l’épopée de la Wehrmacht. A nous (…) d’avancer avec l’appui des peuples forts vers les proies qui nous sont offertes… » .

Si ce morceau de bravoure est fort applaudi par l’assemblée, il surprend tout de même les représentants de l’administration militaire allemande. Difficile d’aller plus loin dans l’engagement total ! Rex devient dès lors, y compris pour la Militärverwaltung et malgré les réticences persistantes d’un Reeder, un partenaire d’autant plus utilisable que sa coopération avec l’Allemagne cesse d’être motivée par des intérêts particuliers (et opportunistes) pour devenir un accomplissement en soi, l’expression de la destinée historique et raciale des Wallons. Degrelle coupe ainsi définitivement l’herbe sous le pied des petites organisations rivales (Amis du Grand Reich Allemand, Communauté Culturelle Wallonne,…), les acculant à la marginalité ou à la disparition. Surtout, il s’est attiré la sympathie de la SS, organisme influent et en pleine ascension. Par ailleurs, de par ses propos, il a totalement fait oublier le meeting de Hendrik Elias, Leider du VNV, organisé le même jour à Gand. Mais l’opération a aussi un revers.

Un dernier ébranlement…

Si la presse censurée se montre très favorable dans ses commentaires, l’immense majorité des Wallons ne se sent, elle, nullement porteuse d’une quelconque « âme germanique » en janvier 1943. Mais ce discours a également un impact au sein même de Rex. Une partie des rexistes tient les propos pour excessifs, surtout au niveau des cadres supérieurs du Mouvement ; la base, aux réflexes plus élémentaires, a moins d’états d’âme. Dès lors, Victor Matthijs, dans un numéro ultérieur du Pays réel, s’applique à nuancer et à relativiser un peu les propos du Chef. En effet dès le 24 janvier, au vu du trouble, il écrit que si « la profession de foi de Léon Degrelle (pouvait) paraître surprenante et même scandaleuse » au regard de ceux qui restaient attachés « aux formes d’un passé récent »… « par respect de certaines traditions », ces réticences ne conduisent à rien, sinon à une impasse. Le Mouvement s’est trop avancé pour reculer. Comme par hasard, par la suite, la propagande rexiste se met à chanter plus que jamais les fastes du « Cercle de Bourgogne », substitut du nationalisme d’autrefois. Mais dans l’immédiat, quelques cadres rexistes claquent la porte, José Streel (l’intellectuel du Pays réel), Paul Lisein (Chef des Cadres politiques), Albert Constant (Chef des Formations de Combat). Hélas pour Streel, il ne parvient pas à rompre totalement avec la Collaboration et trouve au Soir de Raymond de Becker un point de chute favorable…ce qui aggravera son cas à la Libération. Quant à Robert Poulet, non –rexiste mais bonne plume et rédacteur en chef du Nouveau Journal, il préfère se retirer sur ses terres plutôt que de donner l’impression, en restant à son poste, d’approuver la « nouvelle donne ».

Malgré ses états d’âme, Rex reste globalement fidèle à son Chef. Hitler n’a-t-il pas confié à ses proches, le 31 janvier 1943, que Degrelle est décidément « le seul Belge utilisable » ? 

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Institution : CegeSoma
Droits d'auteur : Droits Réservés
Légende d'origine : L'auteur de "La révolution du XXème siècle"

Bibliographie


Francis BALACE et Alain COLIGNON, "Quelle Belgique dans l’Europe allemande ?", dans Jours de Guerre, n°10 de 1994, pp. 6-41.

Martin CONWAY, Degrelle. Les années de collaboration 1940-1944 : le rexisme en guerre, Ottignies, Quorum, 1994.

Albert DE JONGHE, Hitler en het politieke lot van België 1940-1944, Antwerpen, De Nederlandsche Boekhandel, 1982.

Paul DELANDSHEERE et Alphonse OOMS, La Belgique sous les nazis, Bruxelles, L’Edition universelle, T. III, 1945, pp. 28-31.

Paul STRUYE, L’évolution du sentiment public en Belgique sous l’occupation allemande, Bruxelles, Les éditions Lumière, 1945. 

Pour citer cette page
17 janvier 1943 :«Les Wallons sont des Germains»
Auteur : Colignon Alain (Institution : CegeSoma)
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