Au moment de l’invasion allemande, Karel Verwilghen est secrétaire général du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale. Il le reste jusqu’en mars 1942, date à laquelle il démissionne suite à l’introduction du travail obligatoire en Belgique et dans le Nord de la France. Au cours de ces deux courtes années pendant lesquelles il a été responsable de ce ministère, il a façonné la politique concrète en matière de législation sociale, tout en jouant un rôle essentiel de pont avec les organisations catholiques. Il a également contribué à la réorganisation de l’administration, ce qui a eu pour impact de lui faire perdre son emprise sur la politique du marché du travail, qui allait tomber davantage entre les mains des collaborationnistes.
Haut fonctionnaire
Karel Verwilghen naît à Roulers le 7 août 1883 au sein d'une famille de onze enfants. Après avoir étudié le droit à l’université de Louvain, il choisit une carrière de fonctionnaire au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale. En 1934, Verwilghen est nommé secrétaire général, le poste le plus élevé du ministère. À partir de 1939, il enseigne également le droit du travail à l’université de Louvain. Sur le plan politique, il appartient au giron catholique.
Commissaire général à la reconstruction

Légende d'origine : Arrivée de nouveaux volontaires dans un camp de formation du Service du Travail volontaire pour la Flandre (VAVV), 1940-1945
Le taux de chômage élevé est l’un des principaux problèmes socio-économiques au lendemain de l’invasion : en juin 1940, on compte 500.000 chômeurs, alors qu’ils n’étaient que 139 000 peu avant. La campagne des 18 jours a causé des dégâts considérables, non seulement aux habitations mais aussi aux infrastructures de transport, entravant ainsi la reprise de l’activité économique. Se référant aux Pays-Bas où un commissaire spécial a été nommé pour s’occuper des travaux de reconstruction et ainsi employer les chômeurs, la Militärverwaltung suggère qu’en Belgique aussi, les chômeurs soient impliqués dans la reconstruction. Verwilghen est favorable à cette idée, l’emploi étant préférable au versement d’allocations. Il met à l’ordre du jour du comité des secrétaires généraux la nomination d’un commissaire spécial à la reconstruction. Le comte Maurice Lippens est prêt à accepter le poste, mais l’occupant mettant son veto et refusant également les autres candidats proposés par le comité des secrétaires généraux, Verwilghen finit par accepter de prendre en charge la fonction. C’est ainsi que le 29 juin 1940, il prend la tête du Commissariat général à la restauration du pays. La nouvelle institution se voit confier une double mission : l’emploi et le rétablissement des infrastructures de transport et de l’activité économique.
Au sein du Commissariat général, le Vrijwillige arbeidsdienst voor Vlaanderen et le Service volontaire du Travail pour la Wallonie sont créés le 30 novembre 1940. Les deux services reçoivent une double mission connexe : réaliser des travaux d’intérêts généraux et éduquer les jeunes au travail. La nouvelle institution a une vocation plus large que la simple réparation des dommages matériels de guerre : sur le plan économique, il s’agit de relancer l’activité en général et, sur le plan politico-social, de promouvoir le travail en tant qu’activité économique mais aussi en tant que valeur intrinsèque. Le travail occupe d’ailleurs une place centrale dans l’idéologie nazie.
Pour les forces d’occupation également, la mission du Commissariat général ne se limite pas à la réparation des dommages de guerre. Il s’agit certes de contribuer à la normalisation rapide de la situation socio-économique de la population, mais aussi de placer des Flamands à des postes de direction, afin de faire contrepoids à la prépondérance francophone au sein de l’économie belge. Il s’agit en réalité du volet économique de la Flamenpolitik que la Militärverwaltung poursuit à l’époque. L’une des premières nominations, début juillet 1940, est celle de Victor Leemans, futur secrétaire général aux Affaires économiques, en tant qu’adjoint de Verwilghen.
Le Commissariat général orchestre la reconstruction de manière spécifique et tente de mettre en pratique les idées modernistes et l’aménagement du territoire. L’architecte et urbaniste Raphaël Verwilghen (1885–1963), frère de Karel Verwilghen, occupe une position clé en tant que directeur général du département de la Reconstruction pour faire avancer ces idées. En ce qui concerne l’emploi, le Commissariat général agit énergiquement : en trois mois, plus de 65 000 personnes sont mises au travail pour déblayer les décombres et réparer les routes et les voies ferrées. Cette politique de l’emploi se poursuit encore lorsque le chômage diminue, en partie sous la pression des forces d’occupation. Des mesures spéciales sont prises pour veiller à la mise au travail des « asociaux » dans les chantiers du Commissariat général. Si la définition des « asociaux » n’est guère précise et évolutive, elle vise cependant un large groupe de chômeurs. L’objectif est de les empêcher de vivre plus longtemps sur le compte de la communauté et de les encourager à occuper des emplois normaux avec des salaires normaux. Les « asociaux » doivent effectuer des travaux pénibles ou de faible valeur, à des salaires inférieurs à la normale, et ne peuvent prétendre à certains droits sociaux tels que les congés payés.
Verwilghen, homme de confiance du pilier catholique
Homme de confiance du pilier catholique, Karel Verwilghen va jouer un rôle dans les projets de réorganisation corporatiste élaborés dans les milieux catholiques au cours de l’été 1940. René Goris en sera la cheville ouvrière en mettant en pratique un projet soutenu par le syndicat chrétien et le patronat catholique, le Manifeste corporatif, en tant que « commissaire des corporations », un nouveau poste auquel il sera nommé par Verwilghen. C’est en tant que commissaire général à la restauration du pays que Verwilghen sollicite Goris, ce qui montre une fois de plus la large portée politique du Commissariat. Le projet n’aboutit finalement pas. Verwilghen est également impliqué dans la réorganisation syndicale qui aboutira à la création de l’Union des Travailleurs manuels et intellectuels (UTMI) en novembre 1940.

Collection : Rtbf
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Légende d'origine : Karel Verwilghen, s.d.
La concurrence est forte entre les syndicats chrétiens, le syndicat nationaliste flamand Arbeidsorde et ‘la nouvelle CGTB’ fondée sous l’impulsion d’Henri De Man. Pour défendre ses intérêts dans cette lutte politique, la CSC fait appel à Verwilghen, qui occupe un poste clé en tant que secrétaire général du Travail et de la Prévoyance sociale. Ce département est également très impliqué dans les projets de la Militärverwaltung visant à calquer l’assurance maladie belge sur le modèle allemand, ce qui implique une obligation d’assurance et une centralisation organisationnelle plus forte, ce qui n’est pas du goût de L’Alliance nationale des Mutualités chrétiennes. Ces projets n’aboutiront pas non plus, mais les mutualités chrétiennes ont pu faire entendre certains de leurs arguments auprès du département dirigé par Verwilghen.
Verwilghen et la politique du travail de l’occupant

Légende d'origine : Het Nieuws van Den Dag (5 november 1946, p. 3)
Dans le cadre de la gestion de son ministère, Verwilghen est confronté à la politique de la Militärverwaltung qui consiste à recruter le plus grand nombre possible de travailleurs volontaires pour l’Allemagne. Verwilghen s’efforce d’éviter que son administration ne soit directement impliquée dans cette politique, mais de la faire passer par la Werbestelle. Cependant, le secrétaire général perd de plus en plus le contrôle à la suite d’une réorganisation des services en matière d’emploi. En novembre 1940, après le refus d’autres personnes sollicitées par Verwilghen, Frits-Jan Hendriks, membre du VNV, est chargé de l’Office national de l’emploi et du contrôle, transformé en Office national du Travail en avril 1941.
Hendriks adopte une attitude autonome vis-à-vis du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, ne tient pas compte des instructions et suit de plus en plus la ligne de l’occupant, tandis que les services locaux de l’Office du Travail du Reich sont peuplés de rexistes et de membres du VNV. La politique allemande en matière d’emploi conduira finalement au départ de Verwilghen. Lorsque les forces d’occupation introduisent le travail obligatoire en Belgique et dans le Nord de la France en mars 1942 et retirent au ministère du Travail et de la Prévoyance sociale le contrôle de l’Office national du Travail, Verwilghen démissionne. Jusqu’à la libération, cinq autres hauts fonctionnaires lui succéderont.
Après la guerre, Verwilghen doit répondre devant le conseil de guerre d’infractions aux articles 115 et 118bis du Code pénal pour avoir mis de la main-d’œuvre à la disposition de l’ennemi. Verwilghen est toutefois acquitté en mars 1948, alors qu’il vient d’atteindre l’âge de la retraite.